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Ephpheta – Ouvre-toi et le baptême (Mc 7, 31-37)
Les dimanches après la Pentecôte présentent deux thématiques principales. Tantôt, ils montrent deux images opposées comme le bon et le mauvais arbre, les enfants du monde et les enfants de lumière, l’homme spirituel et l’homme charnel, l’humble publicain et l’orgueilleux pharisien. Tantôt, ils rappellent notre baptême et la conversion nécessaire. Le dimanche est une petite fête de Pâques dont la dimension baptismale est évoquée par le rite initial de l’« asperges me ». Ce dimanche a une telle importance qu’il fut repris par le rituel du baptême.
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- Jésus rejoint par l’Incarnation les hommes pécheurs
- Jésus (se) met à part
Jésus quittait le territoire de Tyr (v. 31), sur la côte libanaise ou Syro-Phénicie. Il y avait guéri une jeune fille païenne possédée dont la mère avait une si grande foi qu’elle attendait la miséricorde divine comme les miettes de la table des enfants tombées pour les petits chiens. Le Christ alla dans un territoire païen ou des Gentils, à l’Est du Jourdain et de la Mer de Galilée, dans le Golan (Gaulanitide), soit le Sud-Ouest de la Syrie et l’Ouest de la Jordanie. Un sourd-muet lui fut amené (v. 32) dont l’infirmité était encore démoniaque.
Jésus se mit à l’écart (v. 33) pour opérer son miracle par humilité comme lorsqu’il demandait le silence aux miraculés. Il n’ignorait pourtant pas que leur légitime admiration ne tiendrait aucun compte de ses recommandations. Mais ses disciples, appelés à faire des œuvres encore plus grandes (Jn 14, 12) devaient apprendre à se méfier de la vaine gloire ou de toute poussée d’orgueil : « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à votre nom, donnez la gloire » (Ps 113 B, 1) ou « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ » (Lc 17, 10).
La foule tumultueuse représentait aussi les passions et vaines pensées qui l’avaient rendu sourd pour le Ciel. À quoi servirait-il de le guérir si, les causes de sa maladie demeurant, il retombait aussitôt ? Le baptême nous sanctifie en nous incorporant à Dieu, nous met à part, à l’écart du monde voué à Satan et au péché : « le Seigneur a mis à part son fidèle » (Ps 4, 4 et Ga 1, 15). La sainteté fait pénétrer dans le Saint des Saints, derrière le rideau du Temple de Dieu alors que le profane est littéralement « pro fano » devant le temple (fanum), indigne d’y pénétrer. Le consacré est donc séparé.
- Jésus rouvre l’accès à Dieu fermé depuis Adam
Le mode opératoire de Jésus surprend. Il « lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue » (v. 33). Il aurait aussi bien pu guérir à distance d’une seule parole comme le serviteur du centurion (Mt 8, 8). Mais Jésus insistait ici moins sur sa puissance que sur la manière habituelle de nous guérir spirituellement par les sacrements. Dans la logique de l’Incarnation, le Verbe fait chair joint un geste signifiant et efficace à la parole.
La nature humaine, à cause de la faute d’Adam, avait encouru la souffrance et l’infirmité des membres et des sens. Par sa venue, le Christ manifesta la perfection de la nature humaine faite pour interagir avec Dieu dont elle est la seule créature voulue pour elle-même (CEC 356, citant Gaudium et Spes 24, 3). Il avait servi de modèle pour créer l’homme. Le sourd ne pouvait entendre sa voix. Il était muet pour implorer Dieu. Les deux routes conduisant à la délivrance spirituelle lui étaient fermées. Avant le baptême, le païen est comme sourd-muet. Il ne peut parler à Dieu dans la prière sans la foi qui vient de l’ouïe, fides ex auditu : « Or la foi naît de ce que l’on entend ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ » (Rm 10, 17).
Jésus regarde vers le Ciel (v. 34). Les réponses et remèdes à toutes les infirmités viennent du Ciel. Le gémissement fait allusion à l’Esprit-Saint car les secours divins viennent de l’Esprit qui enseigne comment prier : « Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables » (Rm 8, 26). Mais ce gémissement exprime encore à quel point Jésus prend en pitié cette humanité tombée si bas par la ruse du démon. Comme homme, il lève les yeux au ciel et gémit une prière à Dieu, mais aussitôt après, empli de force, dans sa majesté divine, il opère d’un seul mot une guérison comme le Verbe lors de la Création.
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- Une figure du baptême
- Exorcisme et ouverture des sens pour communiquer avec Dieu
« Ephphata » (v. 34) en araméen signifie « ouvre-toi ». Aussitôt, les oreilles s’ouvrirent pour entendre et la langue fut déliée pour parler correctement. Par cette parole et ce geste est clairement manifesté le baptême qui donne l’ouïe spirituelle et la parole véritable. Devenu enfant de Dieu, le baptisé reçoit la vie de la grâce sanctifiante. Le Saint-Esprit demeure en lui, servant d’intermédiaire entre Dieu et son âme. Il est la langue qui peut parler à Dieu, l’oreille qui entend la voix de Dieu.
Avant de plonger le néophyte dans le bain sacré, sont pratiqués dans le rite traditionnel des rites d’exorcisme plus nombreux et puissants que dans le nouveau rite qui minore Satan. Le baptiste dispose alors de grands pouvoirs, assimilables aux grands exorcismes du prêtre délégué par l’évêque comme exorciste diocésain. Il pratique ces exorcismes imprécatifs, ordonnant directement au démon : « Sors de ce corps ! » au lieu des exorcismes mineurs déprécatifs : Dieu, délivrez-nous de l’emprise du démon.
Le prêtre dépose sur la langue du baptisé le sel de la Sagesse (= sapientia vient de sapida scientia : sagesse savoureuse) puis répète les gestes et paroles du Christ au sourd-muet. Il mouille avec sa salive les oreilles de l’enfant en disant : « Ephpheta, c’est-à-dire : ouvre-toi … », puis sur le nez : « …à la bonne odeur du Christ. Quant à toi, démon, prend la fuite, car le jugement de Dieu approche ». Comme dans l’exorcisme, ces versets bibliques précèdent immédiatement notre passage. Le baptême ouvre l’ouïe spirituelle mais répand aussi dans le baptisé le parfum des vertus.
Ce que le baptême a commencé, la Sainte Eucharistie le continue et complète. Vous venez aujourd’hui à la messe comme de pauvres sourds-muets. Les bruits du monde vous empêchent d’entendre ce que Dieu vous dit. Vous vous tenez devant Dieu comme un enfant bégayant et vous ne trouvez pas une parole convenable. La grâce de la messe d’aujourd’hui doit vous restituer l’ouïe spirituelle, délier votre langue et vous rendre de plus en plus aptes à faire partie, un jour, du chœur des anges pour chanter la louange de Dieu. Ainsi donc le baptême doit être continué par la messe d’aujourd’hui. Et l’extrême-onction refermera tous ses sens ouverts au baptême qui furent souvent occasions de pécher.
- La diffusion de l’œuvre de recréation
Le commandement du Seigneur n’est pas respecté. Si l’humilité précède toujours la gloire, « une ville située sur une montagne ne peut être cachée » (Mt 5, 14), les œuvres bonnes glorifient aussi Dieu. La métaphore de Jésus se réfère justement à la Décapole, juste à l’Est du lac de Tibériade (Antioche Hippos ou Sussita en hébreu).
La langue guérie confesse Dieu par le Credo et loue le Seigneur par les hymnes, les cantiques et les psaumes (Col 3, 16). Ni les menaces ni les coups ne peuvent la retenir comme en témoignèrent Pierre et Jean devant le Sanhédrin : « Quant à nous, il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20).
« Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets » (v. 37) se réfère explicitement au Messie : « Jésus leur répondit : ‘Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle’ » (Mt 11, 5). À part celui de Jésus, « aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauve » (Ac 4, 12).
L’arbitraire d’un ministre peut laisser dans l’anonymat le prince des ténèbres : au lieu de « Renoncez-vous à Satan ? » et « Renoncez-vous à toutes ses œuvres ? », on trouve alors : « Pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu, rejetez-vous le péché ? » et « Pour échapper à l’emprise du péché, rejetez-vous ce qui conduit au mal ? ».