4e Pâques (07/05 - lect. thom. évang.)

Homélie du 4e dimanche après Pâques (7 mai 2023)

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Lecture thomiste de l’évangile (Jn 16, 5-14)

En Jn 14, Jésus avait déjà triplement consolé ses disciples assurant qu’ils auraient accès auprès du Père (« Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » Jn 14, 2), que le Paraclet serait envoyé (Jn 14, 16) et à nouveau qu’ils verraient le Christ (« Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous », Jn 14, 18). Jn 16 reprend ces trois raisons mais inversées.

  1. La consolation par rapport au départ du Christ
    1. La promesse de l’Esprit-Saint Paraclet

Jésus annonça son départ car il s’en retournait vers son Père. Chaque réalité trouve sa perfection lorsqu’elle retourne à son principe (cf. I, 12, 1 et II-II, 81, 7). Jésus, dans son humanité, allait vers celui auprès de qui, de toute éternité, il était dans sa divinité. Pourquoi s’étonne-t-il de l’absence de question puisque SS. Pierre et Thomas lui avaient demandé : « Seigneur, où vas-tu ? » (Jn 13, 36 et 14, 5). Soit les disciples étaient sidérés par le martyre qu’ils devraient subir à leur tour et oubliaient les anciennes paroles. Soit l’allusion renvoie plus à l’Ascension qu’à la Passion sur laquelle il n’était pas nécessaire de l’interroger puisqu’ils y assisteraient (Ac 1, 9). Cette prophétie provoqua de la tristesse. S’il est normal de s’attacher d’affection pour un ami dont la présence réjouit, elle ne doit pas être trop terrestre. Il serait mauvais que la passion emportât la raison (cf. Jn 14, 1.27 et Si 30, 21 ; Si 38, 20).

    1. La venue de l’Esprit-Saint était nécessaire

Jésus promit l’Esprit Saint et il devait partir avant. Ne pouvait-il le donner tout en vivant dans la chair ? Il ne le voulut pas parce que les disciples n’étaient pas disposés à cet amour spirituel, encore empêtrés dans un amour trop terrestre. Ils ne s’étaient pas encore élevés au niveau spirituel : « désormais nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine : si nous avons connu le Christ de cette manière, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi » (2 Co 5, 16). Deuxièmement le secours divin est le plus présent dans les nécessités : « Le Seigneur s’est fait refuge pour le pauvre, son aide aux moments opportuns, dans la tribulation » (Ps 9, 10, Vulg., cf. Ps 26, 10). Tant qu’il était avec eux, le Christ leur suffisait, mais après son départ, à peine sevrés (Is 28, 9) un autre Consolateur vint les aider face aux nombreuses tribulations. Troisièmement, le Christ en tant qu’homme n’a pas à donner l’Esprit Saint, mais en tant que Dieu (III, 7, 5, ad 2). Aucune ambiguïté n’était permise puisque certains ne voyaient en lui qu’un homme (« L’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » ; « du trône de ta grandeur, envoie-ta Sagesse » (Sg 9, 10). Quatrièmement il fallait sauvegarder l’unité de l’Église. « Jean-Baptiste n’avait fait aucun signe » (Jn 10, 41), pour que le peuple ne se divisât pas entre le Christ et lui. De même, si les apôtres avaient fait des signes plus grands que ceux du Christ (Jn 14, 12), ils auraient fourvoyé les fidèles sur qui sauve vraiment. L’Esprit-Saint, égal au Père et au Fils, console (il n’est pas inférieur comme le pensaient les hérétiques macédoniens).

    1. La venue de l’Esprit-Saint était utile

Il était utile que vînt l’Esprit-Saint. Il convaincra (arguet) le monde, le reprendra (reprehendet) : « Reprends le sage, et il t’aimera » (Pr 9, 8). Le Christ avait déjà convaincu le monde en dénonçant pharisiens et scribes. L’Esprit pénétrant invisiblement les cœurs, répandra dans les apôtres la charité qui, chassant toute crainte, leur donnera pour convaincre (libertas et non potestas arguendi) afin que le peuple s’amendât. Il fallait que les apôtres le convainquissent du péché commis : « dénonce à mon peuple sa révolte, à la maison de Jacob ses péchés » (Is 58, 1) ; qu’ils avaient négligé la justice : « Il n’y a pas un juste, pas même un seul » (Rm 3, 10 ; Ps 13,3) et qu’ils avaient méprisé le jugement à force de pécher plus que les nations : « iI a méprisé mes jugements, au point d’être plus impie que les païens » (Ez 5, 6, Vulg.).

Le Seigneur s’explique sur ces trois points. L’Esprit Saint convainc seulement du péché d’incroyance, car par la foi tous les autres péchés sont remis (Mt 10, 32 ; Rm 4, 5-6). Jésus dit bien : « parce qu’ils n’ont pas cru en moi » et pas : « pas cru à moi » ni : « ne m’ont pas cru ». Ce n’est pas en effet la même chose ! ‘Croire à Dieu’ désigne l’objet, ‘croire Dieu’ le témoin, et ‘croire en Dieu’ la fin (II-II, 2, 2). On peut croire qu’une créature a bien été créée ou qu’elle soit témoin de la foi (je crois S. Paul). Mais la fin de la foi ne peut être que Dieu, bien suprême, objet de notre amour de charité. Croire en Dieu comme à une fin est propre à la foi formée par la charité agissant dans les bonnes œuvres (Ga 5, 6). Les démons croient que le Christ existe mais tremblent en enfer car leur ‘foi’ n’est pas formée par l’espérance et la charité (Jc 2, 19).

La justice des apôtres est le second point. Elle provient non de la loi mais de la foi (Rm 3, 22) que le monde n’a pas imitée. La foi porte sur les réalités invisibles (He 11, 1) : les disciples voyaient l’humanité du Christ mais pas sa divinité comme dans la récompense (Jn 14, 21). Leur foi portait d’abord sur sa divinité puis aussi sur son humanité après l’Ascension : « parce que je m’en vais auprès du Père, et que vous ne me verrez plus » dans la chair mortelle. Ils le virent après sa Résurrection, vivant d’une existence immortelle. Au jugement dernier, ils verront de nouveau son humanité dans sa majesté. Les Juifs refusèrent de reconnaître qu’il était juste, l’accusant d’être pécheur (Jn 9, 24) et comme il va vers le Père, cela relève sa justice puisqu’aucun pécheur ne peut paraître devant Dieu (Rm 3, 23).

Le troisième point porte sur le jugement. Le diable, prince du monde, est déjà jugé, expulsé au-dehors (Jn 12, 31). Le Christ réfute l’excuse de qui se disculpe de son péché par la tentation du diable parce que le diable est chassé du cœur des croyants par la grâce, par la foi au Christ et par l’Esprit Saint. Il ne tente plus de l’intérieur mais que de l’extérieur suivant ce que Dieu permet. Et qui veut adhérer au Christ peut résister à ces tentations-là. Certes, le foyer de péché n’est jamais totalement éteint ici-bas. Mais même si nous péchons, efforçons- nous que le péché ne « règne pas en nous », reprenant un pouvoir qui lui fut retiré (cf. Rm 6, 12). Par ailleurs puisque la sentence de Satan est déjà prononcée, sont aussi condamnés tous ceux qui adhèrent à lui (Mt 25, 41). Le monde est jugé avec son prince dont il imite orgueil et impiété.

  1. Instruire et glorifier
    1. L’Esprit Saint instruira les disciples

Les disciples avaient besoin de cette instruction, parce qu’ils n’étaient pas encore comblés bien qu’instruits par le Christ, : « Voici ce qui a été dit d’une partie de ses paroles ; et si c’est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l’éclat du tonnerre de sa grandeur ? » (Jb 26, 14). Contre tout gnosticisme, ésotérisme, ou franc-maçonnerie, on ne réserve pas aux grands de secrets de doctrine. La foi nécessaire au salut est prêchée ouvertement (Mt 10, 27). Mais tout le monde n’en retire pas le même profit car on ne reçoit qu’à sa propre mesure. Certaines choses sont mal comprises, voire suscitent le scandale pour les moins avertis comme l’égalité du Fils avec le Père. L’intelligence spirituelle de toutes les Écritures, en particulier sur la Passion, n’était pas encore disponible comme après Emmaüs quand le Christ « alors ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures » (Lc 24, 45). Certains reçoivent des révélations mystiques comme S. Paul en extase qui « a été emporté au paradis et il a entendu des paroles ineffables, qu’un homme ne doit pas redire » (2 Co 12, 4). Beaucoup de voyants reçurent des secrets personnels.

L’Esprit-Saint, étant la Vérité, il lui appartient de l’enseigner et de rendre les autres semblables à son propre principe. La vérité de la foi nous est communiquée par l’Esprit qui élève notre intelligence en cette vie, et pleinement dans la vie éternelle, « ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu » (1 Co 13, 12).

Si l’Esprit Saint instruit les disciples, il n’est pas plus grand que le Christ. Il instruira par le pouvoir (virtus) du Père et du Fils, ne parlant pas de son propre mouvement mais « de moi » puisque c’est du Christ qu’il sera. Comme le Fils n’opère pas de lui-même parce qu’il n’est pas de lui-même mais du Père, de même l’Esprit Saint, parce qu’il est d’un autre (ab alio), du Père et du Fils. L’Esprit instruit intérieurement, illuminant intérieurement nos intelligences, parlant cœur à cœur (Os 2, 16), « cor ad cor loquitur » (S. John Henry Newman).

Le futur ‘entendra’ désigne plus particulièrement les réalités à venir, dont les tribulations de l’Apocalypse. Les prophéties permettent de discerner l’origine divine de la sagesse : « les signes et les prodiges, elle les prévoit, ainsi que les temps et les moments favorables » (Sg 8, 8) ; « Annoncez-nous ce qui viendra, et nous saurons que vous êtes des dieux ! » (Is 41, 23).

    1. L’Esprit Saint glorifiera le Christ

L’Esprit-Saint glorifiera le Christ car il rendra claire la connaissance qu’on en a. Il illumine les disciples en les attachant non plus au Christ selon les faiblesses de la chair, mais en connaissant la majesté de sa divinité (1 Co 2, 10). Il leur donna aussi la hardiesse de l’annoncer clairement, alors qu’ils étaient auparavant craintifs, n’osant confesser publiquement le Christ. Enfin, il opéra par les apôtres des œuvres étonnantes.

En Dieu, la réception n’est pas comme dans les créatures chez lesquelles on distingue ce qui reçoit de ce qui est reçu, ce qui est contraire à la simplicité des personnes divines. De même, il n’y eut aucun moment où il n’aurait pas reçu (pas d’avant et après) car Fils et Saint-Esprit possèdent de toute éternité ce qu’elles reçoivent du Père ou du Père et du Fils.