5e Pentecôte (10/07 - amour fraternel/divin)

Homélie du 5e dimanche après la Pentecôte (10 juillet 2022)

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C’est à l’amour que vous aurez les uns les autres

qu’on vous reconnaîtra comme mes disciples (Jn 13, 35)

  1. La malédiction des montagnes de Gelboé
    1. La jalousie de Saül contre David…

Les lectures de mâtines narrent la mort de Saül rapportée au roi David. L’ancêtre du Seigneur préfigure le Christ, véritable oint du Seigneur et son épouse, l’Église, tandis que Saül annonçait la réprobation d’Israël, premier élu mais infidèle à son appel. « En effet, le Seigneur était avec David et s’était écarté de Saül » (1 Sm 18, 12).

Après sa victoire sur Goliath, David fut acclamé triomphalement : « Saül a tué ses milliers, et David, ses dizaines de milliers » (1 Sm 18, 7), suscitant la jalousie de Saül. Par deux fois, il voulut clouer de son javelot David jouant de la harpe (1 Sm 18, 10-11 et 1 Sm 19, 10), annonçant la crucifixion et le percement du côté du Christ par Longin. Puis il l’envoya au combat sous-traitant les basses besognes à ses ennemis : « Ne portons pas la main sur lui, mais que des Philistins le fassent ! » (1 Sm 18, 17.25). Même son propre fils Jonathan, ami de cœur de David faillit connaître le même sort (1 Sm 20, 33).

    1. … opposée à la clémence de David face à Saül

David appliquait déjà la leçon de l’apôtre Pierre : « Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’insulte pour l’insulte » (1 P 3, 9). Par deux fois, il aurait pu se venger de Saül qui cherchait à le tuer. Au fond de la grotte, il coupa un morceau de son manteau comme gage de l’occasion rejetée : « Les hommes de David lui dirent : ‘Voici le jour dont le Seigneur t’a dit : “Je livrerai ton ennemi entre tes mains, tu en feras ce que tu voudras.”’ Il dit à ses hommes : ‘Que le Seigneur me préserve de faire une chose pareille à mon maître, qui a reçu l’onction du Seigneur : porter la main sur lui, qui est le messie du Seigneur’ » (1 Sm 24, 5.7). De nouveau au camp de Guibéa : « David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête (…). Alors Abishaï dit à David : ‘Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois’. Mais David dit à Abishaï : ‘Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ?’ » (1 Sm 26, 7-9).

Il savait que le crime ourdi dans le cœur de Saül ne resterait pas impuni mais qu’il serait jugé le moment venu : « C’est le Seigneur qui sera juge entre toi et moi, c’est le Seigneur qui me vengera de toi, mais ma main ne te touchera pas ! » (1 Sm 24, 13 et 26, 10). Aussi, quand David apprit la mort de Saül, il ne s’en réjouit pas mais déchira ses habits et fit tuer l’Amalécite qui lui annonçait cette mort en s’attribuant le mérite de l’avoir (2 Sm 1, 10-16) alors que Saül s’était suicidé en se jetant sur sa propre épée (1 Sm 31, 4). Le serviteur rapportait pourtant cette couronne ensanglantée des morts d’Israël au champ de bataille. David maudit ces collines tout en chantant son prédécesseur et l’ami de son cœur : « Montagnes de Gelboé, qu’il n’y ait pour vous ni rosée ni pluie ni champs fertiles : c’est là que fut souillé le bouclier des héros, le bouclier de Saül qui n’était pas frotté d’huile. Devant le sang des transpercés et la blessure des héros, l’arc de Jonathan ne reculait pas, l’épée de Saül ne revenait pas sans effet. Saül et Jonathan, aimables, pleins de charme, ni dans la vie ni dans la mort ne furent séparés, plus rapides que les aigles, plus vaillants que les lions » (2 Sm 1, 21-23).

    1. Lecture spirituelle du pardon pour l’unité dans l’Église

Cette mort du père et du fils solidaires dans le combat pour sauver Israël rappelle que ce dimanche faisait partie autrefois d’un ancien cycle des apôtres (Post natale Apostolorum) où SS. Pierre et Paul, les deux princes des apôtres, étaient fêtés conjointement et solennisés par une octave dont une antienne rappelait : « Glorieux princes de la terre, ils s’étaient aimés pendant leur vie, s’écrie-t-elle ; ils n’ont point davantage été séparés dans la mort ! ». Dieu choisit pour fonder son Église romaine, mère de toutes les Églises, un renégat et un complice de meurtre, persécuteur des Chrétiens, pour illustrer ce pardon divin que rien n’arrête.

Saül, que l’onction n’empêcha pas de mourir, figurait la mort du Christ, Roi et Oint véritable, qui perdit la vie du corps au milieu des pécheurs. Les monts de Gelboé (ou cours d’eau) représentent les Juifs endurcis qui s’écoulent en un flux de convoitises terrestres. Privés de toute rosée de grâce, ils sont dans la stérilité en ne reconnaissant pas la venue du Rédempteur tandis que la Sainte Église, dès le début, s’est montrée précocement féconde par la multitude des nations engendrées. Elle recueillera dans les derniers temps quelques Juifs ramassés comme une tardive récolte et des fruits d’arrière-saison. Pourtant, comme David épargna par deux fois Saül, Dieu pardonne aussi aux Juifs puisque, malgré leur infidélité, il est toujours prêt à les accueillir dans le royaume dont le Christ, leur victime, est le roi.

  1. La charité fraternelle mesure de l’amour pour Dieu
    1. « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20)

L’épitre et l’évangile prêchent le grand devoir du pardon des injures. « lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère » (Mt 5, 23-24).

Sans doute, la justice divine a-t-elle ses droits mais, la sentence du jugement final n’intervient qu’à la mort, après que Dieu a vainement épuisé tous les moyens inspirés par son amour. Le meilleur moyen d’arriver à posséder cette charité, est d’aimer Dieu et son prochain, deux commandements qui ne sont que les deux faces d’une même pièce valant accès au Paradis. « Jésus lui répondit : ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 37-40).

La justice normalement se fonde sur la loi naturelle qui n’est autre que l’inscription, dans le cœur de chaque homme, de la loi divine. La syndérèse, premiers principes de la vie morale nous distingue des bêtes. Chacun sait au fond de lui qu’il ne faut pas mentir, se parjurer, commettre l’adultère, voler, tuer. Mais même le peuple élu tomba dans une vaine casuistique qui faisait triompher la lettre plus que l’esprit de la loi divine. Et Moïse concéda quelque chose à la dureté de leur cœur quant au divorce par exemple (Mt 19, 7-8). Au contraire, « Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6).

    1. La pureté d’intention : Dieu seul sonde les reins et les cœurs

Toute justice repose d’abord sur des faits objectifs, observables même si l’intention est sondée pour la préméditation. Mais sonder vraiment les reins et les cœurs est ultimement une prérogative de Dieu. L’intimité de la conscience relève du for interne, subjectif, alors qu’on juge d’abord sur le for externe, objectif. Seul le prêtre a accès dans le tribunal de la confession à ce for interne. Tout jugement exercé par des hommes, si imposante que soit leur autorité, ne juge que des faits extérieurs. Moïse, dans sa législation, n’avait pas assigné de sanction pénale pour ces fautes intimes de la conscience, qui échappent, par leur nature, à la connaissance des pouvoirs humains. L’Église elle-même n’applique pas ses censures aux crimes de l’âme qui ne se manifestent pas dans un acte tombant sous les sens. Elle laisse à Dieu le jugement de causes dont lui seul peut connaître.

Pourtant, les prophètes s’évertuèrent sans relâche à dépasser la pensée alourdie vers une lecture plus spirituelle de la loi, loin de tout pharisianisme : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à sa parole ? Oui, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1 Sm 15, 22). Aussi les sacrifices furent-ils intérieurs lorsque le Temple fut détruit par Nabuchodonosor. Jusqu’à ce que survienne la victime parfaite, le Christ, s’offrant lui-même plutôt que de sous-traiter à des animaux sans raison le soin de laver tous les péchés du monde « Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre » (He 10, 6-7).

    1. Les trois degrés de justice face à trois degrés de péché (S. Augustin)

La loi évangélique est nettement plus exigeante que la casuistique juive. La justice des Pharisiens consistait à ne pas tuer. La justice des Chrétiens est de ne point se fâcher sans raison. Jésus, qui est Dieu, condamne non seulement le meurtre extérieur, mais aussi le motif intérieur qui nous y porte : la colère produit le désir de nous débarrasser du prochain. Cette colère a trois degrés. Au premier, on s’irrite, mais en retenant dans son cœur l’émotion conçue. Le second l’exprime par une exclamation. Le troisième le manifeste par la parole rendant notoire le blâme que l’on inflige à celui contre lequel s’élève notre colère.

À ces trois degrés correspondent trois phases de juridiction, au caractère de plus en plus grave. Dans la séance de jugement, la défense a encore place. Le conseil revient à une délibération du jury qui doit prononcer une sentence. Il n’y a plus lieu d’examiner si le coupable doit être condamné mais quel supplice lui infliger. Dans la géhenne du feu, il n’y a plus de doute quant à la condamnation, comme dans le jugement, ni d’incertitude quant à la peine du condamné, comme dans le conseil ; car dans le feu de l’enfer, certaine est la condamnation et fixée la peine du coupable : c’est l’application de la sentence ou exécution.

Conclusion

« Le vrai sacrifice, c’est la réconciliation avec son frère » (S. Jean Chrysostome). « Le premier sacrifice, qu’il faut offrir à Dieu, c’est un cœur pur de toute froideur et de toute inimitié avec son frère » (Bossuet).

Date de dernière mise à jour : 10/07/2022