Sacré Cœur (26/06 - cœur de miséricorde)

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Le Sacré-Cœur de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie

 

      1. Vers une reconnaissance officielle ?
  1. La diffusion du culte public

Le confesseur jésuite de la mystique visitandine S. Marguerite-Marie Alacoque, S. Claude de la Colombière, se fit l’apôtre du culte public à rendre au Sacré-Cœur. La première fête fut célébrée à Paray-le-Monial en 1685, en 1686 à Moulins et Dijon, en 1688 à Langres. En 1720, lors de la grande peste de Marseille, l’évêque consacra son diocèse au Sacré-Cœur dont il établit la fête en 1721.

En 1765 Clément XIII approuva la messe et l’office pour la Pologne, puis pour les Visitandines, enfin, les années suivantes, pour tous ceux qui le demandaient. La date fut fixée au vendredi après la Fête-Dieu. Pie VI la généralisa et autorisa la Messe et l’Office en 1779.

Le 12 août 1856, à la demande d’évêque français, Bx Pie IX étendit la fête à l’Église Universelle (et béatifia aussi S. Marguerite-Marie en 1864). En 1861, l’Apostolat de la prière fut créé par les Jésuites. Il contribua grandement à diffuser cette dévotion. La Belgique fut le premier pays à se consacrer en tant que tel au Sacré-Cœur. En 1873, un vaste pèlerinage fut conduit par plus de 100 députés (l’Ordre Moral, députés monarchistes des débuts de la IIIe République) qui firent ensuite voter la déclaration d’utilité publique pour l’érection de la basilique du Sacré-Cœur payée par souscription publique. On espérait alors sauver la France, menacée d’apostasie, par un retour de l’union entre le trône et l’autel, et Rome par la même occasion, grâce au Sacré-Cœur : espoir et salut de la France[1].

En 1899, Annum Sacrum, testament spirituel de Léon XIII l’éleva au rit double de première classe et consacra le genre humain au Cœur Sacré de Jésus sous l’inspiration de B. Mère Marie du Divin Cœur (comtesse Marie Droste zu Vischering, 1863-1899), supérieure du Bon-Pasteur d’Angers à Porto. Pie XI consacra l’encyclique Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928) et composa l’année suivante une nouvelle messe et un nouvel office. Pie XII consacra de manière analogue le monde au Cœur Immaculé (dévotion de Fatima) dont la fête fut fixée au 22 août. Il rédigea Haurietis Acquas (15 mai 1956) qui dénonce le refroidissement après la Seconde Guerre mondiale, voire une réticence à diffuser cette dévotion, à cause de l’apostasie du monde moderne.

  1. Comparaison entre Paray et Vilnius/Łagiewniki

Le culte du Sacré-Cœur est très lié avec la dévotion eucharistique. Le jeudi (jour de l’institution de la Sainte-Messe) après le Vendredi du Sacré-Cœur, est fêté le Cœur Eucharistique de Jésus. L’adoration eucharistique est répandue depuis le Sacré-Cœur de Montmartre ou depuis Paray-le-Monial par la communauté de l’Emmanuel.

Non seulement Jésus est miséricordieux en pardonnant nos péchés mais en plus prend notre place car quelqu’un devait payer la dette en bonne justice. Il satisfit donc en expiant à notre place. Le culte du Sacré-Cœur associe ainsi miséricorde et réparation. À Paray, on invoque l’abandon confiant à la Divine Providence en répétant : « Cœur-Sacré de Jésus, j’ai confiance en Vous ».

L’image commandée par le Seigneur à S. Faustine Kowalska montre bien le Sacré-Cœur, source des rayons blancs et rouges symbolisant les sacrements du baptême et de l’Eucharistie et donc l’Église naissant du côté du Christ comme Ève naquit du côté d’Adam (S. Ambroise). Mais à Vilnius et Cracovie-Łagiewniki, le Sacré-Cœur est redimensionné à toute la personne : « Jésus, j’ai confiance en Vous » (Jezu ufam tobie) et on ajoute à l’heure sainte de 15h : « Ô sang et eau qui avez jailli du cœur de Jésus comme source de miséricorde pour nous, j’ai confiance en vous ! ». « La miséricorde divine est l’inculturation pour aujourd’hui du culte du Sacré-Cœur. Le message développe ce que sainte Marguerite-Marie avait déjà reçu à Paray-le-Monial au XVIIe siècle. La Pologne a d’ailleurs été le premier pays à accueillir le message de Paray-le-Monial, contrairement à la France qui a peiné à le recevoir… » (Abbé Pradère).

Si Paray-le-Monial insiste davantage sur la réparation face aux prémices de l’apostasie, en rendant amour pour amour comme S. Jean, Cracovie invite plus à recevoir la miséricorde pour s’en faire ensuite missionnaires à la suite de S. Thomas. En résumé, la fête du Sacré-Cœur est comme un Vendredi saint spirituel, et celle de la Divine Miséricorde, comme un dimanche de Pâques spirituel.

À travers S. Marguerite-Marie, l’expérience de S. Jean est proposée à l’Église : un repos sur le cœur du Christ vécu mystiquement par la religieuse à la Saint-Jean 1673, pendant l’adoration. L’ami du Christ le console de la tiédeur des autres. Jean était « installé tout contre Jésus » (Jn 13, 23) lors de l’agonie secrète : la trahison de Judas, figure du refus de l’amour par une humanité blessée par le péché originel. « L’amour n’est pas aimé ». Par le don de la bouchée, connotation eucharistique évidente, Jésus porte son amour au plus profond des ténèbres du cœur de l’homme pour le sauver. Vulnérable à l’amour, il en a le cœur blessé. Marguerite-Marie reçoit la mission d’accepter l’amour de Dieu pour ceux qui ne l’aiment pas et le consoler au pied de la croix avec Marie.

Derrière Faustine, on retrouve la figure emblématique de S. Thomas, vexé d’avoir manqué le Ressuscité qui ne fit aucun reproche aux Apôtres mais au contraire les consola, leur donna son Esprit et leur confia le ministère de réconciliation. Thomas aurait dû croire sans voir mais il demanda une preuve supplémentaire que Jésus ne lui refusa pas. L’incrédule expérimenta personnellement la miséricorde et devint le plus grand missionnaire en évangélisant toute l’Asie. Transpercé d’un coup de lance, il fut configuré au Maître, « jumeau » du Seigneur (signification de son surnom Didyme). Le message de Faustine est plein de cette ardeur missionnaire : « Apôtre de ma miséricorde, proclame mon insondable miséricorde au monde entier ».

      1. L’enseignement d’Haurietis Aquas
  1. Un culte de latrie est dû

L’Église adore[2] le Cœur de Jésus qui est celui du Fils de Dieu : une seule personne divine mais avec deux natures. Son Cœur, partie la plus noble de sa nature humaine, signifie son immense charité envers le genre humain (HA 12), modèle pour nous aimer mutuellement.

Dans l’Ancien Testament, l’obéissance due à Dieu était d’abord en vertu d’une alliance d’amour entre Dieu et les hommes[3]. Plus que la sévérité ou autorité de la Majesté Divine, nombreuses étaient déjà les images d’amour entre un père et ses fils ou bien entre des époux. Même si cet amour semble souvent à sens unique[4]. « Gravé sur les paumes », « scellé sur mon cœur » annoncent les plaies de Jésus, blessures visibles d’amour, scarifications imposées par l’amour. La loi nouvelle est inscrite dans le cœur de l’homme mais le seul homme qui l’eut appliquée était Celui qui n’avait pas de péché[5]. Cette nouvelle alliance fut scellée non dans le sang des animaux mais du Christ. Elle donne la grâce et la Vérité. Jésus veut habiter en nos cœurs par la foi (Eph 3, 17-18). « En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps » (He 10, 5).

  1. L’Incarnation : outre l’amour spirituel, un amour humain

Jésus s’offre au Père en sacrifice suffisant pour racheter toutes les fautes du genre humain, passées, présentes et à venir. Un homme ne pouvant offrir un sacrifice parfait, l’homme-Dieu devait offrir ledit sacrifice. Il aime ainsi le Père avec lequel il partage une même volonté. La Très Sainte Trinité aime l’homme au point de faire ce sacrifice[6]. Mais cet amour n’est pas que spirituel car Dieu est pur esprit, « l’amour du Cœur même de Jésus-Christ, exprime non seulement la charité divine, mais encore les sentiments d’une affection humaine » (HA 21). L’Incarnation rend le Fils capable de compatir et nous donne sa force[7]. Contrairement à nos cœurs divisés, ses affections étaient parfaitement unies (HA 22) et soumises à sa volonté et raison, elles-mêmes soumises à la volonté du Père. Il n’avait pas en lui le fomes peccati ou foyer de péché lié à la chute originelle.

Si l’amour de Dieu pour ses créatures dans l’Ancien Testament est spirituel, malgré les images de tendresse toute paternelle, voire maternelle, dans le Nouveau Testament, par l’Incarnation, s’exprime aussi une affection humaine, passant par un cœur de chair et de sang, physiquement identique au nôtre. Il existe ainsi un triple amour du Christ :

  1. l’amour divin,
  2. l’amour de la volonté humaine du Christ puisque aimer est un acte de la volonté,
  3. l’amour de sensibilité puisqu’il nous a aimé aussi par ses affects[8].

La face de Dieu semblait plus recherchée que son Cœur humain qui pourtant en exprime les émotions (HA 26[9]). Ce Cœur dont chaque battement signifie l’amour, « ausculté » par S. Jean, cessa de battre 3 jours au tombeau avant de ressusciter. La dévotion aux images du Sacré-Cœur est parfaitement catholique. Serait hérétique qui prétendrait le contraire (HA 57). « C’est pourquoi, de cette chose corporelle qu’est le Cœur de Jésus-Christ et de sa signification naturelle, nous pouvons et nous devons (…) nous élever non seulement jusqu’à la contemplation de son amour, qui est perçu par les sens, mais encore plus haut, jusqu’à la contemplation et l’adoration de son suprême amour infus ; et enfin (…) jusqu’à la méditation et l’adoration de l’amour divin du Verbe incarné » (HA 58). Passer de l’amour physique (affections sensibles) à l’amour spirituel humain (volonté humaine) puis à l’amour spirituel divin (volonté divine).

Conclusion

La dévotion au Sacré-Cœur permet de lutter contre le refroidissement de la charité et la reconquête spirituelle : « À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (Mt 24, 12). Il est lié au Cœur Eucharistique de Jésus (HA 71) et au Cœur Immaculé de Marie, mystiquement unis (HA 73). Poussée par un zèle mystique, l’Impératrice Zita implora de Pie XI le 5 août 1923 : « Notre ardent désir à nous tous qui portons cet habit de notre Mère Céleste (le scapulaire blanc du Cœur Immaculé révélé à Madère à la Servante de Dieu la Clarisse Mère Vírginia Brites da Paixão) est de le voir investi de nombreuses indulgences de la part du Saint-Siège, de le voir par-là répandu par tout le monde, et augmenter l’Amour et la confiance de tous en ce Coeur, qui, uni à Celui de son Fils très Saint, doit sauver le monde ». Faisons nôtre cette dévotion en consacrant nos familles au Cœur Sacré de Jésus et apposant dans nos maisons cette image pieuse, suivant Mateo Crawley Boewey (1875-1960), Père de Picpus ou Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, ami de l’Impératrice, dont la devise était : « Conquérir le monde entier à la Royauté du Cœur de Jésus, famille par famille ». Que le Christ règne sur notre foyer familial et nos activités professionnelles.

 

[1] Louis XVI avait consacré la France au Sacré-Cœur en juin 1792. Raison pour laquelle l’Ouest, réévangélisé par S. Louis-Marie Grignon de Montfort ou ses disciples, choisit ce symbole pour les soulèvements vendéen et chouan. En 1870, à la bataille de Loigny, le Sacré-Cœur était brodé sur la bannière des volontaires de l’Ouest, corps franc sous les ordres du Gal. de Sonis autour de zouaves pontificaux et des séminaristes qui prirent les armes à la demande de leur évêque (NN. SS. Pie, Freppel et David). Claire Ferchaud ou Sr Claire de Jésus Crucifié (1896-1972) demanda le 16 janvier 1917 au président Poincaré qu’il apposât le Sacré-Cœur sur le drapeau français. Malgré le bon accueil, rien n’aboutit, si ce n’est que le général Foch, l’un des quinze destinataires des lettres de Claire aux autorités militaires fit une consécration privée le 16 juillet 1918 des forces françaises en tant que généralissime et commandant en chef du front de l’Ouest.

[2] Adorer est rendre un culte de latrie, au contraire de la doulie pour les saints qui ne sont que vénérés.

[3] « Tu aimeras YHWH, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront sur ton cœur » (Deut 6, 5 in HA 14).

[4] « C’est moi qui lui apprenais à marcher, en le soutenant de mes bras, et il n’a pas compris que je venais à son secours. Je le guidais avec humanité, par des liens d’amour ; je le traitais comme un nourrisson qu’on soulève tout contre sa joue ; je me penchais vers lui pour le faire manger. Mais ils ont refusé de revenir à moi : vais-je les livrer au châtiment ? » (Osée 11, 3-4). « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. Car je t’ai gravée sur les paumes de mes mains » (Is 49, 15-16). « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l’amour est fort comme la Mort, la passion, implacable comme l’Abîme : ses flammes sont des flammes de feu, fournaise divine » (Cant 8, 6).

[5] « Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël (…). Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple » (Jér 31, 33 in HA 18).

[6] « Il a parfaitement concilié les devoirs et obligations du genre humain avec les droits de Dieu, a été sans contredit l’auteur de cette conciliation admirable réalisée entre la divine justice et la divine miséricorde » (HA 20).

[7] S. Ambroise : « C’est pourquoi, ayant pris une âme, il prit aussi les affections de l’âme ; Dieu, en effet, du fait qu’il était Dieu, n’aurait pu être ému ou mourir » (HA 25) et S. Augustin : « en sorte que si l’un d’eux venait, dans les épreuves humaines, à s’attrister et à souffrir, qu’il ne s’estime pas pour cela soustrait à l’action de sa grâce ; ce ne sont pas là des péchés, mais des marques de l’infirmité humaine, et, comme le chœur s’accorde à la voix qui entonne, ainsi son corps se modèlerait sur son propre Chef ».

[8] Le Fils incarné permet d’entrevoir Dieu le Père qui est invisible (Jn 1, 18 et 14, 9). Il se laisse transpercer dans le cœur humain de son Fils, image de la blessure que notre péché lui inflige. Atteint en plein cœur, de là jaillissent les fleuves des entrailles du Père riche en miséricorde (« dives in misericordia », Eph 2, 4).

[9] Cf. ST I-II, 48, 4 : « D’autre part, lorsque la colère entrave la raison, comme nous l’avons dit, son ébranlement atteint jusqu’aux membres extérieurs, principalement ceux où s’exprime plus clairement l’état du coeur, comme les yeux, le visage, la langue ».

Date de dernière mise à jour : 26/06/2022