Rameaux 2023 (02/04 - réfutation option finale)

Homélie des Rameaux (dimanche 2 avril 2023)

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Réfutation de l’option finale envers Dieu à la mort

Aujourd’hui se répand l’hérésie de l’option finale qui fait accroire à une ultime possibilité de conversion dans la mort après illumination divine et réévaluation de sa vie. L’idée de Palémon Glorieux (1892-1979), recteur de l’Institut catholique de Lille, fut repris par le défroqué jésuite Ladislas Boros (1927-1981). La possibilité d’être surpris impréparé (non confessé d’un péché mortel) par une mort subite ne plait pas non plus à Alois Winklhofer (1907-1971). Le théologien franciscain de la libération Leonardo Boff (1908 -), défroqué marxiste, considère qu’aucune décision temporelle n’engagerait l’éternité et qu’une pleine maturité des facultés serait donnée dans la mort pour faire un choix dégagé des conditionnements et limites d’ici-bas. Si l’Église reconnaît la possibilité d’une conversion au dernier moment avant la mort, même invisible aux yeux de l’entourage, le reste au moment ou après la mort est faux.

  1. Apories anthropologiques : rappels sur la mort
    1. L’homme n’est pas un ange et son corps l’aide à gagner son salut

La mort est la séparation de l’âme et du corps. L’âme immortelle subit un jugement particulier devant son Créateur, à savoir Jésus dans son humanité (la vision de la divinité est réservée aux bienheureux du Paradis). Contrairement à Heidegger qui voyait dans la mort le point culminant de la vie, l’expérience enseigne que la mort n’est pas un bien, mais un mal de peine dû pour le péché originel. Dieu a retiré à Adam pour son mal de faute le don préternaturel de l’immortalité (la mort est naturelle du point de vue métaphysique puisqu’un composé corps-âme comme la personne humaine tend toujours à se dissoudre). Ces hérétiques positivent la mort et déprécient d’autant la vie qui ne serait qu’un tâtonnement, des tentatives disparates et éphémères vers l’accomplissement de soi qui n’interviendrait qu’à la mort.

Contre le platonisme qui voit dans le corps un tombeau pour l’âme (sôma – sema), la foi catholique enseigne que l’intégrité de la personne humaine est celle d’une âme faite pour animer un corps. L’option finale dissout l’unité substantielle du corps et de l’âme en laissant croire que seule l’âme aurait de la valeur devant Dieu puisqu’elle seule se prononcerait pour lui librement une fois débarrassée du corps. Ce ne serait donc plus une décision humaine mais proche d’un pur esprit, comme le choix des anges pour ou contre Dieu (‘non serviam’ de Satan). Ces hérétiques déforment S. Jean Damascène souvent cité par S. Thomas d’Aquin : « ce que la mort est pour les hommes, la chute l’est pour les anges » (hoc est hominibus mors quod angelis casus[1]). Or contrairement aux purs esprits que sont les anges, notre corps est pour le bien de l’âme car « l’union de l’âme au corps, en effet, n’existe pas en raison du corps, mais de l’âme, car la forme n’est pas pour la matière, mais la matière pour la forme » (de Malo, 5, 5).

« Après cette vie, l’homme n’a plus la faculté d’atteindre sa fin dernière. Pour atteindre celle-ci, l’âme a besoin en effet de son corps, car par son corps elle se perfectionne en science et en vertu ; une fois séparée de son corps, l’âme ne revient plus à cet état où par lui elle acquiert son perfectionnement » (Summa contra gentiles III, 144). Si la vraie foi tempère la responsabilité humaine au regard des passions, de l’hérédité, de l’environnement, elle affirme néanmoins la liberté humaine capable de mener une vie vertueuse soutenue par la grâce de Dieu pour ne pas rester soumis à l’animalité ou irrationalité.

    1. Mort et éternité

Pour l’option finale, la mort serait à la fois un instant sans consistance et un temps qui dure. Elle serait finalement non pas déterminante mais prise dans l’instant de la mort de telle manière que l’âme puisse faire un retour sur elle-même et changer radicalement son orientation. Ainsi, la mort serait simultanément durable et instantanée, ce qui est contradictoire. La mort est la limite de la vie mais n’en fait pas partie, comme la digue est la limite de la mer sans en être mais de la terre ferme.

Glorieux appliquait erronément l’instantanéité de la justification du pécheur par S. Thomas à une instantanéité ultime dans la mort. S. François de Sales corrige cette erreur : « Notre esprit certes ne sort pas petit à petit de son corps, mais en un moment, lorsque l’indisposition du corps est si grande qu’il ne peut plus y faire des actions de vie ; de même, à l’instant que le cœur est tellement détraqué en ses passions, que la charité n’y peut plus régner, elle le quitte et abandonne ; car elle est si généreuse, qu’elle ne peut cesser de régner sans cesser d’être » (Traité de l’amour divin, 4, 4).

La mort met fin au status viæ, de pèlerin en ce monde dans lequel on peut toujours se repentir. Elle relèe du status termini qui arrête tous les comptes, tout comme la justification appartient au statut de la grâce et non du péché (à ce qui suit et non à ce qui précède). Quand la personne meurt, son âme quitte la temporalité pour entrer dans l’éviternité car il existe deux types d’éternité : la pleine éternité au sens vrai du terme est réservée à Dieu et n’a ni commencement ni fin (æternum). Celle qui a un commencement mais pas de fin (ævum) est propre aux anges et aux âmes. Le dernier instant de la vie ne peut être à la fois le premier de l’éviternité, ce serait contradictoire. Le récit des expériences de mort imminente (NDE) tend à ajouter de la confusion sur une étape intermédiaire car ces gens ne sont pas réellement morts. Plus qu’un passage ou tunnel, la mort est une séparation.

  1. Apories théologiques : rappels sur le jugement particulier à la mort
    1. Donné scripturaire

Ces hérétiques ne savent comment expliquer le jugement particulier. Comment être jugé sur des choix qui n’auraient pas de poids d’éternité alors qu’on pourrait réviser face à Dieu une dernière fois l’orientation de sa vie ? Toute la Sainte Écriture va dans le même sens. « Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler » (Jn 9, 4) a une portée théologique profonde (C. Düren). Les Pères de l’Église l’interprètent ainsi : « Que dire de cette nuit ? Quand viendra-t-elle ? Quand personne ne pourra-t-il plus agir ? [...] Que l’homme profite donc de la vie pour agir, dans la crainte d’être surpris par cette nuit où personne ne peut agir. C’est à la foi d’agir maintenant par la charité ; et si nous agissons maintenant, nous nous trouvons dans le jour, nous sommes dans le Christ. [...] Pendant que tu vis, agis si tu veux agir ; car à la vie succédera une nuit qui enveloppera les impies. Elle saisit tout infidèle dès le moment de sa mort, et alors il n’est plus temps pour lui de travailler. Le mauvais riche s’y trouvait plongé, quand il était dévoré de la soif, et demandait qu’avec son doigt le pauvre vînt déposer sur sa langue une goutte d’eau. Il se lamentait, il se tourmentait, il s’avouait coupable, et toutefois, personne ne lui apportait de soulagement ; de plus, il voulait faire du bien aux autres. ‘Père Abraham’, s’écriait-il, ‘envoyez Lazare à mes frères, afin qu’il leur dise ce qui se passe ici, et qu’ils ne viennent pas eux-mêmes dans ce lieu de tourments’ (Lc 16, 24-28). Malheureux ! Quand tu vivais, c’était le moment de travailler ; maintenant, tu es plongé dans la nuit où personne ne peut plus agir ! » (S. Augustin).

Dans la parabole du bon grain et de l’ivraie, Jésus interprète le champ comme ce monde (Mt 13, 38), lieu exclusif où sont préparées les réalités eschatologiques qui nous attendent à notre fin et à la fin du monde. Là se joue le destin éternel de chacun. C’est seulement dans ce monde que Dieu sème le bon grain et Satan l’ivraie et la « fin des temps » est constituée pour chaque homme par sa mort. La conversion n’est possible que jusqu’à la mort. S. Benoît de Nursie rappelait : « Il nous faut donc préparer nos cœurs et nos corps à combattre sous la sainte obéissance des divins commandements.... Et si nous voulons fuir les peines de l’enfer et parvenir à la vie éternelle tandis qu’il est temps encore, et que, demeurant en ce corps, nous pouvons à la lumière de cette vie accomplir toutes ces choses, il nous faut courir et agir d’une façon qui nous profite pour l’éternité » (Règle, prologue, 40, 42-44).

Saint Paul affirme qu’« il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps » (2 Co 5, 10). Aucun doute n’est possible : seule l’action du vivant et non du mort hors de son corps est prise en compte pour la rétribution éternelle. À ceux qui croyaient que libérée de son corps, l’âme serait illuminée pour pouvoir choisir plus convenablement et librement, S. Grégoire de Nazianze affirme : « Recevez l’illumination pendant qu’il en est temps ‘afin que les ténèbres’ ne vous poursuivent pas et ‘ne vous arrêtent pas’, en vous séparant de l’illumination. ‘La nuit vient où personne ne peut travailler’, après le départ d’ici-bas. [...] La fin viendra brusquement, au jour où tu ne l’attends pas, à l’heure que tu ne connais pas ; alors, c’est pour toi, comme pour un voyageur imprudent, la pénurie de la grâce, et tu souffriras de la faim au milieu des si grands trésors de la bonté ».

    1. Donné dogmatique

La mort est la fin du temps où l’on puisse mériter. Elle est immédiatement (in morte ipsius) suivie d’un jugement particulier de l’âme. S. Thomas considère hérétique l’hypothèse qu’elle attendrait le jugement général (IV Sent. 45, 1, 1, qc. 2, sol. 2). « Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché originel, elles descendent immédiatement en enfer, où elles reçoivent cependant des peines inégales » (conc. Lyon II, DH 858). « Selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines éternelles » (Benedictus Deus de Benoît XII, 1336, DH 1002, repris par le conc. Florence, 1439, DH 1306). Ces affirmations dogmatiques impliquent que les peines et récompenses données immédiatement après la mort ont évidemment suivi un jugement particulier après la mort. Le catéchisme du concile de Trente affirme : « Le premier (jugement) arrive au moment où nous venons de quitter la vie. À cet instant-là même, chacun paraît devant le tribunal de Dieu, et là il subit un examen rigoureux sur tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a pensé pendant sa vie. C’est ce qu’on appelle le jugement particulier ».

Ce jugement est naturellement juste. L’âme accepte la sentence portée sur elle : « Venez, les bénis de mon Père… » ou bien « Allez-vous-en, maudits, au feu éternel » (Mt 25, 34. 41). En effet, ce jugement consiste en une illumination divine (mentaliter) qui éclaire l’âme qui se voit comme Dieu la voit, sans façade trompeuse sur ses mérites et ses démérites, sur la valeur morale de toutes ses actions. Ce jugement ne requiert ni témoins ni discussion et se fait instantanément, à l’instant même de la mort, de sorte que, dès qu’il est vrai de dire d’une personne qu’elle est morte, il est vrai de dire aussi qu’elle est jugée. Dieu connaît l’âme immédiatement, et l’âme, à l’instant même où elle est séparée de son corps, se voit immédiatement dans la vérité. Tout est fini, achevé, scellé par la mort : « amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, ou amour de soi jusqu’au mépris de Dieu » (S. Augustin). Dieu juge et l’âme se félicite ou se condamne. Ne parlons pas d’un auto-jugement qui ne rend pas assez compte du péché comme offense à Dieu et de l’accès au Paradis comme don de Dieu. Dieu n’est pas le spectateur qui se bornerait à sanctionner une ultime auto-réalisation personnelle après illumination. Illumination il y a bien mais projetée sur l’âme afin qu’elle reconnaisse la justesse du jugement divin et non pas sur Dieu pour apporter à l’âme une connaissance qui lui permettrait de rattraper les mauvais choix de sa vie. L’option finale fait subtilement passer d’une illumination ‘de jugement’ à une illumination ‘de choix’. L’hérésie et donc le diable se cachent toujours dans les détails.

Conclusion

Comme toujours dans la modernité, on cherche à vider l’enfer et à sauver quoi qu’il en coûte les enfants morts sans baptême (qui dans les limbes n’ont qu’une félicité naturelle mais ne voient pas Dieu) et les infidèles négatifs ou les baptisés morts en état de péché mortel. Finalement, nous ne sommes pas loin de l’hérésie universaliste d’Origène sur l’apocatastase où après la mort, on pourrait se convertir quand même (y compris les démons !).

L’option finale remet en cause beaucoup de points essentiels de notre religion. Où est la valeur de la foi théologale ? Elle adhère à la parole de Dieu, ce qui la pousse à mériter par des bonnes œuvres, malgré son caractère obscur. L’option finale croit qu’on verrait Dieu au moment de sa mort en adhérant à lui dans la lumière. La doctrine de la grâce et du mérite affirme que la vie éternelle est une grâce de Dieu. Elle serait battue en brèche puisque Dieu serait tenu d’accorder à toute âme de le voir au moment de la mort et de lui donner l’occasion de se sauver. L’homme mériterait la vie éternelle par ses propres forces car c’est uniquement de lui que dépendrait son salut (pélagianisme). Le péché mortel serait réduit à un rejet de Dieu au moment de la mort, rendant impossibles à comprendre les mises en garde de l’Église contre toute forme de péché mortel en cette vie, cause de damnation si l’on ne s’en repent avant la mort. La morale serait ébranlée puisque l’option finale rejoint l’option fondamentale selon laquelle il suffirait que la courbe générale de la vie soit orientée vers Dieu pour garantir une option finale pour lui dans la mort.

En résumé, gravons-nous dans la tête : « dans tout ce que tu fais, souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais » (Sir 7, 36).

 

[1] Labourdette s’écria : « C’est évidemment une assertion inouïe dans la tradition chrétienne, depuis vingt siècles, qu’une immense partie de l’humanité joue son salut dans une sorte d’épreuve angélique après la mort, à l’état d’âmes séparées ! L’Église a toujours enseigné, et son Magistère ordinaire y est évidemment engagé sans qu’elle ait eu à le définir, que l’état de ‘voie’ cesse avec la vie présente » (Cours sur la foi, polycopié, p. 227).