Homélie du 4e dimanche après l’Épiphanie (29 janvier 2023)
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Le septième commandement (1)
Le septième commandement « Tu ne commettras pas de vol » (Ex 20, 15 ; Dt 5, 19) repris par l’évangile : « Tu ne voleras pas » (Mt 19, 18) défend de prendre ou retenir injustement le bien du prochain et de lui faire du tort en ses biens de quelque manière que ce soit. Il prescrit la justice et la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes. Il demande en vue du bien commun le respect de la destination universelle des biens et du droit de propriété privée. La vie chrétienne s’efforce d’ordonner à Dieu et à la charité fraternelle les biens de ce monde.
- Principes de base
- La destination universelle et la propriété privée des biens
Au commencement, Dieu confia la terre et ses ressources à la gérance commune de l’humanité pour qu’elle en prenne soin, la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (Gn 1, 26-29). Les biens de la création sont destinés à tout le genre humain. Cependant la terre est répartie entre les hommes pour assurer la sécurité de leur vie, exposée à la pénurie et menacée par la violence. L’appropriation des biens est légitime pour garantir la liberté et la dignité des personnes, pour aider chacun à subvenir à ses besoins fondamentaux et aux besoins de ceux dont il a la charge. Elle permet une solidarité naturelle.
Le droit à la propriété privée que règle l’autorité politique en fonction du bien commun (GS 71, 4) n’abolit pas la donation originelle de la terre à l’ensemble de l’humanité qui demeure primordiale : « L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres » (GS 69, 1). Le propriétaire d’un bien l’administre par la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui, et d’abord à ses proches. Quant aux biens d’usage et de consommation, on doit en user avec tempérance, réservant la meilleure part à l’hôte, au malade, au pauvre.
- Le respect des personnes et de leurs biens
En matière économique, respecter la dignité humaine exige la vertu de tempérance pour modérer l’attachement aux biens de ce monde, de justice pour rendre au prochain son dû ; de solidarité, suivant la libéralité du Seigneur qui « de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9).
Le septième commandement interdit le vol, l’usurpation du bien d’autrui contre sa volonté. Il n’y a pas de vol si le refus est contraire à la raison et à la destination universelle des biens comme en cas de nécessité urgente et évidente face aux besoins immédiats et essentiels (nourriture, abri, vêtement ...) (GS 69, 1). Ce commandement inclut de ne pas retenir délibérément des biens prêtés ou objets perdus, frauder dans le commerce (Dt 25, 13-16), payer d’injustes salaires (Dt 24, 14-15 ; Jc 5, 4), spéculer sur l’ignorance ou la détresse (Am 8, 4-6) ou pour faire varier artificiellement l’estimation des biens au détriment d’autrui ; la corruption qui détourne le jugement des chefs qui doivent décider selon le droit ; l’usage privés des biens sociaux d’une entreprise ; les travaux mal faits, la fraude fiscale, la contrefaçon des chèques et factures, les dépenses excessives, le gaspillage. Infliger volontairement un dommage aux propriétés privées ou publiques est contraire à la loi morale et demande réparation.
De même, les promesses doivent être tenues, et les contrats observés pourvu que l’engagement soit moralement juste. Les contrats sont une part notable de la vie économique et sociale (contrats commerciaux de vente/achat, de location ou de travail). Tout contrat doit être convenu et exécuté de bonne foi. Ils sont soumis à la justice commutative qui règle les échanges entre les personnes et institutions, dans l’exact respect de leurs droits. Elle oblige strictement car elle est la base de toute justice. On parle autrement de justice légale pour ce que le citoyen doit équitablement à la communauté, et distributive pour ce que la communauté doit aux citoyens proportionnellement à leurs contributions et besoins.
La justice commutative exige pour réparer l’injustice de restituer le bien dérobé comme Jésus bénissant Zachée, le collecteur d’impôts, de son engagement : « Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple » (Lc 19, 8). Ceux qui, d’une manière directe ou indirecte, se sont emparés d’un bien d’autrui, sont tenus de le restituer, ou de rendre l’équivalent en nature ou en espèce, si la chose a disparu, ainsi que les fruits et avantages qu’en aurait légitimement obtenu son propriétaire. Sont également tenus de restituer à proportion de leur responsabilité et de leur profit tous ceux qui ont participé au vol en quelque manière, ou en ont profité en connaissance de cause ; par exemple ceux qui l’auraient ordonné, ou aidé, ou recélé.
Les jeux de hasard ou paris ne contrarient pas en eux-mêmes la justice à moins qu’ils ne créent une dépendance au point de priver la personne du nécessaire pour lui et les siens. Parier injustement ou tricher dans les jeux est grave quand l’enjeu est d’importance.
Asservir des êtres humains, donc méconnaître leur dignité en les achetant/vendant comme des marchandises est un péché très grave : S. Paul qui ne remettait pourtant pas en cause l’esclavage en tant que système induisait un maître chrétien à traiter son esclave chrétien « non plus comme un esclave, mais comme un frère ..., comme un homme, dans le Seigneur » (Phm 16). C’est l’Église qui réussit à faire disparaître ce fléau à la fin de l’Empire romain.
- Le respect des personnes et de leurs biens
Ce commandement implique de respecter l’intégrité de la création. Les animaux, plantes et êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l’humanité passée, présente et future (Gn 1, 28-31). L’usage des ressources n’est pas détaché de la morale car la domination donnée par Dieu à l’homme sur la Création n’est pas absolue mais respecte la qualité de la vie du prochain, dont les générations à venir.
Les animaux, créatures de Dieu, bénéficient de la sollicitude providentielle (Mt 6, 26) et bénissent et rendent gloire à Dieu (Dn 3, 57-58). Les hommes leur doivent la bienveillance à l’image de S. François d’Assise ou autres saints. Il est légitime pour l’homme de se servir des animaux pour se nourrir et vêtir (contre l’idéologie vegan) et de les domestiquer pour l’assister dans ses travaux ou loisirs. Les expérimentations scientifiques ne sont acceptables que si elles restent raisonnables et contribuent à sauver des vies humaines. Mais les faire souffrir inutilement et gaspiller leur vie est immoral, tout comme de les idolâtrer au point de dépenser plus que de mesure pour eux plutôt qu’en soulageant la misère humaine. L’amour des animaux ne doit pas prendre la place de celui des hommes.
- La doctrine sociale de l’Église
- Légitimité de l’Église à se prononcer en matière économique et sociale
L’Évangile révèle pleinement la vérité de l’homme et l’Église enseigne les exigences de la justice et de la paix, conformes à la sagesse divine. Elle porte donc un jugement moral, en matière économique et sociale « quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (GS 76, 5), mais pas comme le feraient les autorités politiques, en les aspects temporels au bien commun et à notre fin ultime qu’est Dieu. La doctrine sociale de l’Église s’est développée au XIXe s. avec la révolution industrielle et la société moderne. Cet enseignement devient d’autant plus acceptable pour les hommes de bonne volonté qu’il inspire davantage la conduite des fidèles. L’Église propose des principes de réflexion ; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l’action. L’Église a rejeté les idéologies totalitaires et athées associées, dans les temps modernes, au communisme ou socialisme et récusé dans la pratique du capitalisme l’individualisme et le primat absolu de la loi du marché sur le travail humain (Centesimus Annus 10 ; 13 ; 44). Elle préconise une régulation raisonnable du marché et des initiatives économiques, selon une juste hiérarchie des valeurs et en vue du bien commun.