Homélie de la Vigile pascale (16 avril 2022)
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Lecture thomiste de l’évangile (Mt 28, 1-7)
S. Matthieu traite du triomphe du Seigneur en montrant comment les disciples apprirent sa résurrection d’abord par l’ouïe (de auditu) puis par la vue (de visu) (v. 9) avant que cela ne fût corroboré par les gardes (v. 11). La foi ici-bas procède de l’audition de la prédication évangélique : « fides ex auditu » : « Or la foi naît de ce que l’on entend ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ » (Rm 10, 17) tandis que la vision ou connaissance de Dieu ne sera possible que dans l’au-delà.
- Les circonstances de temps et de personnes
- Le soir du sabbat
Le moment n’est pas clair par une apparente contradiction entre « le soir du sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine » (v. 1, Vulg.) et « de grand matin ; c’était encore les ténèbres » (Jn 20, 1). Les femmes auraient pu venir deux fois (S. Jérôme), ou préparèrent les aromates le soir et arrivèrent le matin (S. Bède). Mais par synecdoque, métonymie prenant la partie pour le tout, le soir englobait toute la nuit du sabbat (S. Augustin) car pour les Juifs qui suivent non pas le calendrier solaire mais lunaire, le jour commence la veille qui précède (Lc 23, 54) car la lune apparaît la nuit. Cet usage est repris liturgiquement dans les vigiles et premières vêpres du dimanche ou en souhaitant dès la veille au soir la fête de quelqu’un. Plus symboliquement, cela devrait nous rappeler la Création avec ce refrain repris 6 fois « Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour » (Gn 1, 5 ; 8 ; 13 ; 19 ; 23 ; 31). En quelque sorte, après le repos de Dieu lors de la Création comme le repos du Fils mort au tombeau, surgit la Création nouvelle de la Résurrection au 8e jour.
Cette confusion entre jour et nuit, comme aux aurores boréales ou aux nuits blanches de Saint-Pétersbourg au solstice d’été rappelle la prophétie : « Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière ! » (Ps 138, 12) car le Christ est « lumière né de la lumière » et sur lui la nuit du mal n’a plus de pouvoir : « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1, 5). À la chute, dans le premier homme, on était passé du jour à la nuit du péché. Cet état lapsaire a été changé par le nouvel Adam. L’homme nouveau que nous sommes devenus en revêtant la robe baptismale « vêtus de probité candide et de lin blanc » nous a fait passer de la nuit au jour : « autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière » (Ep 5, 8).
L’obscurité de la loi mosaïque et des prophéties de l’ancienne Alliance s’éclaire à la lumière de la Résurrection : « Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » (Lc 24, 27).
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- Les saintes femmes
Les femmes se prénommaient Marie : Marie-Madeleine, Marie Cléophas, mère de Jacques et chez Marc s’y ajoute Marie-Salomée. En apparaissant à des femmes homonymes de sa propre Mère, Jésus évoque la nouvelle Ève. Ainsi, le sexe féminin était d’une certaine manière rétabli, car, de même que la femme avait été la première à entendre la mort dans le premier lieu de vie : « C’est par une femme qu’a commencé le péché, et c’est à cause d’elle que nous mourons tous » (Sir 25, 24 (= 33 Vulg.)), de même, par une disposition divine, elle fut la première à voir la vie dans un lieu de mort. Elles symbolisent l’unité de l’Église : « unique est ma colombe » (Ct 6, 9), l’une était issue de Juifs, l’autre de païens, maintenant ils sont tous dans l’Église. De même que Marie conçut un enfant en son sein clos (hortus conclusus), de même celles-ci méritèrent de voir le Christ sortir d’un tombeau fermé.
Leur dévotion se manifeste aux soins qu’elles voulaient rendre à un mort, suivant la pratique de l’une des œuvres de miséricordes corporelles donnée en exemple par Tobie (Tb 1, 17-19 ; 2, 4-7). Elles aimaient Jésus et ne pouvant plus l’embrasser, voulaient au moins voir son tombeau et finir la préparation du cadavre interrompue par le sabbat. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21).
- La théophanie angélique
- Le tremblement de terre
L’ange du Seigneur descendit du Ciel avec fracas pour réveiller ce monde et le sortir de la torpeur du péché : « Expergiscere o homo » (S. Augustin). Après avoir touché quelque chose de l’humanité du Christ, il fallait toucher quelque chose de sa divinité. Si le tombeau retenait son humanité, le tremblement de terre indiquait que celui qui était mort ne pouvait être retenu sous terre : « Il était libre parmi les morts » (Ps 87, 6). Mystiquement, il y eut deux tremblements de terre : le premier signifie le mouvement des cœurs car nous avons été libérés du péché par sa mort (Rm 4, 25) tandis que l’autre évoque le passage à la gloire. « Tu as ébranlé la terre et tu l’as bouleversée » (Ps 59, 4, Vulg.), préfigurant la résurrection à venir, car la terre tremblera : « La terre a tremblé puis s’est calmée, lorsque Dieu s’est levé pour juger » (Ps 75, 9). Si la terre n’a pu supporter un ange, elle pourra encore moins supporter l’avènement du Christ pour le jugement.
La résurrection fut annoncée par un ange comme sa nativité aux bergers car cela manifeste mieux la gloire de celui, Dieu le Père, par qui elle arrive ainsi qu’indique mieux la dignité de celui qui ressuscite, lui aussi Dieu mais le Fils ayant assumé une nature humaine « que les anges s’approchèrent et le servaient » ((Mt 4, 11). L’ange roula donc la pierre fermant le tombeau scellé déjà vide, au travers de laquelle le Ressuscité était passé. La Loi divine sur les tables de pierre était dépassée, roulée de côté et désormais inscrite sur des tables de chair (2 Co 3, 3).
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- L’apparence de l’ange
Sa position assise évoque une chaire car l’ange était le docteur de la résurrection du Seigneur. Cette station assise de repos prouve la fin des tribulations du Christ en son humanité, puisqu’il est passé dans la gloire. « Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6, 9). Il écrase la tête du serpent, l’antique ennemi : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône » (Ps 109, 1).
L’ange avait l’apparence d’un éclair qui brille de cette connaissance de Dieu. « Son corps était comme de la chrysolithe, son visage comme un éclair, ses yeux comme des torches de feu, ses bras et ses jambes avaient l’éclat du bronze poli, et le son de ses paroles était comme la rumeur d’une multitude » (Dn 10, 6). Le Christ « éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9). Il est aussi terrifiant comme la voix de l’ange effraya Zacharie (Lc 1, 9). Ses vêtements resplendissants (« le vainqueur portera des vêtements blancs » (Ap 3, 5, cf. Qo 9, 8, Vulg. : « Ses vêtements sont toujours blancs »), plus éclatants que la neige immaculée révèlent la pureté des justes qui « ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau » (Ap 7, 14). Les gardes furent saisis d’effroi car ils avaient mauvaise conscience de servir l’iniquité : « La méchanceté est lâche lorsque son propre témoignage la condamne, toujours elle voit grandir les obstacles quand sa conscience l’oppresse » (Sg 17, 10).
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- L’annonce
Les femmes se taisaient par crainte car l’homme est toujours troublé par l’apparition d’un ange qui fait ressortir la fragilité de la condition humaine. Mais si l’ange est bon, il laisse toujours l’homme consolé. Comme à Zacharie ou à la Vierge Marie, il leur dit ici : « Sois sans crainte » (Lc 1, 13.30), bien que distinguant les saintes femmes des gardes, puisqu’elles croient au Christ, « vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur, mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils » (Rm 8, 15). Les anges ne peuvent connaitre les pensées des hommes sinon par révélation divine ou par un signe corporel.
Mais celui qu’elles cherchent, Jésus le Crucifié, n’est plus prisonnier du tombeau ni même des limites humaines marquées par la mort. Il est ressuscité, par sa propre puissance : « et moi, je me couche et je dors ; je m'éveille : le Seigneur est mon soutien » (Ps 3, 6). Il reproche sans doute aussi leur manque de foi car il rappelle les prophéties prédisant sa mort et sa Résurrection au troisième jour (Mt 20, 19). La parole du Seigneur ne peut faire défaut. Elles purent se convaincre par leurs propres yeux de la véracité de ce qu’atteste l’ange.
Ayant vu et cru, elles reçurent une mission, apostolique, d’annoncer aux apôtres cette Résurrection. Dans ce grand rétablissement de la Rédemption, si la première femme avait conversé avec le diable, ici l’ange bon rétablit la confiance de la créature envers son Créateur.
La Galilée indique, au-delà des apparitions à Jérusalem qui précédèrent, qu’il était de là-bas, qu’ils s’y sentaient tous plus en sécurité mais surtout qu’ils devraient partir annoncer aux païens qui y étaient plus nombreux, la bonne nouvelle du salut. Car comme Pâques signifie passage, Galilée aussi, vers les vastes horizons du monde : « par toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde » (Ps 18, 5).