5e Pâques (22/05 - lect. thom)

Homélie du 5e dimanche après Pâques (Jn 16, 23-30)

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Lecture thomiste de la seconde partie de l’évangile (Jn 16, 25-30)

  1. Parler en paraboles

Par ‘image’ ou ‘parabole’, autre chose est ce qui est dit, autre chose ce qui est désigné. Littéralement, Jésus dirait maintenant clairement ce qu’il évoquait de manière mystérieuse auparavant, comme les Apôtres semblent l’avoir compris en disant : « Voici que tu parles ouvertement et non plus en images » (v. 29). Ce n’est que dans la gloire que tout sera pleinement compris suivant nos capacités, « nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu » (1 Co 13, 12). Toutefois nous n’aurons plus rien à demander alors car tous nos désirs seront comblés, ce qui est le propre de la béatitude. Or, le Christ dit déjà quelque chose du Père ici-bas : « personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler » (Mt 11, 27) car il éclaire les hommes comme la seule vraie lumière (Jn 1, 9 ; 8, 12).

Tout ce qu’a dit Jésus avant sa Passion n’était pas totalement perceptible par les apôtres parce que « j’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter » (Jn 16, 12). Mais après la Résurrection, « c’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu » (Ac 1, 3). Enracinés désormais dans leur foi qu’il est le Dieu véritable, les apôtres avaient été élevés à des réalités plus hautes sur de nombreux mystères et son Père. « Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures » comme à Emmaüs (Lc 24, 45). Il fait d’eux des hommes spirituels. Un homme naturel croirait que ce ne sont que de simples proverbes, même pleins de sagesse : « l’homme, par ses seules capacités, n’accueille pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; pour lui ce n’est que folie, et il ne peut pas comprendre, car c’est par l’Esprit qu’on examine toute chose » (1 Co 2, 14). La venue de l’Esprit-Saint permet cet approfondissement spirituel.

  1. Un accès au Père
    1. La confiance de l’amour et de la foi fait s’adresser au Père

Jésus enseigne la confiance et montre d’abord l’amour du Père pour les disciples avant d’expliquer son intimité avec lui en tant que Fils. Le Seigneur rappelle d’abord sa promesse et y ajoute même l’assurance pour demander. ‘Connaissant alors clairement le Père, vous saurez que moi je lui suis coessentiel et que, par moi, vous avez accès auprès de lui en son nom’. En effet, demander au nom du Christ, c’est espérer avoir par lui accès au Père.

Mais le Christ prie bien pour nous : « nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste » (1 Jn 2, 1). Mais nous ne prions pas un homme comme un prêtre qui intercède, mais bien Dieu le Fils qui exauce communément avec son Père. Même si tout passe par le Fils, nous pouvons avoir un accès immédiat auprès du Père par l’adoption spirituelle : fils dans le Fils. ‘Alors, vous aurez une si grande confiance en Dieu le Père que vous-mêmes pourrez lui demander en mon nom, sans avoir besoin qu’un autre vous introduise’. En effet, le Père les aime, en voulant pour elles le bien de leur nature : « Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres » (Sg 11, 25). L’amour privilégié dont ils bénéficient avec tous les saints fait qu’il veut leur communiquer le bien suprême qu’il est lui-même : « les âmes des justes sont dans la main de Dieu » (Sg 3, 1).

Le Christ le prouve à partir de l’amour des disciples à son égard et de leur foi en lui. La preuve n’est pas par la cause mais par le signe. En effet, « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (1 Jn 4, 10). Mais si nous l’aimons, alors c’est que lui nous en a donné la grâce : « Aimer Dieu est entièrement un don de Dieu. Lui qui nous a aimés sans être aimé nous a donné de l’aimer » (S. Augustin). « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Et la foi est ce qui permet de plaire et d’être agréable à Dieu (He 11, 6). Cette foi provient de l’amour de Dieu et est aussi une grâce. Si quelqu’un croit et aime le Christ en tant qu’il est sorti de Dieu, son amour retourne principalement à Dieu le Père ; mais non pas s’il l’aime en tant qu’il est homme.

    1. L’exitus-reditus

Le Christ retourne précisément par l’Ascension auprès du Père puisque c’est de là qu’il est sorti. C’est tout le mouvement de l’exitus-reditus (sortie-retour) qui donne la trame de la Somme de Théologie de S. Thomas d’Aquin. Mais on peut comprendre la sortie d’auprès du Père comme la procession qui est double : l’une éternelle, ayant été engendré par lui éternellement et l’autre temporelle par l’Incarnation. « Je suis sorti du Père » : le Fils n’est pas dans le Père comme une partie dans un tout ou comme un contenu dans un contenant puisqu’ils partagent la même essence ou substance : « Le Père et moi, nous sommes UN » ni comme une puissance pas encore en acte. Ce qui sort du tout comme une partie en est distinct par l’essence, car la partie sortant du tout devient un être en acte, elle qui était, dans le tout, un être en puissance. De même, ce qui sort du tout qui le contient s’en distingue selon le lieu ; mais le Fils ne sort pas du Père selon le lieu, puisqu’il emplit tout. II n’en sort pas non plus par division, puisque le Père est impartageable. Mais il sort de lui par distinction personnelle. Comme une pensée sort de mon cerveau en tant que je la profère par une parole mais demeure pourtant toujours en moi. « Comme la rosée qui naît de l'aurore, je t'ai engendré » (Ps 109, 3). Dans les réalités corporelles, ce qui sort d’une chose n’est plus en elle, puisqu’il en sort par séparation d’essence ou de lieu. Tandis qu’ici, le Fils est sorti de toute éternité du Père d’une manière telle que, cependant, il est en lui de toute éternité. « Je suis venu dans le monde » s’attache quant à elle à la procession temporelle, dans l’Incarnation en assumant la nature humaine.

L’Ascension qu’il annonce ne saurait signifier le grand horloger des déistes qui abandonnerait hors du secours de sa Providence sa Création rachetée à tel prix ! Il gouverne toujours le monde et est toujours avec les fidèles par le secours de la grâce : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Il retourne vers le Père dont il ne s’est pourtant jamais séparé ! Mais il y va en tant qu’il s’est offert en sa Passion « en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur » (Ep 5, 2). Par la Résurrection, il a été comme homme configuré au Père dans l’immortalité : « lui qui est vivant, c'est pour Dieu qu'il est vivant » (Rm 6, 10) et il en partage la gloire.

  1. L’effet : la confession des disciples

Les disciples confessent leur foi en trois aspects : la clarté de son enseignement, la certitude de sa science et son origine divine. On trouvera difficilement un lieu de l’Écriture sainte où l’origine du Christ soit exprimée comme ici quand il dit : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ». C’est pourquoi, croyant que cette promesse : « Je vous parlerai ouvertement de mon Père » s’est accomplie pour eux de telle sorte qu’ils n’ont pas besoin d’une autre manifestation, les disciples croyaient ce moment arrivé. Mais ils ne comprenaient pas encore car n’était pas venue l’heure de la Résurrection ou de la gloire. Cependant, il leur avait alors parlé plus clairement que jamais auparavant même s’il fallait encore attendre une autre clarté de ses paroles.

Les disciples confessent que ces paroles prouvent sa science certaine et parfaite. En effet, « d’une manière générale, le signe qui distingue celui qui sait de celui qui ne sait pas, c’est qu’il peut enseigner » (Aristote, Métaphysique). Nous ne savons pas expliquer clairement avec des mots ce qui dépasse notre intelligence. Mais les Apôtres parlent ainsi, parce que le Seigneur sait tous les secrets de leur cœur et éclaire leurs doutes : il les console en promettant la joie de l’Esprit Saint, une nouvelle vision de lui et l’amour du Père. Si le Christ interroge et est interrogé, c’est non pas que lui en ait besoin, mais que nous en avons besoin.

Proclamer qu’il sait toutes choses, même les secrets des cœurs, signifie confesser qu’il est Dieu puisque c’est un attribut propre à la divinité de sonder les reins et le cœurs (Jr 17, 10). Ils confessent qu’étant sorti de Dieu, il est consubstantiel au Père, et vrai Dieu.