Passion (3/04/22 - Christ est Dieu)

Dimanche de la Passion (3 avril 2022)

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Le Christ est Dieu

Après quatre dimanches de Carême, s’inaugure le temps de la Passion dans l’ancien rite, décalé dans le nouveau aux Rameaux. Le temps s’accélère. La septuagésime était une préparation lointaine à Pâques. Les quatre dimanches de Carême constituaient la préparation prochaine. Les deux derniers dimanches en sont la préparation immédiate. La liturgie augmente le dépouillement en supprimant le psaume Judica me des prières au bas de l’autel, certaines doxologies (à l’Asperges, introït et lavabo). On voile croix, statues et peintures.

La tension dramatique augmente : « le ciel de la Sainte-Église devient de plus en plus sombre » (Dom Guéranger). « On voit s’accumuler à l’horizon des sinistres nuages chargés de tempête, la foudre divine qui menaçait les pécheurs va atteindre le Sauveur lui-même qui, par amour pour Dieu et pour nous, s’est fait homme. Les péchés de tous les siècles, de toutes les âmes affluent horribles, répugnants, en vagues boueuses, dans l’âme très pure de Jésus qui devient réceptacle de toute la fange humaine ». La semaine de la Passion médite la dernière année du ministère public de Jésus. La semaine Sainte fera revivre sa dernière semaine. Jn 8 tourne autour de l’expression du Christ « Moi je suis » (Xavier Léon-Dufour).

      1. Le contexte polémique
  1. Jésus est la Vérité

Nous sommes déjà dans un contexte de procès, même s’il anticipe les trois procès de Jésus devant le grand prêtre Caïphe, Hérode ou Ponce Pilate. « Convaincre quelqu’un d’une faute » se réfère à la lutte entre les Juifs le Christ qui bouscule leur conception de la Révélation.

Tout commence avec l’affirmation que Jésus EST LA Vérité. La Vérité n’est pas une parole extérieure à lui-même. C’est lui la vérité qui s’oppose aux mensonges des autres. Il affirme ainsi être sans péchés. La dénonciation est double : d’un côté la vérité face au mensonge, de l’autre l’impeccabilité face au péché de ses interlocuteurs, « fils du diable », homicide et menteur depuis le commencement.

Ne comprenons pas l’aspect moral (l’agir) mais métaphysique : la nature du Christ (l’être). Il est la vérité et ne commet pas le péché signifie non pas un homme agissant bien, mais qu’il est le Fils de Dieu, « plein de grâce et de vérité » (prologue de Jn) signifiait qu’il gardait la parole que le Père lui avait donnée, qu’il appartenait à Dieu, qu’il était Dieu tandis que les autres sont fils du diable. Jésus leur conteste la qualité de fils de Dieu dont ils se réclament car ils n’entendent pas la parole de Dieu. Cette dualité n’implique pas la double prédestination de l’hérésie de Calvin qui pensait qu’avant même leur création, certains hommes seraient voués à l’enfer et d’autres au paradis avant qu’ils n’eussent agit en bien ou en mal. Autant cela relève de la nature et non pas de morale pour la relation du Christ au Père, autant cela reste moral chez les hommes qui, agissant, refusent d’accepter la parole de Dieu et deviennent fils du démon.

  1. Les Samaritains et possédés

Il y eut presque un échange d’injures. Le Christ les appela fils du diable tandis que les Juifs le traitent de Samaritain et possédé. La Samarie, région au centre-nord de l’actuel Israël, colonisée depuis la première invasion des Assyriens en 722 avant J.C, suivait une tradition indépendante du temple de Jérusalem et donna de faux-prophètes comme Simon le magicien d’où simonie ou trafic des choses saintes (Ac 8).

Chez les synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), les possédés sont toujours rapportés à l’exorcisme pratiqué par Jésus auquel les Juifs disaient « tu fais ces exorcismes par le démon ». Chez Jean, c’est annoncer la parole. Sa qualité divine provient du fait qu’il est la parole de Dieu.

      1. Jésus face à la mort
  1. Jésus a la vie éternelle

Dans les précédents chapitres, le Christ avait annoncé qu’il est la vie : avec Nicodème (Jn 3), la Samaritaine (Jn 4 où il compare la vie éternelle à une source jaillissante), les Juifs de Jérusalem (Jn 5) et les Galiléens (Jn 6). Ici il s’exprime différemment, passant de l’affirmation « je suis la vie » à la négative « les disciples qui me suivent ne connaitront pas la mort ». Il souligne l’incompatibilité entre la vie en Jésus-Dieu et la mort.

Les Juifs répondent « mais nous qui sommes les enfants d’Abraham, nous savons qu’Abraham lui-même et d’autres prophètes ou patriarches sont morts. Donc comment toi peux-tu considérer être plus grand qu’eux ? ». La relation du Christ n’est pas avec la mort mais avec le Père qui vient d’ailleurs et continuera à le glorifier, parce qu’il est supérieur à Abraham. Il le glorifie par ses œuvres (guérisons et exorcismes), puis sur la Croix où commence la glorification chez Jean comme un marchepied de son trône céleste.

  1. Jésus dans sa relation au Père

Le Christ est défendu par le Père lui-même avec lequel il n’entretient pas le même rapport que les Juifs. Jésus emploie pour lui le verbe grec oïda car il connait de manière parfaite et achevée Dieu le Père. Ginosko renvoie pour les autres à une connaissance plus humaine. Mais ils ne reconnaissent pas Dieu puisqu’ils ne le reconnaissent pas lui. Les Juifs comprennent tout de suite que le cœur du problème est qui est le Christ, anticipant le débat sur l’écriteau INRI « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Les Juifs voulait que Ponce Pilate corrigeât « celui qui se dit roi des Juifs ».

Le Christ a avec le Père une relation subsistante. En philosophie, nous existons puis entrons en relation. Le Christ, lui, EST la relation. Il n’est pas avant d’entrer en relation, il est une relation subsistante avec le Père dans l’Esprit Saint. Autant Dieu est un concept pensable isolément, autant Fils se réfère obligatoirement au Père car on ne peut être fils seul. Ce terme relatif renvoie à quelqu’un d’autre, comme père renvoie à fils. Jésus enrichit la conception juive de l’unicité de Dieu. Si les Juifs ont apporté à l’humanité le monothéisme, il était conçu trop monolithiquement. Jésus fait passer le monothéisme d’une pauvreté à une abondance d’être par la communion des personnes.

      1. Jésus existait avant Abraham
  1. Deux interprétations possibles

Comment Abraham peut-il se réjouir de voir la venue du Christ ? Il peut le voir depuis le paradis où siège son âme depuis sa mort puisqu’il est appelé « sein d’Abraham » (Lc 16) pour le mendiant Lazare. Mais sans doute faut-il plutôt comprendre que lorsqu’il vivait sur terre, Abraham avait reçu une vision prophétique : « dans la foi – on parle des patriarches – ils moururent tous sans avoir obtenu la réalisation des promesses mais après les avoir vues et saluées de loin » (He 11,13). Les patriarches pressentent ce qui va adviendra quand le vieil Abraham a la joie de recevoir Isaac.

Isaac signifie d’ailleurs en hébreu « celui qui rit », donnant le même concept de joie et d’exaltation. Mais la joie ne réside pas dans ce fils réalisant la promesse divine d’une descendance pour un couple ayant dépassé biologiquement la capacité de concevoir (Abraham avait plus de quatre-vingt-dix ans et sa femme Sarah, aussi très âgée, était ménopausée). La vraie cause de sa joie était sa future descendance car le Messie accomplirait véritablement la promesse.

  1. La préexistence de Jésus

Pour affirmer sa préexistence, Jésus emploie encore deux verbes : « moi, je suis » (enaï) avant qu’Abraham ne fut engendré/n’existât (genestaï). Le présent est intemporel que l’imparfait « le verbe était Dieu » du prologue de Jean. Jésus coexiste à toutes les périodes. Le Christ s’affirme comme Dieu, comme le comprirent tous les Juifs parce que « moi je suis » se réfère à « je suis celui qui suis » (Ex 3, 14), quand Dieu révéla son nom à Moise au buisson ardent. Raison pour laquelle ils voulurent le lapider.

Le Christ se dit donc Dieu mais envoyé par le Père sans qu’on puisse y voir nulle trace de subordination. Les trois Personnes de la Très-Sainte Trinité ont la même essence ou substance et sont égales en divinité. Simplement le Père se distingue en tant que source et celui qui envoie, du Fils, qui est envoyé. La mission fait la propriété personnelle et distingue les personnes dans la Trinité. Il n’est pas un instrument inutile comme nous mais s’approprie le message du Père : « ma » parole, croire « en moi ». Pour accéder au Père, il faut passer par lui. Il est de Dieu mais pas le but final qu’est le Père.

Cette relation vivifiante à Dieu est pour lui absolue, malheureusement pas chez nous. Au début, les Juifs reprochaient qu’il se rendait témoignage à lui-même alors que la loi juive requiert toujours deux témoins pour qu’il soit valide (comme Suzanne et les deux vieillards). Mais il ne se rend pas témoignage à lui-même : son Père et ses œuvres le font. Ailleurs, saint Jean évoque trois témoins : l’Esprit, l’eau et le sang.

Conclusion

Le Christ, sur le point de se faire lapider, se dérobe à ses adversaires et se cache, puis quitte le Temple d’Hérode. Dieu quitte son habitation parmi les hommes comme la nuée s’en était allée du Temple de Salomon avant sa destruction (Ez 10), anticipant la seconde par Titus, quarante ans plus tard, en l’an 70. Le seul vrai Temple, le lieu d’habitation de Dieu parmi les hommes qui demeure, est depuis le corps du Christ, qui ressuscite en trois jours. Les Juifs faisaient non pas cette lecture spirituelle mais matérielle (« toi tu n’as pas 50 ans et tu connais déjà Abraham », « il a fallu 40 ans pour construire le temple et toi en trois jours tu le rebâtirais ? »). Soyons, nous-mêmes, du bon côté, choisissons entre être de Dieu ou être du diable, recevons saintement le Christ en nous pour être ses tabernacles vivants.

Date de dernière mise à jour : 09/04/2022