S. Jeanne d'Arc (08/05/2022 - S. Jeanne et la France)

Homélie de la Sainte Jeanne d’Arc (8 mai 2022)

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Sainte Jeanne d’Arc et la France

  1. « La grande pitié du royaume de France »
    1. La prophétie de la pucelle des confins de Lorraine

Jeanne naquit vers 1412 à Domrémy, dans le Barrois mouvant, partie sud pour laquelle le duc prêtait hommage au roi de France. Aînée des cinq enfants de Jacques d’Arc et Isabelle Rommée, elle aimait pérégriner chaque samedi et porter des cierges à la chapelle de Bermont. À 13 ans, elle entendit dans le jardin de son père les voix de S. Catherine, S. Marguerite et l’archange S. Michel lui demandant d’être pieuse, de libérer le royaume de France de l’envahisseur et de conduire le Dauphin Charles (VII) sur le trône. Elle voua sa virginité à Dieu car en 1428 un jeune homme de son village lui fit un procès à l’officialité de Toul car il l’estimait engagée envers lui comme fiancée car ses parents craignaient qu’elle ne fût considérée dans l’armée comme ‘fille à soldats’. Le jugement la déclara libre de tout lien.

Au tournant 1428-1429, le siège d’Orléans était connu des marches de Lorraine, rendant les voix plus pressantes. Aidant une cousine dans ses relevailles à Burey, elle en pria l’époux Durand Laxart de la conduire au sire Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs pour obtenir une lettre de crédit qui lui ouvrirait les portes de la Cour. Il conseilla de la renvoyer chez son père avec une bonne gifle car elle n’avait pas prévenu ses parents. Sans rien préférer au Christ (Lc 18, 28-30), elle devait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5, 29).

Jeanne vint s’installer à Vaucouleurs trois semaines chez Henri et Catherine Le Royer. Par son grand charisme, elle fut soutenue par la population. Elle guérit le duc Charles II de Lorraine qui l’avait mandée à Nancy mais imposa en contrepartie de se séparer de sa maîtresse et d’envoyer son fils René d’Anjou aider le Dauphin, son beau-frère. Ayant prophétisé la défaite de la journée des Harengs le 12 février 1429 et l’arrivée de proches de Baudricourt, le capitaine lui donna une escorte de six hommes. Elle pria à S. Nicolas-de-Port avant son départ. Elle se mit à porter l’habit et la coiffure d’homme.

    1. La rencontre avec le Dauphin à Chinon

Reçue le 25 février 1429 en privé par le Dauphin, elle lui parle de sa mission et fit quatre prophéties (libération d’Orléans, sacre à Reims, libération de Paris et du duc d’Orléans). Elle délivra à Charles ce message : « Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle et vous mande le Roi des cieux par moi que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims ». Elle fut examinée théologiquement à Poitiers pour écarter toute hérésie et sorcellerie et sa virginité fut vérifiée par des matrones dont Yolande d’Aragon, belle-mère du roi. Une enquête fut diligentée à Domrémy contre les calomnies bourguignonnes raillant la « putain des Armagnacs » car à l’opposition aux Anglais, la guerre de Cent Ans ajoutait une guerre civile entre deux clans.

Le Dauphin lui confia à Tours (5-21 avril) une armure et la bannière des lys à laquelle elle fit apposer les noms de Jésus et Marie comme les ordres mendiants. Elle refusa l’épée proposée car ses voix lui avaient indiqué que Charles-Martel l’avait enterrée derrière l’autel à Fierbois dans la chapelle à Sainte-Catherine après avoir vaincu les maures en 732 à Poitiers. À Blois, elle expulsa ou maria les prostituées suivant le convoi de ravitaillement. Elle écrivit aux capitaines anglais : « Au nom de Dieu, retirez-vous, ou je vous ferai partir ».

    1. La libération d’Orléans

Malgré les manigances de capitaines choisissant le sud plutôt que le nord qu’elle indiquait, depuis Port Saint-Loup, une flotte venue d’Orléans ramena dans la ville le ravitaillement, Jeanne elle-même et 200 soldats. Le vent qui avait amené les bateaux en amont s’inversa brutalement et les conduisit à bon port sous le couvert de l’obscurité le 29 avril 1429. Après l’assaut du 4 mai contre le fort Saint-Loup, elle menaça de quitter si la soldatesque ne changeait pas ses mœurs. Le jeudi de l’Ascension, elle se confessa à nouveau et communia : « Elle donna l’ordre que personne n’entreprit le lendemain de sortir de la cité pour aller à l’attaque avant de s’être préalablement confessé ; et que les hommes d’armes veillent à ne pas traîner de femmes perdues avec eux… Il en fut comme elle avait ordonné ! ».

Elle lança elle-même la bataille des Tourelles malgré les capitaines. Prenant une échelle, elle s’écria : « Entrez hardiment, tout est vôtre ». Comme prédit la veille à son confesseur Jean Pasquerel : « demain le sang coulera de mon corps au-dessus de ma poitrine », elle fut blessée par un carreau d’arbalète qu’elle retira et revint au combat : « au nom de Dieu, j’irai, et qui m’aime me suivra ! ». Le siège fut levé dans la nuit du 7 au 8 mai 1429. Elle nettoya le val de Loire à Patay le 18 juin qui vengeait Azincourt et décapita le corps des archers anglais. Elle convainquit Charles à Loches d’aller se faire sacrer à Reims. Les troupes royales obtinrent la reddition de Troyes grâce à l’obstination de Jeanne puis suivirent Chalons et Reims le 16 juillet. Charles VII fut sacré le 17 juillet 1429. Dieu légitimait le « roi de Bourges » déshérité par sa mère Isabeau de Bavière au traité de Troyes (1420).

  1. La montée au Golgotha
    1. Échecs et arrestation

Elle échoua devant Paris le 8 septembre 1429 et fut de nouveau blessée par arbalète. L’armée royale fut dissoute mais elle leva sa propre troupe qui vainquit à Saint-Pierre-le-Moûtier le 4 novembre mais échoua devant La Charité-sur-Loire. Elle hiverna à Jargeau puis Sully-sur-Loire. En mai 1430, à Lagny, elle rendit la vie à un enfant mort depuis trois jours et à la peau déjà noircie. Il fut baptisé et mourut chrétiennement. Les Bourguignons la capturèrent le 23 mai 1430 à Compiègne. Elle échoua deux fois à s’évader (Beaulieu puis Beaurevoir où elle se blessa en sautant par la fenêtre. Elle se confessa de n’avoir pas écouté S. Catherine). Elle fut vendue aux Anglais le 21 novembre 1430 pour 10.000 £ tournois, payées par les Rouennais.

    1. Le procès de Jeanne

Elle fut jugée du 21 février au 23 mai 1431 pour 70 chefs d’accusation dont « faiseuse mensongère de révélations et apparitions divines », schismatique, apostate, hérétique, sorcière. Mais ce procès canonique avec 120 personnes, surtout ecclésiastiques apeurés par la contrainte anglaise se déroula dans la chapelle et la tour-prison du château royal de Rouen.

Sa répartie déjoua les pièges : « quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10, 19-20). Par exemple « sur l’amour ou la haine que Dieu porte aux Anglais, je n’en sais rien, mais je suis convaincue qu’ils seront boutés hors de France, exceptés ceux qui mourront sur cette terre » et « Les Anglais en Angleterre, voilà la paix ! ». Interrogée si elle était en état de grâce : « Si j’y suis, Dieu m’y garde ; si je n’y suis, Dieu m’y mette. Je serais la plus dolente au monde, si je savais ne pas être en sa grâce ! ». Elle justifia l’étendard porté jusqu’au sacre : « Mon étendard fut à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur ! ». Pas meilleure que les autres, elle était simplement choisie par Dieu : « Il plut à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du Roi » et « N’était la grâce de Dieu, moi-même je ne saurais que faire ». « Dieu et l’Église, c’est tout un ». Voulant la prendre à défaut sur ses voix : « Elles ne me commandent pas de désobéir à l’Église, Dieu premier servi ».

    1. Condamnée comme « relapse »

Jeanne espérait être sauvée. « Prends tout en gré, ne te chaille (= préoccupe) pas de ton martyre, tu t’en viendras enfin au Royaume de Paradis » de ses voix était compris comme la prison. Elle abjura le 24 mars 1431 au cimetière S. Ouen contre la fausse promesse d’une prison d’Église gardée par des femmes mais signa d’une croix, signe convenu indiquant la contrainte car elle savait écrire son nom. Le 28 mai, ses voix lui montrèrent qu’elle risquait la damnation pour cette abjuration dont elle se confessa. Ayant repris ses habits d’homme, elle devint relapse (= retombée dans l’erreur). « Jeanne est devenue bien plus qu’un être d’une pureté de diamant. Elle atteint au sublime. Elle n’accuse personne : ni Dieu, ni son roi (qui n’a pas levé le doigt pour la secourir), ni ses voix. Doucement, dans les larmes, elle s’abandonne comme un grain de froment qui va être broyé par la meule ». Toutefois, elle accusa Pierre Cauchon : « Évêque, je meurs de par vous ! (…) J’en appelle de vous devant Dieu ! ».

Elle mourut le 30 mai 1431 le regard fixé sur la croix de procession ramenée de l’église S. Laurent et embrassant un petit crucifix de branches fabriqué un soldat anglais. Le cardinal de Winchester voulut trois crémations pour qu’il ne restât aucune relique. Son cœur ne brûla pas à la seconde malgré l’explosion sur la foule de sa boîte crânienne et cavité abdominale. Après la troisième crémation, les restes furent jetés dans la Seine au pont-Mathilde. « Ils ont voulu qu’il n’y eût pas un coin de terre française où vos frères puissent venir s’agenouiller pour vous demander le courage. Sainte Jeanne, sœur tant aimée, cette poussière, c’est dans nos cœurs qu’elle est tombée et repose » (Paul Doncœur, conseiller du film de V. Fleming en 1948).

Conclusion

La république a laïcisé la mission divine de la France, prétendant qu’elle devrait défendre des droits de l’homme. L’Église court aussi aujourd’hui après ces valeurs révolutionnaires, oubliant de défendre les droits de Dieu. « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? (…) France, fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? » (S. Jean-Paul II, 1er juin 1980, Le Bourget). Nous savons que la France n’est grande que quand elle est catholique, que les Français ne sont grands que s’ils savent s’agenouiller devant l’Éternel.

« Tels sont nos Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s’en faut. Ils ont même beaucoup de défauts. Ils ont plus de défauts que les autres.

Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les autres avec censément moins de défauts.

Je les aime comme ils sont. Il n’y a que moi, dit Dieu, qui suis sans défaut (…)

Or ces Français, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs.

Ils ont été, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la croisade.

Or il y aura toujours la croisade.

Enfin ils me plaisent. C’est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais. Ils ont du pour et du contre. Je connais l’homme. Je sais trop ce qu’il faut demander à l’homme. Et surtout ce qu’il ne faut pas lui demander.

O mon peuple français, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasse point des contorsions.

Ni des contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse.

Et dans ton péché même tu fais moins de contorsions.

Quand tu pries, agenouillé tu as le buste droit (…)

Et les deux regards des deux yeux bien parallèlement montant droit au ciel.

O seul peuple qui regarde en face.

Et qui regardes en face la fortune et l’épreuve.

Et le péché même.

Et qui moi-même me regarde en face (…)

Peuple, les peuples de la terre te disent léger parce que tu es un peuple prompt.

Les peuples pharisiens te disent léger parce que tu es un peuple vite.

Tu es arrivé avant que les autres soient partis.

Mais moi je t’ai pesé, dit Dieu, et je ne t’ai point trouvé léger.

O peuple inventeur de la cathédrale, je ne t’ai point trouvé léger en foi.

O peuple inventeur de la croisade je ne t’ai point trouvé léger en charité.

Quant à l’espérance, il vaut mieux ne pas en parler, il n’y en a que pour eux.

C’est embêtant, dit Dieu, quand il n’y aura plus ces Français,

Il y a des choses que je fais, il n’y aura plus personne pour les comprendre »

Charles Péguy « La France » Poésie, 1912, éditions de 1932 (Ed. Gallimard.)

Dans la nouvelle guerre idéologique qui fait rage, soyons de ces soldats droits dans leurs bottes, malgré leurs péchés : « En nom Dieu, les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire ! ». « Fille de Dieu, va » disaient ses voix à Jeanne. Fille aînée de l’Église, va ton destin !

Date de dernière mise à jour : 08/05/2022