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Lecture spirituelle de l'Épiphanie
En ce jour de l’Épiphanie sont fêtés 3 événements : l’adoration des mages, le baptême de Jésus au Jourdain par S. Jean-Baptiste et les noces de Cana, son premier miracle inaugurant son ministère public en l’an 27. Penchons-nous toutefois sur l’adoration des mages, donc sur ce que retiennent plus spontanément les fidèles et le sens de cette solennité.
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- La symbolique de l’étoile
- Dangers du concordisme : acceptons les miracles de Dieu
Visitant à Munich l’observatoire astronomique durant l’Avent, on nous expliqua que l’étoile des mages serait en réalité un alignement ou triple conjonction des planètes Jupiter et Saturne (le roi du temps), se rapprochant trois fois durant peu de mois dans la constellation du poisson (symbole d’Israël) : le Messie est né en Israël. Cela advint en l’an -7. Certes, le moine Denys le Petit fixa dans son calendrier la date de naissance du Christ qui, en réalité se situe entre -7 et -4, ce qui collerait. Mais ne nous retrouvons-nous pas, malgré tout dans un certain concordisme, lorsque des scientifiques veulent tout expliquer comme pour Jésus marchant sur les eaux ? Acceptons-nous un miracle concernant les astres, comme la danse du soleil vue à Fatima le 13 octobre 1917 par plusieurs dizaines de milliers de témoins ?
S. Thomas s’interroge sur l’étoile et cite S. Augustin : « c’est un astre nouveau apparu pour l’enfantement nouveau d’une vierge » (ST III, 36, 7, SC). Ne cherchons pas dans l’étoile des mages une étoile déjà existante avec une révolution normale. En effet, on ne connaît pas d’étoile qui fasse la direction de la Perse [ou la Mésopotamie] à la Judée. Les mages ne la virent pas de fort loin au-dessus de la Judée mais elle les accompagnait. Elle les conduisait aussi en plein jour mais parfois se montrait et parfois se cachait comme lorsqu’ils allèrent voir Hérode. Elle était comme la nuée qui conduisait Israël au désert pour l’exode, la sortie d’Égypte. Elle n’avait donc pas un mouvement continu : quand les mages devaient s’arrêter, elle s’arrêtait. L’étoile ne restait pas au Ciel mais descendit pour être suffisamment précise et indiquer le lieu de la crèche (Mt 2, 9). Certains ont pensé alors que l’étoile pouvait être une puissance rationnelle qui aurait pris une apparence céleste (l’ange des bergers ou bien l’Esprit-Saint colombe au baptême changeant de forme), mais c’est forcer le trait.
- Accomplissement de la promesse faite à Abraham
S. Léon le Grand a composé un beau sermon sur l’Épiphanie qui ouvre une autre dimension, montrant que se réalisait ce que Dieu avait dit à Abraham après la mise à l’épreuve du sacrifice d’Isaac : « Je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer (…). Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance » (Gn 22, 17-18).
L’étoile n’est pas que le guide des mages, elle est choisie pour signifier l’ouverture à toutes les Nations de la promesse faites au Juif. Les goyim/Gentils entrent ainsi dans la descendance spirituelle d’Abraham : « C’est à propos de ces nations que le saint patriarche Abraham, autrefois, reçut la promesse d’une descendance innombrable, engendrée non par la chair, mais par la foi ; aussi est-elle comparée à la multitude des étoiles, car on doit attendre du père de toutes les nations une postérité non pas terrestre, mais céleste (…).
Que l’universalité des nations entre donc dans la famille des patriarches ; que les fils de la promesse reçoivent la bénédiction en appartenant à la race d’Abraham, ce qui les fait renoncer à leur filiation charnelle. En la personne des trois mages, que tous les peuples adorent le Créateur de l’univers ; et que Dieu ne soit plus connu seulement en Judée, mais sur la terre entière afin que partout, comme en Israël, son nom soit grand (…).
Mes bien-aimés, instruits par les mystères de la grâce divine, célébrons dans la joie de l’Esprit le jour de nos débuts et le premier appel des nations. Rendons grâce au Dieu de miséricorde qui, selon S. Paul, nous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint ; qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé. Ainsi que l’annonça le prophète Isaïe : Le peuple des nations, qui vivait dans les ténèbres, a vu se lever une grande lumière, et sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Homélie pour l’Épiphanie 3.1-3.5, in Sources Chrétiennes 22bis, p. 226-237).
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- Le mystère de Dieu incarné manifesté aux Nations
Le sens des rois mages est d’être « les prémices des nations qui croient au Christ. En eux apparurent, comme en un présage, la foi et la dévotion des nations venues de loin vers le Christ » (III, 36, 8).
- Rapports entre païens et Juifs
Pourquoi les Juifs furent-ils consultés par les mages ? Ce qui pourrait n’apparaître que comme un détail (Mt 2, 1-8) est pourtant riche de signification. On fit à S. Thomas l’objection : « un renseignement venu du ciel est plus sûr qu’un renseignement humain. Mais les mages étaient venus d’Orient en Judée, guidés par un renseignement venu du ciel. Ils ont donc agi déraisonnablement, alors qu’une étoile les guidait, en cherchant un renseignement humain par cette question : ‘Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?’ ». Mais le docteur angélique répond (III, 36, 8, ad 3) que l’étoile aurait bien pu les conduire jusqu’au lieu précis comme elle le fit une fois qu’ils repartirent de Jérusalem, mais il fallait que les Juifs aussi fissent leur part et rendissent témoignage au Messie, indiquant la ville où il devait naître d’après les prophéties. En effet, l’étoile se cacha par volonté divine. Il était logique de chercher un roi venant de naître dans la cité royale de Jérusalem, et accomplissait la prophétie d’Is. 2, 3 : « Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur ».
« La venue des mages – explique le catéchisme de l’Église catholique [CEC 528] – signifie que les païens ne peuvent découvrir le fils de Dieu et Sauveur du monde qu’en se tournant vers les Juifs et en recevant d’eux la promesse du Messie. Ce sont en effet les grands prêtres et les scribes d’Israël qui ont indiqué que le Christ devait naître à Bethléem. De même aujourd’hui c’est par l’Église, Nouvel Israël, que les non-chrétiens peuvent découvrir le Christ » (Édouard Huber).
Autrefois, on insistait surtout dans la théologie de la substitution d’Israël par l’Église comme nouveau peuple élu, sur le drame que les Juifs avaient manqué le rendez-vous messianique et étaient dépassés (aujourd’hui on le minore au nom du dialogue avec les Juifs). S. Thomas écrit par exemple : « l’empressement des mages venus de loin condamnerait la paresse des juifs tout proches » et citant S. Augustin : « [les mages] annoncent ‘aux Juifs la naissance du Christ’ et leur demandent ‘le lieu’, ils croient et ils cherchent, comme pour symboliser ceux qui marchent par la foi et désirent la claire vision’. Quant aux Juifs, qui leur indiquèrent le lieu de la naissance du Christ ‘ils ressemblèrent aux ouvriers qui bâtirent l’arche de Noé : ils fournirent aux autres le moyen d’échapper, mais eux-mêmes périrent dans le déluge. Alors que ceux qui enquêtaient écoutèrent et partirent, les savants parlèrent et restèrent, pareils aux bornes milliaires, qui indiquent la route, mais ne marchent pas’ ».
- Lecture spirituelle de l’Épiphanie
S. Pierre Chrysologue donne la signification spirituelle de l’Épiphanie :
« Celui qui a voulu naître pour nous, n’a pas voulu être ignoré de nous et c’est pourquoi il se découvre de telle sorte que ce grand mystère de la bonté divine ne devienne pas l’occasion d’une grande erreur.
Aujourd’hui, les mages cherchant celui qui brillerait parmi les étoiles, le trouvent vagissant au berceau. Aujourd’hui, les mages s’étonnent de découvrir glorieux dans ces langes celui qui s’était longtemps dissimulé dans le ciel où il demeurait obscur.
Aujourd’hui les mages considèrent avec une profonde stupeur ce qu’ils voient ici : le Ciel sur la Terre, la Terre dans le Ciel, l’homme en Dieu, Dieu dans l’homme ; et celui que le monde entier ne peut contenir enfermé dans le corps d’un tout-petit (…). Et dès lors qu’ils voient, ils proclament qu’ils croient sans discuter, en offrant leurs dons symboliques : par l’encens, ils confessent Dieu ; par l’or, le roi ; par la myrrhe, sa mort future (…).
C’est ainsi que les païens qui étaient les derniers deviennent premiers ; car c’est alors que la venue des païens à la croyance est inaugurée par la foi des mages (…).
Aujourd’hui le Christ qui va laver le péché du monde est entré dans le Jourdain (…). Aujourd’hui le serviteur s’empare du seigneur, l’homme de Dieu, Jean du Christ ; il s’en empara pour recevoir le pardon non pour le donner (…). Aujourd’hui l’Esprit Saint survole les eaux sous l’apparence d’une colombe. De même qu’une autre avait annoncé à Noé que le déluge du monde se retirait c’est ainsi qu’en voyant cette colombe, on apprenait que le naufrage inéluctable du monde avait cessé. Elle n’apportait pas, comme celle d’autrefois, un rameau d’olivier, mais elle répandit sur la tête de notre chef toute la richesse d’une onction nouvelle pour accomplir la prédiction du prophète ‘Dieu, votre Père, vous a consacré par l’onction d’une huile d’allégresse, de préférence à vos compagnons’.
Aujourd’hui, le Christ fait commencer les signes du ciel en changeant de l’eau en vin. Mais l’eau devait être changée pour le sacrement du sang lorsque le Christ verserait des coupes de vin à ceux qui boiraient au vase de son corps afin que s’accomplît cette prophétie : ‘la coupe qui me donne ivresse est incomparable’ ».
Conclusion
Les rois mages apportèrent leurs cadeaux au Roi des Rois. Sommes-nous dispensés, pour notre part ? Oserons-nous nous avancer vers lui les mains vides ? Faisons les cadeaux que nous pouvons : « apprenons par-là ‘ à offrir au Roi nouveau-né l’or’, qui symbolise la sagesse, ‘lorsque nous resplendissons en sa présence de la lumière de la sagesse ; l’encens ‘qui exprime le don de soi dans la prière, ‘nous l’offrons quand, par l’ardeur de notre prière, nous exhalons devant Dieu une bonne odeur ; et la myrrhe, qui symbolise la mortification de la chair, nous l’offrons si nous mortifions nos vices charnels par l’abstinence’ » (S. Grégoire le Grand, III, 36, 8, ad 3).