Chandeleur 2023 (05/02 - 7e command. 2)

Homélie de la Chandeleur / Purification de la BVM (4 février 2023)

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Le septième commandement (2)

  1. La justice sociale

Les activités économiques et la croissance de la production sont destinés à subvenir aux besoins des êtres humains et pas seulement à multiplier les biens ni augmenter le profit ou la puissance. Elle est d’abord ordonnée au service des personnes, de l’homme tout entier et de toute la communauté humaine, dans l’ordre moral.

Le travail humain procède immédiatement des personnes créées à l’image de Dieu, et appelées à prolonger l’œuvre de la création en dominant la terre (Gn 1, 28 ; GS 34 ; CA 31). Le travail est donc un devoir : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10). Il honore les dons du Créateur et les talents reçus. Il peut aussi être rédempteur en endurant sa peine (Gn 3, 14-19) en union avec Jésus, l’artisan de Nazareth et le crucifié du Calvaire. Le travail n’est pas une torture (tripalium) comme l’envisagent les marxistes mais un moyen de sanctification. La valeur primordiale du travail tient à l’homme même, qui en est l’auteur et le destinataire. Le travail est pour l’homme, et non l’homme pour le travail (Laborem Exercens 6). Il permet de subvenir à ses besoins et de rendre service à la communauté humaine. Contre le communisme et sa planification d’État, chacun a le droit d’initiative économique, en usant de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous et pour recueillir les justes fruits de ses efforts. Il faut se conformer aux réglementations des autorités légitimes en vue du bien commun (CA 32 ; 34).

La vie économique met en cause des intérêts souvent opposés entre eux, source de conflits (LE 11) qu’il faut réduire autant que possible par une négociation respectant les droits et devoirs de chaque partenaire social : entreprises, représentants salariés (syndicats). Il faudrait s’inspirer en France du dialogue social allemand où siègent au conseil d’administration des syndicats et pas que des actionnaires. Ce n’est qu’après qu’interviennent, éventuellement, les pouvoirs publics dont le rôle principal serait d’abord, outre la garantie des libertés individuelles et de la propriété, d’offrir une monnaie stable et des services publics efficaces afin que ceux qui travaillent jouissent du fruit de leur travail et se sentent stimulés à l’accomplir avec efficacité et honnêteté (CA 48). Les responsables d’entreprises portent devant la société la responsabilité économique et écologique de leurs opérations (CA 37). Ils doivent viser le bien des personnes et pas seulement l’augmentation des profits, nécessaires cependant pour les investissements qui assurent l’avenir des entreprises et garantissent l’emploi.

L’accès au travail et à la profession doit être ouvert à tous sans discrimination injuste, hommes et femmes, bien portants et handicapés, autochtones et immigrés (LE 19 ; 22-23). La société doit aider les citoyens à se procurer un travail (CA 48). Le chômage atteint la dignité et menace l’équilibre de la vie avec des risques nombreux pour le foyer (LE 18). Le juste salaire est le fruit légitime du travail. Le refuser ou le retenir est un péché qui crie vengeance contre Dieu (Lv 19, 13 ; Dt 24, 14-15 ; Jc 5, 4). Une rémunération équitable tient compte non seulement de l’accord des parties mais encore des besoins et contributions de chacun pour une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel (GS 67, 2). Il faut payer aux organismes de sécurité sociale les cotisations établies par les autorités légitimes. La grève est légitime comme recours inévitable en vue d’un bénéfice proportionné. Elle devient moralement inacceptable avec la violence ou si les objectifs ne sont pas directement liés aux conditions de travail ou contraires au bien commun.

  1. Solidarité entre nations

Au plan international, l’inégalité des ressources et des moyens provoque entre les nations un véritable fossé (Sollicitudo Rei Socialis 14) entre les plus riches et le plus endettés. Une certaine solidarité est nécessaire entre les nations dont les politiques sont déjà interdépendantes par la mondialisation. « En redéfinissant les priorités et les échelles des valeurs » (CA 28), il faudrait lutter contre des « mécanismes pervers » s’opposant au développement (SRS 17, 45) comme des systèmes financiers abusifs (CA 35), des relations commerciales iniques privilégiant la course aux armements plutôt que le développement. Les nations riches ont une responsabilité morale grave à l’égard de celles qui ne peuvent assurer seules leur développement (ou touchées par de tragiques événements). Elles le doivent par justice si les ressources n’ont pas été équitablement payées, sinon par charité. L’aide directe est appropriée lors de catastrophes naturelles, épidémies mais est insuffisante. Il faut aussi réformer les institutions économiques et financières internationales pour promouvoir des rapports équitables avec les pays moins avancés (SRS 16) et soutenir l’effort des pays pauvres travaillant à leur croissance (CA 26), particulièrement dans l’agriculture car les paysans forment la masse prépondérante des pauvres. Le développement complet de la société humaine multiplie les biens matériels au service de la personne et de sa liberté, diminue misère et exploitation économiques et fait croître le respect des identités culturelles et l’ouverture à Dieu (SRS 32 ; CA 51). Mais on ne peut nier que les pays arriérés aient leur part à faire car les structures tribales, l’Islam sont souvent des freins au développement (‘Boko Haram’ au Nigéria signifie ‘interdire les livres’ !).

Les pasteurs de l’Église n’ont pas à intervenir directement dans la construction politique ni dans l’organisation sociale. C’est la vocation des fidèles laïcs « d’animer les réalités temporelles avec un zèle chrétien et de s’y conduire en artisans de paix et de justice » (SRS 47) de leur propre initiative avec leurs concitoyens. L’action sociale implique une pluralité de voies concrètes mais doit servir le bien commun et suivre l’enseignement de l’Église.

  1. L’amour des pauvres

Dieu bénit ceux qui aident les pauvres et réprouve ceux qui s’en détournent : « À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos » (Mt 5, 42) ; « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8). À ce qu’ils auront fait pour les pauvres, Jésus reconnaîtra ses élus (Mt 25, 31-36). « La bonne nouvelle annoncée aux pauvres » (Mt 11, 5 ; cf. Lc 4, 18), est un signe messianique. L’amour des pauvres motive même le devoir de travailler, afin de « pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux » (Ep 4, 28). Il ne s’étend pas seulement à la pauvreté matérielle, mais aussi aux nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse. Il est incompatible avec l’amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste : « Eh bien, maintenant, les riches ! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont souillés, et leur rouille témoignera contre vous : elle dévorera vos chairs ; c’est un feu que vous avez thésaurisé dans les derniers jours ! » (Jc 5, 1-3). « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n’accomplissons un acte de charité » (S. Grégoire le Grand).

Les œuvres de miséricorde sont des actions charitables aidant notre prochain (Is 58, 6-7 ; He 13, 3). Il existe sept œuvres spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute ; enseigner les ignorants ; avertir les pécheurs ; consoler les affligés ; pardonner les offenses ; supporter patiemment les personnes ennuyeuses ; prier Dieu pour les vivants et pour les morts. Les sept œuvres de miséricorde corporelle sont : donner à manger aux affamés ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les pèlerins ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts (Mt 25, 31-46). L’homme, limité par nature, ne peut les exercer toutes et souvent on est plus porté vers les unes ou les autres. Seul le Christ est l’homme parfait. Des ordres religieux furent créés pour en pratiquer plus particulièrement certaines d’où les ordres enseignants (Ursulines, Dominicains, Jésuites), soignants (Augustines), s’occupant des prisonniers (les Trinitaires visitent les prisonniers et les rachetaient autrefois aux Barbaresques).

L’aumône (Tb 4, 5-11 ; Si 17, 22) témoigne de la charité fraternelle et plaît à Dieu (Mt 6, 2-4) : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a à manger fasse de même » (Lc 3, 11) ; « Donnez plutôt en aumône tout ce que vous avez, et tout sera pur pour vous » (Lc 11, 41). C’est la preuve d’une foi agissante et qui ne se paie pas de mots : « Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise : ‘Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous’, sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? » (Jc 2, 15-16 ; 1 Jn 3, 17).

  1. Le soulagement de la misère œuvre à notre salut

Les multiples formes de la misère humaine : dénuement matériel, oppression, infirmités physiques et psychiques, mort, manifestent la faiblesse native dans laquelle l’homme gît depuis le premier péché et donc qu’il a besoin de salut. Elle a attiré la compassion du Christ Sauveur qui a voulu la prendre sur lui et s’identifier aux ‘plus petits d’entre ses frères’. C’est pourquoi l’Église n’a cessé de travailler à les soulager, défendre et libérer par d’innombrables œuvres de bienfaisance que même le monde mauvais reconnaît et loue (S. Damien de Molokaï et ses lépreux, S. Mère Teresa de Calcutta et les missionnaires de la charité avec leurs mouroirs, et des cas moins saints mais bien actifs Abbé Pierre et les Emmaüs, Sœur Emmanuel et les chiffonniers du Caire) mais elle ne va pas sans évangélisation car la principale pauvreté est de ne pas connaître Jésus et se savoir aimé d’un Dieu qui s’est fait homme pour nous diviniser. Il faut aussi le courage de déplaire au monde lorsqu’on rappelle l’ordre moral qui mène à l’enfer quand on ose le bafouer.

Dans l’Ancien Testament, des mesures juridiques (année de rémission avec le jubilé/année sabbatique, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d’un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à ce défi constant : « Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays » (Dt 15, 11) repris par Jésus : « Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous : mais moi, vous ne m’aurez pas toujours » (Jn 12, 8). Nous ne devons pas nous lasser et surtout reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères (cf. Mt 25, 40) : « Le jour où sa mère la reprit d’entretenir à la maison pauvres et infirmes, sainte Rose de Lima lui dit : ‘Quand nous servons les pauvres et les malades, nous servons Jésus. Nous ne devons pas nous lasser d’aider notre prochain, parce qu’en eux c’est Jésus que nous servons’ ». Histoire de ne pas entendre au jour du jugement : « À moi non plus vous ne l’avez pas fait » (Mt 25, 45). Surtout que traditionnellement, le salut et est assimilé au rachat de l’esclave comme avec l’indulgence plénière des peines temporelles du purgatoire ou le pardon à une dette dans le Notre-Père (dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris). Et c’est à la mesure dont nous pardonnons que nous le serons nous-mêmes.