Pâques (09/04 - ép. levain purifié)

Homélie du dimanche de Pâques (9 avril 2023)

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Le levain purifié

Méditons l’épître qui nous disait « Purifiez-vous du vieux levain » (1 Co 5, 7).

  1. Levain et orgueil
    1. Faire gonfler la pâte

Le pain au levain consiste à mettre de côté une culture de bactéries se développant à partir des composants normaux du pain : farine, eau avec éventuellement un peu de glucides (sucre, miel, jus de fruit ou confiture), le tout étant soumis à une certaine ventilation et température.

Finalement, ce procédé est assimilable à la pourriture dans le sens d’une décomposition puisqu’il s’agit d’une fermentation par les acides lactiques et les levures qui sont des champignons. C’est le levain qui fait lever la pâte, donc la gonfle et donne à la pâte son aération, les trous dans la mie.

On y voit le lien avec la mort. À la mort, le corps, élément matériel du composé humain, va à sa décomposition lente et se trouve ainsi séparé de son principe de vie, unificateur et lui donnant sa forme qu’est l’âme, laquelle est jugée par son Créateur. Un corps qui pourrit gonfle aussi, comme le pain. Comment ne pas y voir aussi une image de l’enflure de l’orgueil ?

    1. Enfler d’orgueil

S. Thomas évoque « l’enflure de l’esprit » (II-II, 162, 3, obj 1), reprenant l’expression biblique d’être gonflé ou enflé d’orgueil (2 M 5, 17 ; 2 Ch 32, 25 et notre épître (1 Co 5, 2). L’orgueil est un péché capital qui nous fait croire qu’on pourrait prendre la place de Dieu, c’est-à-dire se passer de lui. Finalement, le problème n’est pas si souvent posé dans nos vies par le corps mais bien par l’âme.

Le corps nous ramène à l’humilité. Il doit être nourri puis vidé. Il s’affaiblit par la maladie ou l’âge puis meurt. Nous sommes contraints de nous reconnaître limités par notre corps. L’âme au contraire peut jouer avec l’infini (notre volonté peut vouloir des choses physiquement impossibles comme être immortel ou se télé-transporter dans l’espace ou le temps). Parce que créée par Dieu, l’âme peut être tentée de se grandir indûment. Éternelle une fois créée[1], tout comme les anges (elle a un commencement, contrairement à Dieu mais pas de fin), elle tend vite à s’attribuer des pouvoirs qu’elle ne tire pas d’elle-même.

Notre Seigneur Jésus avait pourtant bien resitué les choses sur l’origine de l’impureté si souvent mal placée dans le corps : « Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre pour être éliminé ? Mais ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur » (Mt 15, 17-18). « Qui veut faire l’ange, fait la bête » affirmait Pascal.

  1. La purification
    1. Purifier en séparant

Le Christ nous demande donc de nous séparer de ces penchants mauvais en nous, d’où qu’ils viennent. Le contexte de l’épître traite d’ailleurs de scandales sexuels à Corinthe qui révulsent l’apôtre Paul (« une inconduite telle qu’on n’en voit même pas chez les païens : il s’agit d’un homme qui vit avec la femme de son père », v. 1). Cet inceste symbolique plus que réel n’est pas sans rappeler la terrible actualité de l’Église meurtrie par tant de scandales depuis des années.

Dieu a créé en séparant. Il nous recrée en séparant (« ἐκκαθάρατε οὖν τὴν παλαιὰν ζύμην, ἵνα ἦτε νέον φύραμα, καθώς ἐστε ἄζυμοι » : « Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté » v. 7). Ferment (dzymè) et azyme sont exactement symétrique avec le préfixe privatif a-zymos. La corruption vient de peu de choses et il convient de s’en préserver pour rester purs. Dieu entend nous recréer en nous séparant du péché qu’il écarte autant qu’il est possible : « aussi loin qu'est l'orient de l'occident, il met loin de nous nos péchés » (Ps 102, 12).

    1. Punir vraiment les coupables mais réformer par l’exemple l’Église

Il convient parfois de livrer le pécheur au pouvoir de Satan par l’anathème ou l’excommunication, autant on y voit une peine médicinale espérant toujours que le pécheur vienne à résipiscence : « au nom du Seigneur Jésus, lors d’une réunion où je serai spirituellement avec vous, dans la puissance de notre Seigneur Jésus, il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi, son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur » (v. 4-5). Il serait bon que soit repris l’ancien pontifical des évêques qui prévoyait pour les prélats ou ordonné fautifs une dégradation publique allant jusqu’à dépouiller le criminel des insignes de sa dignité reçus lors du sacre (pallium, mitre, évangile, anneau, crosse, sandales) ou de son ordination. On allait jusqu’à gratter avec un morceau de verre ou un couteau, sans effusion de sang, l’endroit où il avait été oint : les mains et la tonsure[2].

Mais il faut surtout que chacun d’entre nous cherche à se convertir. La faute dans l’Église est l’affaire de chacun, comme disait S. Mère Teresa à qui l’on demandait : « Quand vous voyez tout ce qui se passe dans l’Église et dans le monde, que faudrait-il changer ? — Mais vous et moi, cher Monsieur ! Ce qu’il faut changer c’est vous et moi ! ». Bernanos, de son côté, professait que l’Église n’avait pas besoin de réformateurs mais de saints. Et il précisait : « On ne réforme l’Église qu’en souffrant pour elle, on ne réforme l’Église visible qu’en soufrant pour l’Église invisible. On ne réforme les vices de l’Église qu’en prodiguant l’exemple de ses vertus les plus héroïques ».

    1. Les sacrements de la rémission

Voilà précisément ce à quoi servent les sacrements et la vie de prière. Au jeudi saint, le Seigneur s’est abaissé pour laver les pieds de ses disciples puis s’est relevé. Ce geste d’un enfouissement puis d’une sortie de l’eau ne peut qu’évoquer le baptême purificateur qui tire d’ailleurs son origine du coup de lance de S. Longin. « Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19, 34). Si l’eau du baptême lave tous les péchés qui l’ont précédé, le sang de l’aspersion (cf. Asperges ou Vidi aquam) nous lave de ceux d’après le baptême, évoquant les rites de l’ancienne alliance, sauf que là, le sang n’est pas celui d’animaux mais du Sauveur, le seul qui soit exempt de tout péché. « S’il est vrai qu’une simple aspersion avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, sanctifie ceux qui sont souillés, leur rendant la pureté de la chair, le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant » (He 9, 13-14). La purification d’extérieure est devenue intérieure.

Et le sang n’est pas que purificateur. Il est roboratif. Tout comme le corps a besoin d’être lavé et l’âme le fut par le baptême ; il a besoin d’être conforté par la nourriture pour son long chemin, à savoir l’Eucharistie (le sang de la communion du prêtre). Ainsi Élie fut ravitaillé par les corbeaux lors de sa fuite devant Achab (874-853) et Jézabel (1 R 17, 6). Il fuit de nouveau après avoir égorgé les « quatre cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d’Ashéra » (1 R 18, 19 et 40). Découragé, Dieu lui envoya son ange qui, par deux fois, alors qu’il était moralement et physiquement épuisé, lui dit : « voici qu’un ange le toucha et lui dit : ‘Lève-toi, et mange !’ » (1 R 19, 5-8).

  1. Mourir à soi-même pour revivre en Christ
  1. Le grain tombé en terre meurt pour porter du fruit

Ce rapport de la mort à de la vie (la fermentation du levain qui fait le bon pain nouveau), de la vie qui naît de la mort, rappelle évidemment cette parabole : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

Cette première mort est donc une mort à soi-même (« Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle », v. 25) pour être levé et même relevé mais d’un ferment nouveau. Non pas le gonflement par l’orgueil mais par l’Esprit-Saint, qui par ses dons, gonfle les voiles qui nous font avancer vers la Vérité.

Souvent nous ne cherchons pas Dieu au bon endroit, telles les saintes femmes qui vont rendre hommage en purifiant le corps d’un mort alors qu’il est ressuscité. Elles cherchent un corps mort et voilà qu’il a été glorifié par l’Esprit-Saint. Il est donc déjà au loin, en Galilée, là où il attend ses apôtres. Mais il est aussi capable de se rendre d’un endroit à l’autre à volonté (agilité) : de Galilée à Jérusalem ou ailleurs. Là, le corps n’oppose plus cette pesanteur que ressent parfois l’âme. N’accablons pas notre corps car si parfois la chair est faible (Mt 26, 41 ; Mc 14, 38), on a vu que généralement, c’était d’abord dans l’âme que naissaient les mauvais désirs, même si c’est exprimé sous la forme du cœur : « Car c’est du cœur que proviennent les pensées mauvaises : meurtres, adultères, inconduite, vols, faux témoignages, diffamations » (Mt 15, 19).

  1. La leçon du fomes peccati

N’oublions jamais la pédagogie divine et ce qu’on appelle le fomes peccati ou foyer de concupiscence. Le foyer de péché a consisté pour le premier homme, Adam, à douter de la bonté divine à son endroit, à croire que son Créateur aurait voulu garder quelque chose pour lui. Et ce quelque chose n’était pas même aussi important que l’immortalité qui lui était impartie comme un don préternaturel, c’est-à-dire en-dehors des lois de la métaphysique et même de la nature physique pour un composé de corps et d’âme qui aurait dû se dissoudre à un moment. Adam lorgnait simplement sur la science du bien et du mal. Il voulait prendre la place de Dieu et décider par soi-même ce qui serait bien ou mal, ce qui est particulièrement prégnant aujourd’hui : « Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres ! » (Is 5, 20).

L’âme de la créature s’est laissée gagner par la tentation offerte par Satan qui réussit à faire désobéir Adam. Or, suivant le principe qu’on est puni par où l’on a péché, Dieu s’est voulu pédagogue. L’âme ne voulant pas obéir au Créateur (premier chaînon), elle fut punie par la désobéissance de ce qu’elle ne contrôlerait plus qu’imparfaitement : les facultés supérieures de l’âme (raison et volonté) ne sont plus suivies aveuglément par la faculté inférieure de la sensibilité (les passions) (2nd chaînon) ; tout comme le corps n’obéit plus parfaitement à l’âme (3e chaînon).

  1. Aimer beaucoup Dieu pour lui obéir avec empressement

Pour guérir ce foyer de péché et que notre âme contrôle son corps et sa sensibilité, il faut donc que l’âme obéisse à Dieu. Ainsi est déjà anticipée la résurrection du corps qui sera glorifié à la fin des temps. Mais il est plus facile d’obéir à Dieu quand on l’aime. Quelquefois, un enfant n’est pas encore capable de comprendre que c’est vraiment son bien que ses parents recherchent pour lui. S’il n’a pas toujours envie de suivre son devoir moral, il le fera au moins parce qu’il veut leur faire plaisir, à défaut pour ne pas les peiner. Il convient donc de beaucoup aimer Dieu pour essayer de moins pécher.

Et l’amour de Dieu vient de l’Esprit-Saint. Aujourd’hui, les saintes femmes veulent oindre d’huile le corps de Jésus. Mais Marie-Madeleine l’a déjà oint, en faisant à Béthanie l’onction sur son corps vivant, ce qui suscita de Judas en particulier des commentaires peu amènes sur la valeur du parfum dépensé (alors que des pauvres, on en aura toujours) et de Simon le lépreux qui lui offre l’hospitalité une leçon sur ses capacités à savoir qui le sert. Offrons aujourd’hui notre parfum de nard précieux à Dieu par les larmes de notre repentir et la joie des caresses prodiguées au divin maître : « Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour » (Lc 7, 47). Quand on sait de quel cul de basse-fosse Dieu nous a sorti, on doit lui exprimer sa gratitude !

 

[1] Nous ne saurions souscrire aux affirmations fausses du pape François « L'enfer n'existe pas, ce qui existe c'est la disparition des âmes pécheresses » remettant en cause l’immortalité de l’âme des damnés dans son entretien de mars 2018 avec Eugenio Scalfari. Le Saint-Père s’est lui-même mis dans cette situation en convoquant le journaliste athée de la Repubblica à plusieurs reprises et le démenti du Vatican n’a pas nié que François eût tenu ce discours même non retranscrit verbatim ni même rappelé la saine doctrine. Déjà les philosophes grecs étaient pourtant parvenus à comprendre l’immortalité de l’âme. L’hérésie du conditionnalisme ou de l’annihilation des âmes damnées défendue par François « Celles qui se repentent obtiennent le pardon de Dieu et prennent leur place parmi celles qui le contemplent, mais celles qui ne se repentent pas, et qui donc ne peuvent pas être pardonnées, disparaissent » fut pourtant condamnée par le concile Constantinople II dès 553.

[2] Pontificale romanum summorum pontificum jussu editum a Benedicto XIV et Leone XIII recognitum et castigatum, éd. Laudate Dominum, p. 259 : ordo suspensionis sacrorum ordinum. S’il fallait six évêques en plus de l’ordinaire pour déposer un prêtre criminel (sauf en cas d’hérésie), il fallait douze évêques en plus du métropolitain pour instruire une déposition contre un évêque criminel. La condamnation était réservée au pape.

Date de dernière mise à jour : 09/04/2023