Homélie du 4e dimanche de l’Avent (18 décembre 2022)
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Le 6e commandement (1) : la théologie du corps
Les commandements humains sont souvent formulés négativement : « Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex 20, 14 ; Dt 5, 17). Mais on ne le comprendra pas avant d’avoir rappelé la vision extrêmement positive de l’Église sur la sexualité humaine, mieux explicitée par la théologie du corps de Jean-Paul II. Nous irons à rebours des préjugés tant du monde qui nous croit coincés que d’extrémistes de la Tradition qui s’arcboutent sur la prétendue inversion des fins du mariage.
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- Le mariage indissoluble, un des derniers signes distinctifs de la vraie foi ?
- L’Église est seule face à la plaie du divorce
Jean-Paul II commence sa catéchèse sur le mariage par le divorce qui affecte aujourd’hui 46% des mariages en France ! Les Juifs pensent piéger Jésus par une ‘fourchette’ comme aux échecs (Mt. 19, 3-12). Soit Jésus renie ses convictions sur l’indissolubilité du mariage, soit il se fait juge de la loi mosaïque qui autorise le divorce (Deut 24, 1), juste parce que la femme brûle un plat suivant Hillel (Talmud, Gittin, 90a). La question du divorce et la non-admission à la communion eucharistique de divorcés dits ‘remariés’ qui sont en fait adultères (n’en déplaise à Amoris Lætitia) reste une pierre d’achoppement qui en fait chuter beaucoup (1 P 2, 8), un signe de contradiction (Lc 2, 34).
Toutes les religions au monde (judaïsme, islam, religions asiatiques) admettent le divorce, même les autres confessions chrétiennes. Chez les protestants, Henri VIII créa son ‘église’ anglicane pour divorcer librement de Catherine d’Aragon qui ne lui donnait pas de fils. Il fut puni par Dieu puisqu’avec six femmes, il n’eut qu’Édouard VI de Jeanne Seymour qui ne régna que six ans mais mineur de 9 ans à 14,5 ans. L’orthodoxie par son ‘économie de miséricorde’ admet jusqu’à 3 mariages. L’Église catholique est la seule à tenir mordicus : « donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 9). On ne pourra rien exciper du « sauf en cas de porneia » (Mt 19, 9) car elle signifie une union illégitime come chez la Samaritaine : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai » (Jn 4, 17-18). Le monde croit que l’Église devrait changer de position et maintenant aussi le pape qui court après le monde pour le rejoindre. Mais cela n’est pas permis car cela relève du droit divin intangible et non pas du droit ecclésiastique réformable. Ne tombons pas dans une vision toute horizontale, humaine. N’oublions pas l’aspect vertical, surnaturel, divin.
- Le mariage signifie l’union indissoluble entre Dieu et l’humanité
Le mariage dans la Bible est si important qu’il forme une inclusion ou une symétrie des 73 livres de la Bible, d’Adam et Ève : « Soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1, 28) au Marana Tha : « L’Esprit et l’Épouse disent : ‘Viens !’ » (Ap 22, 17). La vie publique de Jésus commence aux noces de Cana (Jn 2, 1-11) et le Paradis est présenté comme les noces de l’Agneau (Ap 19, 7.9). La réalité mystique du mariage et son indissolubilité s’enracinent dans l’union hypostatique. Par le mystère de l’Incarnation, Jésus célèbre en sa personne divine les noces entre la divinité et l’humanité. Nous ne serons divinisés, sanctifiés que par ce biais. « Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit l’Écriture : ‘À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un’. Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. Pour en revenir à vous, chacun doit aimer sa propre femme comme lui-même, et la femme doit avoir du respect pour son mari » (Eph 5, 29-33).
Dieu est pur esprit et n’a donc pas de corps. Mais la seconde personne de la Sainte-Trinité, le Fils, le Verbe de Dieu (Logos), a assumé par l’Incarnation une nature humaine. La christologie a exprimé des dogmes qui font écho au mariage. Le concile de Chalcédoine (451) affirme que l’union entre la divinité et l’humanité de Jésus est réelle mais sans confusion puisque chacun conserve sa personnalité (pas d’amour-fusion). Elle demeure pour toujours car indissoluble. En remontant auprès du Père à l’Ascension, le Christ ne se déleste pas de son humanité mais lui donne accès à Dieu le Père pour la diviniser.
Raison aussi pour laquelle le prêtre est célibataire. Un sacrement est signe visible et efficace d’une grâce invisible. L’homme se lave avec de l’eau, l’aspersion du baptême lave l’âme du péché originel qu’elle a contracté à sa conception. Le pain nourrit le corps de l’homme, l’Eucharistie nourrit l’âme humaine (voire le corps en cas d’inédie pour les saints à qui Dieu fait grâce de survivre avec la communion eucharistique comme seule nourriture, tel S. Nicolas de Flüe pendant 19 ans, de 1468 à 1487). Le Christ est le modèle que tout prêtre incarne par deux signes extérieurs : sa masculinité puisque Jésus s’est incarné comme homme et son célibat (l’une des trois promesse). Le prêtre n’est pas un cœur encore à prendre, il est un cœur déjà donné à Dieu et à son Église où il tient la place de l’Époux.
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- La communio personarum
- « Au commencement, il n’en était pas ainsi »
« Le Seigneur Dieu dit : ‘Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra’ » (Gn 2, 18). La solitude originelle montre que l’homme n’est pas fait pour être seul : Aristote dit qu’il est un animal ‘politique’ au sens de social. Dieu créa donc pour lui tenir compagnie des animaux. Mais, dans sa nudité, Adam reconnaît qu’ils sont corporellement différents de lui et ne peuvent être des partenaires car ils sont d’une autre espèce et même d’un autre rang. Or il a besoin d’un vis-à-vis, d’un égal puisque, pour Aristote, l’amitié n'est qu’entre égaux (Éthique à Nicomaque, VIII, 7, 13-14). Aussi entre un humain et un animal, il ne peut y avoir que de l’attachement ou une sorte d’affection mais pas d’amour. N’en déplaise aux nouveaux extrémistes de la cause animale qui nous rabaissent aux rangs de purs animaux et nient la différence ontologique.
L’homme n’est pas qu’une somme d’instincts animaux. Il humanise tout, y compris ces activités qui s’enracinent dans les besoins animaux. Un repas n’est pas qu’un besoin de se sustenter mais crée du lien social. La relation sexuelle ne satisfait pas des hormones ni même l’instinct de survie de l’espèce (darwinisme). L’un comme l’autre sont des langages, des lieux de la rencontre entre êtres humains.
- Le sceau du mariage, l’union charnelle, réalise l’image divine
Si l’homme a besoin d’un égal, il n’a pas besoin d’une domestique ou boniche. Le mot hébreu ‘ezer’ se rapporte toujours à une intervention divine, à un soutien du Créateur. La torpeur d’Adam pendant la création d’Ève montre la passivité de l’homme et l’intervention directe de Dieu dans la création de la femme, donc son égale dignité car tous deux ont une origine directement en Dieu. « Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : ‘Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme, elle qui fut tirée de l’homme’ » (Gn 2, 21-23).
Cette fois-ci, Adam reconnaît dans la femme une vraie partenaire, une personne qui lui ressemble vraiment. L’hébreu (ishsha < ish) ou l’anglais (woman < man) indiquent clairement leur similarité due à leur commune origine divine. On comprend mieux : « on l’appellera femme, elle qui fut tirée de l’homme ». Mais comme l’hébreu ne connaît pas de superlatif (cette gradation des adjectifs ou adverbes : bien < mieux < le mieux), il exprime ce qui se fait de mieux en répétant le mot : le saint des saints, le cantique des cantiques. Donc, lorsqu’il dit « os de mes os, chair de ma chair », Adam veut dire qu’Ève est plus lui-même que lui-même.
La femme est un cadeau de Dieu pour l’homme, comme l’homme est un don de Dieu pour la femme. L’alter ego ou autre moi-même permet à l’être humain d’advenir à la plénitude de son humanité, de s’accomplir. Par la procréation, l’homme fait de la femme une mère, la femme fait de l’homme un père. Même en métaphysique, c’est lorsqu’on est capable de communiquer son être qu’on est alors pleinement en acte et non plus seulement en puissance. Le feu par exemple communique sa chaleur à ce qui l’approche.
Or, la vocation de l’homme est sacramentelle. Il signifie, par le visible, une réalité invisible. L’union charnelle qui scelle le mariage signifie la communion des personnes, soit ce qui se vit en Dieu. « Dieu dit : ‘Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance’ » (Gn 1, 26). En passant de la 3e personne du singulier à la 1ère personne du pluriel, la Bible se réfère la Très-Sainte-Trinité. La substance de Dieu est l’amour : « Deus caritas est » (1 Jn 4, 16). Or l’amour, bien suprême, se donne comme tout bien (bonum diffusivum sui). Comme l’amour n’est pas narcissique, mais richesse d’être et suppose plusieurs personnes. Mais en Dieu, le parfait alter ego est en soi-même, tel un brasier ardent de charité nourri de trois bûches. Le Père donne tout ce qu’il est (son essence) au Fils qui se reçoit et s’accepte comme n’étant pas la source de la divinité et qui se donne en retour au Père. Ce baiser éternellement échangé entre le Père et le Fils est la personne du Saint-Esprit. La troisième personne divine, âme de la Sainte-Église qui seule divinise, fait entrer l’homme dans cette communication ad extra, vers l’extérieur de la divinité. Ainsi, un vrai couple dit analogiquement quelque chose de la vie divine et donc de la sublime vocation de l’homme. Raison pour laquelle beaucoup de saintes ont connu des mariages spirituels ou mystiques du côté de l’épouse tandis que le sacerdoce place le prêtre du côté de l’Époux puisqu’il engendre à la vie surnaturelle des enfants à l’Église.
Conclusion
Un mariage n’est vraiment scellé que par l’union sexuelle, autrement il est ratifié mais non consommé (ratum sed non consummatum, CIC 1061, 1). Les consentements ne suffisent pas. Pour que l’union sexuelle signifie véritablement, elle doit respecter sa vérité profonde. Le véritable amour est unique, définitif, public. Consommer l’union avant le mariage, serait comparable à un séminariste qui prétendait célébrer la Sainte Messe ou entendre une confession avant d’être ordonné prêtre (ce serait dans son cas un ‘attentat au sacrement’ valant suspense ou interdit voire excommunication et l’empêcherait d’être ordonné ensuite (CIC 1378, 2)).