Sexagésime (12/2 - 7e command.)

Homélie de la Sexagésime (12 février 2023)

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Huitième commandement : Tu ne mentiras point

Le précepte est un résumé qui diffère du : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain » (Ex 20, 16) ou « il a été dit aux anciens : tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments » (Mt 5, 33). Le huitième commandement interdit de travestir la vérité. Le peuple saint a vocation à être témoin de Dieu qui est et veut la vérité comme le rappelle l’acte de foi : « parce que vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper ». Offenser la vérité est refuser la rectitude morale. Ces infidélités foncières à Dieu sapent les bases de l’Alliance.

  1. La vérité

1) Vivre dans la vérité

Dès l’Ancien Testament Dieu est reconnu source de toute vérité. Sa parole est vérité (Pr 8, 6 ; 2 R 7, 28) tout comme sa loi (Ps 118, 142). « Sa fidélité demeure d’âge en âge » (Ps 119, 90 ; Lc 1, 46). Dieu étant le « Véridique » (Rm 3, 4), les membres de son peuple sont appelés à vivre dans la vérité (Ps 118, 30). En Jésus-Christ, la vérité de Dieu s’est manifestée tout entière. « Plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14), il est la Vérité (cf. Jn 14, 6). Étant « lumière du monde » (Jn 8, 12), « Quiconque croit en lui, ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12, 46). « La vérité rend libre » (Jn 8, 32) et sanctifie (Jn 17, 17) ses disciples par « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 17) que le Père envoie en son nom (cf. Jn 14, 26) et conduit « à la vérité tout entière » (Jn 14, 17 ; 16, 13), d’où un amour inconditionnel de la vérité attendu chez ses disciples : « Que votre langage soit : ‘Oui, oui’, ‘Non, non’ » (Mt 5, 37).

L’homme se porte naturellement vers la vérité qu’il est tenu d’honorer et attester : « En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes ... sont pressés par leur nature même et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Il sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de la vérité » (DH 2). Cette vertu de vérité comme rectitude de l’agir et de la parole est la véracité, sincérité ou franchise, soit se montrer vrai en ses actes et dire vrai en ses paroles, évitant duplicité, simulation et hypocrisie.

« Les hommes ne pourraient pas vivre ensemble s’ils n’avaient pas de confiance réciproque, c’est-à-dire s’ils ne se manifestaient pas la vérité » (II-II, 109, 3, ad 1). La vertu de vérité rend justement à autrui son dû car elle dépend de la vertu de justice suivant laquelle « un homme doit honnêtement à un autre la manifestation de la vérité ». La véracité observe un juste milieu entre ce qui doit être exprimé, et le secret qui doit être gardé, impliquant honnêteté et discrétion. Le disciple du Christ accepte la simplicité (contraire à la duplicité) d’une vie suivant l’exemple du Seigneur et demeurant dans la vérité qu’il est : « Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, alors que nous marchons dans les ténèbres, nous mentons, nous n’agissons pas selon la vérité » (1 Jn 1, 6).

2) « Rendre témoignage à la vérité »

Devant Pilate, le Christ proclame être « venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37). Le chrétien n’a pas à « rougir de rendre témoignage au Seigneur » (2 Tm 1, 8), loin de tout respect humain. Dans les situations qui demandent l’attestation de la foi, le chrétien doit la professer sans équivoque, à l’exemple de S. Paul face à ses juges, pour garder « une conscience irréprochable devant Dieu et devant les hommes » (Ac 24, 16). Les chrétiens doivent agir en témoins de l’Évangile et des obligations en découlant, ce qui implique transmettre la foi en paroles et en actes. Ce témoignage est un acte de justice qui établit ou fait connaître la vérité (Mt 18, 16) : étymologiquement cela revient au martyre, suprême témoignage rendu à la vérité de la foi et de la doctrine chrétienne jusqu’à la mort. Le martyr en est capable car il est uni au Christ par la charité. La vertu cardinale de force est alors élevée surnaturellement au degré infus par le don de force donné par l’Esprit à la confirmation : « Laissez-moi devenir la pâture des bêtes. C’est par elles qu’il me sera donné d’arriver à Dieu » (S. Ignace d’Antioche). L’Église a soigneusement recueilli les souvenirs de ceux qui sont allés jusqu’au bout pour attester leur foi. Ces actes des martyrs (acta sanctorum) constituent des archives de la Vérité écrites en lettres de sang : « Je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d’être compté au nombre de tes martyrs ... Tu as gardé ta promesse, Dieu de la fidélité et de la vérité. Pour cette grâce et pour toute chose, je te loue, je te bénis, je te glorifie par l’éternel et céleste grand-prêtre, Jésus-Christ, ton enfant bien-aimé. Par lui, qui est avec toi et l’Esprit, gloire te soit rendue, maintenant et dans les siècles à venir. Amen » (S. Polycarpe, disciple de S. Jean et maître de S. Irénée de Lyon).

  1. Offenses à la vérité

Les disciples du Christ ont « revêtu l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité » (Ep 4, 24). « Débarrassés du mensonge » (Ep 4, 25), ils ont à « rejeter toute méchanceté et toute ruse, toute forme d’hypocrisie, d’envie et de médisance » (1 P 2, 1). À ce titre, ils doivent rejeter absolument :

  • Le faux témoignage est un mensonge émis publiquement devant un tribunal (Pr 19, 9) et si le témoin a parlé sous serment, il se parjure. Condamner un innocent, disculper un coupable ou augmenter la sanction encourue par l’accusé (Pr 18, 5) sapent toute équité de la sentence.
  • Le respect de la réputation des personnes interdit de leur causer un injuste dommage (CIC 220).
    • le jugement téméraire admet sans fondement suffisant un défaut moral d’autrui.
    • la médisance dévoile les défauts et fautes d’autrui (Si 21, 28) sans raison valable.
    • la calomnie nuit par des mensonges à la réputation d’autrui et occasionne de faux jugements.

Pour éviter le jugement téméraire, on veillera à interpréter autant que possible dans un sens favorable les pensées, paroles et actions de son prochain : « tout bon chrétien doit être plus prompt à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner. Si l’on ne peut la sauver, qu’on lui demande comment il la comprend ; et s’il la comprend mal, qu’on le corrige avec amour ; et si cela ne suffit pas, qu’on cherche tous les moyens adaptés pour qu’en la comprenant bien il se sauve » (S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels 22).

Chacun jouit d’un droit naturel à l’honneur (témoignage social rendu à la dignité humaine) de son nom, à sa réputation et au respect. Ainsi médisance et calomnie lèsent-elles les vertus de justice et de charité. Mais il faut aussi proscrire toute flatterie, adulation ou complaisance, qui encourage et confirme dans la malice et perversité. Le désir de rendre service ou l’amitié ne justifient pas une duplicité du langage. L’adulation est vénielle si elle désire seulement être agréable, éviter un mal, parer à une nécessité, obtenir des avantages légitimes. La jactance ou vantardise exagèrent ses propres qualités. L’ironie déprécie en caricaturant, de manière malveillante, tel aspect.

« Le mensonge consiste à dire le faux avec l’intention de tromper »" (S. Augustin). Il est une œuvre diabolique : « Vous avez pour père le diable ... il n’y a pas de vérité en lui : quand il dit ses mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44). En blessant la relation de l’homme à la vérité et au prochain, le mensonge offense la relation fondatrice de l’homme et de sa parole au Seigneur. La gravité du mensonge se mesure selon la nature de la vérité déformée, les circonstances, les intentions, les préjudices subis par les victimes. Il devient mortel quand il lèse gravement les vertus de justice et de charité. Le mensonge est un mal intrinsèque qui profane la parole qui devrait communiquer à d’autres la vérité connue. Il  est une véritable violence faite à autrui car il l’atteint dans sa capacité de connaître, condition de tout jugement vraiment humain (responsable) et de toute décision. Il contient en germe la division des esprits et tous les maux qu’elle suscite. Le mensonge sape la confiance entre les hommes et déchire le tissu social. Toute faute commise à l’égard de la vérité oblige en conscience à réparation, même si son auteur a été pardonné. Si ce n’est publiquement, au moins discrètement pour le dédommager au moins moralement voire matériellement au nom de la charité.

  1. Dimension publique de la vérité et limites
  1. Respect de la vérité

Le droit à la communication de la vérité n’est pas inconditionnel. Dans le concret, l’amour fraternel peut estimer qu’il ne conviendrait pas de révéler la vérité à celui qui la demande. Le bien et la sécurité d’autrui, le respect de la vie privée, le bien commun sont des raisons suffisantes pour taire ce qui ne doit pas être connu, ou pour user d’un langage discret. Le devoir d’éviter le scandale commande souvent une stricte discrétion. Personne n’est tenu de révéler la vérité à qui n’a pas droit de la connaître (Si 27, 16 ; Pr 25, 9-10), ce qui excuse donc certains ‘mensonges’ pour éviter la mort de quelqu’un dans les cas d’oppression.

Le sceau du secret de confession est sacré, et ne peut être trahi sous aucun prétexte (CIC 982). S. Jean Népomucène en mourut martyr car le roi Venceslas IV de Bohême soupçonnait sa femme Sophie de Bavière d’adultère et il jeta son confesseur dans la Vltava à Prague le 20 mars 1393. Les secrets professionnels – détenus par des politiques, militaires, médecins, juristes – ou les confidences faites sous le sceau du secret, doivent être gardés, sauf cas exceptionnels où la rétention du secret causerait des dommages très graves et seulement évitables par la divulgation de la vérité. Même sans le sceau du secret, les informations privées préjudiciables à autrui n’ont pas à être divulguées sans une raison grave et proportionnée.

Chacun doit garder la juste réserve à propos de la vie privée des gens. Il faut maintenir une juste proportion entre les exigences du bien commun et le respect des droits particuliers (pour les hommes politiques ou personnes publiques par ex.), évitant l’ingérence dans la vie privée portant atteinte à leur intimité et à leur liberté.

  1. L’usage des media

Les media jouent un rôle majeur dans l’information, la promotion culturelle et la formation. Avec les progrès techniques, ce rôle s’est accru en ampleur, diversité et influence sur l’opinion publique. L’information médiatique doit servir le bien commun (IM 11). La société a droit à une information fondée sur la vérité, la liberté, la justice : la communication doit être toujours véridique et complète, honnête et convenable, et respecter les lois morales, les droits et la dignité de l’homme pour acquérir et diffuser l’information (IM 5). Elle permet alors la solidarité et favorise la connaissance et le respect d’autrui. Les journalistes doivent respecter la nature des faits et les limites du jugement critique à l’égard des personnes, en évitant de céder à la diffamation. Les pouvoirs publics doivent réguler pour éviter de causer de graves préjudices aux mœurs publiques et aux progrès de la société.

Les media peuvent engendrer une certaine passivité chez les usagers, faisant d’eux des consommateurs peu vigilants. Il faut donc s’imposer modération et discipline, se former une conscience éclairée et droite afin de résister plus facilement à la propagande qui ne sont pas que le fait d’États totalitaires.

  1. Vérité, beauté et art sacré

Pratiquer le bien s’accompagne d’un plaisir spirituel gratuit et de la beauté morale. De même, la vérité comporte la joie et la splendeur de la beauté spirituelle. La vérité est belle par elle-même. Elle peut trouver d’autres formes d’expression humaine que la parole, complémentaires, surtout pour évoquer l’indicible, les profondeurs du cœur humain, les élévations de l’âme, le mystère de Dieu. Avant de se révéler à l’homme en paroles de vérité, Dieu le fit par sa Création ordonnée et harmonieuse, œuvre de sa Parole et Sagesse : « la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur » (Sg 13, 5), « car c’est la Source même de la beauté qui les a créées » (Sg 13, 3). L’art est une forme d’expression proprement humaine : au de-là des nécessités vitales communes à toutes les créatures vivantes, il est une surabondance gratuite de la richesse intérieure de l’être humain, surgissant d’un talent donné par le Créateur et de l’effort de l’homme. Il est une forme de sagesse pratique, unissant connaissance et savoir-faire (Sg 7, 18) pour donner forme à la vérité d’une réalité dans le langage accessible à la vue ou à l’ouïe. L’art s’assimile à l’activité de Dieu dans le créé, dans la mesure où il s’inspire de la vérité et de l’amour des êtres. Il n’est pas en lui-même sa fin absolue, mais  est ordonné et anobli par la fin ultime de l’homme.

L’art sacré est vrai et beau, quand il correspond par sa forme à sa vocation d’évoquer et glorifier, dans la foi et l’adoration, le mystère transcendant de Dieu, beauté suréminente invisible de vérité et d’amour, apparue dans le Christ, « resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance » (He 1, 3). Les évêques doivent le promouvoir ancien et nouveau, sous toutes ses formes, et écarter de la liturgie et des édifices du culte, tout ce qui n’est pas conforme à la vérité de la foi et à l’authentique beauté de l’art sacré (SC 122-127).

Date de dernière mise à jour : 12/02/2023