1er Pâques - in albis (16/04 - lect. thom. doute S. Th)

Homélie du dimanche in albis (16 avril 2023)

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Lecture thomiste de la fin de l’évangile (Jn 20, 25-31) :

l’apparition aux apôtres en présence de S. Thomas

  1. L’apparition
    1. Contexte du huitième jour

L’apparition est séparée de huit jours de la Résurrection et de la première apparition vespérale. Ainsi le Christ ressuscité n’était pas en permanence avec ses apôtres. Sa vie glorieuse n’est pas identique à celle d’avant, de même que nous non plus nous ne ressusciterons pas pour la même vie. « Mais l’homme qui meurt va-t-il revivre ? Tous les jours de mon service, j’attendrai, jusqu’à ce que vienne ma relève » (Jb 14, 14) où Job compare la vie à un service militaire où le soldat attend un autre genre de vie au terme de sa carrière. Tous les jours on doit combattre dans l’Église militante. Mais là, on aspire au repos et à régner avec Dieu dans l’Église triomphante. Le délai servait aussi à laisser le temps à Thomas d’entendre entre-temps les disciples parler de l’apparition de Pâques afin qu’il soit enflammé d’un plus grand désir et devienne plus fidèle à l’avenir. Enfin, cette apparition signifie celle par laquelle le Christ nous apparaîtra dans la gloire : « quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). Et cette apparition évoque le huitième jour

Or le huitième jour, celui de la Résurrection, est souvent associé à l’eschatologie puisqu’il en est l’une des dimensions, comme un temps nouveau, éternel dans l’au-delà : « Pourquoi donc au huitième jour ? Parce que dans la semaine, le premier jour est le même que le huitième. En effet, les sept jours étant achevés, on revient au premier. Le septième se finit avec la sépulture du Seigneur, et on revient au premier avec la résurrection du Seigneur. La résurrection du Seigneur nous a en effet promis un jour éternel et a consacré pour nous le jour du Seigneur ». « Le septième âge sera notre sabbat, et ce sabbat n’aura pas de soir, mais il sera le jour du Seigneur et, pour ainsi dire, un huitième jour éternel : car le dimanche, consacré par la résurrection du Christ, préfigure l’éternel repos de l’esprit et du corps. Là, nous nous reposerons et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons. Voilà ce qui sera à la fin, sans fin. Car quelle autre fin avons-nous, sinon de parvenir au royaume qui n’aura pas de fin ? » (S. Augustin).

    1. Son mode

Seul S. Thomas avait besoin de cette apparition. Cependant, ce n’est pas à lui en particulier que le Seigneur apparut, mais en tant que membre de la communauté car Dieu apprécie ceux qui demeurent dans la communion de la charité : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Tous profitent de l’enseignement donné, non seulement Thomas mais tous ceux qui douteraient par la suite. Cette méfiance surmontée est l’enracinement de notre propre confiance. D’ailleurs, tous les apôtres n’avaient pas été appelés non plus en même temps (Jn 1, 35 ss) et donc tous n’étaient pas ensemble lors de la première apparition. Mais dans l’apparition future, aucun ne manquera – « Là où se trouve le cadavre, là se rassembleront les vautours (…). Il enverra ses anges avec une trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre coins du monde, d’une extrémité des cieux jusqu’à l’autre » (Mt 24, 28.31).

Le mode de l’apparition rappelle celui du dimanche soir de Pâques. Les portes étaient closes. L’agilité du corps glorieux n’est pas arrêtée par les obstacles matériels. Jésus se rend corporellement là où veut son esprit. Il apparaît au milieu des apôtres comme la pierre angulaire sans laquelle ils ne pourraient tenir ensemble. Il apportait la paix de la réconciliation, désormais accomplie à l’égard de Dieu : « Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » (Rm 5, 10). Cette paix est aussi celle de l’éternité et de l’immortalité à venir dont il leur promit la possession : « faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel » (Col 1, 20). Mais pour y parvenir, il faut pratiquer la paix de la charité et de l’unité qu’il leur a commandé de garder : « Vivez en paix entre vous » (Mc 9, 50).

  1. La confirmation de saint Thomas
    1. Saint Thomas veut voir et toucher

Ceux qui doutent ne sont pas abandonnés du Seigneur qui vient leur porter secours. Le juste peut tomber mais se relève alors que le réprouvé gît à terre sans prendre la main secourable : « S’il trébuche, il ne tombe pas car le Seigneur le soutient de sa main » (Ps 36, 24). S. Thomas a posé des conditions pour croire : voir et palper les cicatrices. Comme Jésus accomplit les conditions, il attend la réalisation de la promesse de l’incrédule.

Les stigmates du Christ peuvent surprendre dans un corps glorieux, normalement exempt du moindre défaut. Toutefois, il faut aussi pouvoir le reconnaître sans le moindre doute[1]. Depuis S. François d’Assise, on sait qu’elles sont un signe de l’union intime avec le Christ de ses élus. « Le Seigneur pouvait, s’il le voulait, faire disparaître toute marque de cicatrice du corps ressuscité et glorifié, mais il savait pourquoi il laissait les cicatrices dans son corps. D’abord pour les montrer à Thomas qui ne croirait pas s’il ne les touchait et voyait, ensuite pour blâmer les infidèles et les pécheurs lors du jugement (…) pour les confondre en disant : Voici l’homme que vous avez crucifié ; vous voyez les blessures que vous lui avez infligées, vous reconnaissez le côté que vous avez transpercé, puisque c’est par vous et pour vous qu’il a été ouvert et que cependant vous n’avez pas voulu entrer » (pseudo-Augustin).

    1. Le toucher est le sens le plus élevé de l’homme et conduit à la foi

Jésus reproche à S. Thomas sa lenteur à croire, alors que d’autres sont plus prompts. Faudrait-il voir pour croire puisque « la foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (He 11, 1). En réalité, l’apôtre a vu une chose (l’homme et les cicatrices) et en a cru une autre (la divinité du Christ ressuscité). Il confesse l’humanité (mon Seigneur) et la divinité (mon Dieu) de Jésus.

Pourquoi n’est-il pas fait mention du toucher dans la réplique de Jésus mais seulement de la vision ? Comme quand on utilise le terme ‘voir’ pour désigner tous les sens (‘Vois’ comme c’est chaud, comme cela retentit…) ? Voyant les blessures et les cicatrices, Thomas fut-il confondu et crut-il avant de mettre le doigt ? S. Grégoire le Grand penche pour un toucher réel. Dans l’esprit de l’Aquinate, le toucher est le sens de la vie, le plus nécessaire pour sa conservation : « le seul sens dont la privation entraîne chez les animaux la cessation de la vie ». « En ce qui concerne le toucher, [l’homme] possède une finesse très supérieure à celle des autres animaux, ce qui justifie qu’il soit le plus prudent d’entre eux ». Thomas, en touchant les stigmates du Christ, réveille son intelligence puis, porté par le regard et l’amour du Christ, pose un acte de foi.

Le Christ met en lumière la promptitude avec laquelle les autres crurent. Il y a deux types de béatitudes. La première renvoie à un don divin : plus il est donné, plus il rend bienheureux comme dans « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Lc 10, 23). Les apôtres eurent une grâce spéciale. L’autre béatitude concerne l’espérance et réside dans le mérite. Celui qui croit et ne voit pas mérite davantage que celui qui voit et croit.

  1. La récapitulation de tout ce qui a été dit dans l’Évangile

« Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre » (Jn 20, 30). Pour Chrysostome, Jean raconterait moins de miracles car il n’aurait pas voulu ni pu tout écrire. Comme ces signes sont après la Résurrection, peut-être Jésus montra-t-il, en privé, aux disciples, plus de signes encore. « Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts » (Ac 10, 40-42). La médiation de l’Église est nécessaire pour acquérir une vraie connaissance de Dieu. Il faut passer par l’élément humain pour atteindre le divin, autrement dit, la logique de l’Incarnation est continuée par son corps mystique.

Un livre consigne les projets (conceptiones) du cœur. Mais dans le Christ sont manifestés les projets de l’intelligence divine : « Ce mystère, c’est le Christ, en qui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance » (Col 2, 3). Et la volonté du Père était que le Fils s’incarnât pour sauver les hommes de leur péché. Le livre évoque aussi le livre de la vie (Ps 68, 29), dans lequel sont inscrits tous ceux qui doivent être sauvés, les prédestinés, mais selon un ordre. Le Christ n’est pas inscrit comme les autres mais « en tête du livre » et les autres s’inscrivent à sa suite, lui ressemblant. « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29) et « Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour » (Ep 1, 4).

 

[1] Ainsi au Jugement Dernier les corps ressuscitent-ils indemnes des outrages de la maladie ou de l’âge, dans leur pleine maturité (vers 30-35 ans). « Si des membres ont été amputés ou arrachés aux martyrs, il ne s’ensuivra cependant pas qu’ils en seront privés à la résurrection des morts (…). Mais des cicatrices seront visibles aux endroits où les membres, pour être détachés, ont été frappés ou coupés ; ces membres eux-mêmes ne se trouveront pourtant pas perdus, mais restitués » (Saint Augustin). Cela est préfiguré par le miracle de Notre-Dame du Pilier de Saragosse du 29 mars 1640 à Calenda. Miguel-Juan Pellicer (avant le 25 mars 1617 - 12 septembre 1647) avait été amputé mi-octobre 1637. Après que la jambe lui fut revenue (et le cercueil de celle-ci trouvé vide), elle portait encore des traces de lésions subies avant l’amputation : fracture du tibia, extraction d’un kyste à l’époque de l’enfance, morsure d’un chien, griffures d’une plante épineuse. Cela permettait son identification formelle.