S. Jeanne d'Arc (14/05 - message de Jeanne)

Homélie de la sainte Jeanne d’Arc (14 mai 2023)

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Sainte Jeanne d’Arc (1412-1429) et la France

  1. « La grande pitié du royaume de France »
    1. La prophétie de la pucelle des confins de Lorraine

« Quand j’eus l’âge de 13 ans, j’eus une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner. Et la première fois, j’eus grand’peur ». 13 ans était l’âge de la nubilité, du choix, de la vocation. Elle voua sa virginité à Dieu et la défendit car en 1428 un jeune homme de son village lui fit un procès à l’officialité de Toul. Ses parents l’avaient fiancée car ils craignaient qu’elle ne passât dans l’armée pour une ‘fille à soldats’. Le jugement la déclara libre de tout lien.

« Cette voie est belle et douce, et humble, et parle langage de France » (p. 297). Elle « m’enseigna à bien me conduire, à fréquenter l’église. Elle me dit qu’il était nécessaire que je vinsse en France (deux à trois fois par semaine) et que mon père ne sût rien de mon départ ». Elle apprit qu’elle lèverait le siège d’Orléans, libérerait le royaume de France de l’envahisseur et conduirait le Dauphin sur le trône. « Et alors je répondis que j’étais une pauvre fille qui ne savait monter à cheval ni mener la guerre ».

    1. La rencontre avec le Dauphin à Chinon et la libération d’Orléans

À Chinon, le 25 février 1429, « quand j’entrai dans la chambre du Roi, je le reconnus entre les autres par le conseil de ma voix qui me le révéla. Je lui dis que je voulais aller faire la guerre contre les Anglais » (p. 42). Ses voix lui avaient indiqué où trouver l’épée que Charles-Martel avait enterrée derrière l’autel à Fierbois dans la chapelle à Sainte-Catherine après avoir vaincu les Arabes à Poitiers en 732. Elle écrivit aux capitaines anglais : « Au nom de Dieu, retirez-vous, ou je vous ferai partir ». Le jeudi de l’Ascension  « elle donna l’ordre que personne n’entreprit le lendemain de sortir de la cité pour aller à l’attaque avant de s’être préalablement confessé ; et que les hommes d’armes veillent à ne pas traîner de femmes perdues avec eux… Il en fut comme elle avait ordonné ! ». Le siège fut levé dans la nuit du 7 au 8 mai 1429. Charles VII fut sacré le 17 juillet 1429.

  1. Montée au Golgotha
    1. Échecs et arrestation ; puis le procès de Jeanne

Elle échoua devant Paris le 8 septembre 1429. Les Bourguignons la capturèrent le 23 mai 1430 à Compiègne. Elle échoua deux fois à s’évader (Beaulieu puis Beaurevoir où elle se blessa en sautant par la fenêtre. Elle se confessa de n’avoir pas écouté S. Catherine). Elle fut vendue aux Anglais le 21 novembre 1430 pour 10.000 £ tournois, payées par les Rouennais. Elle fut jugée par une procès canonique devant 120 personnes, du 21 février au 23 mai 1431 pour 70 chefs d’accusation dont « faiseuse mensongère de révélations et apparitions divines », schismatique, apostate, hérétique, sorcière. À l’inhumanité judiciaire s’ajouta l’ecclésiastique. L’évêque de Beauvais Pierre Cauchon l’empêchait d’entendre la messe et de se confesser alors qu’elle le faisait tous les jours à Fr Jean Pasquerel (« on ne saurait trop nettoyer sa conscience »). Elle refusait de s’en remettre à l’Église militante au nom de l’Église triomphante, mes voix « ne me commandent pas de désobéir à l’Église, Dieu premier servi ». « Dieu et l’Église, c’est tout un ». Elle en appela au Pape et subsidiairement au concile de Bâle, ce qui lui fut dénié. L’université de Paris, ‘soleil radieux de la Chrétienté’ voulait la perdre pour complaire aux Anglais. Jeanne n’avait pas d’avocat mais l’Esprit-Saint pour l’assister (Mt 10, 19-20) dans son dernier combat, dans un prétoire.

Socrate, Fouquet, Marie-Antoinette défendirent leur cause mais acceptaient la procédure. Pas Jeanne. « Des révélations à moi faites de par Dieu, je ne les ai dites ni révélées à personne, fors au seul Charles mon roi. Et je ne les révélerais même si on devait me couper la tête car j’ai eu cet ordre par vision, j’entends par mon conseil secret de ne rien révéler à personne ». Elle répondait souverainement « Passez outre » (continuez) ! Jamais l’accusé ne fixe le cadre du procès. Jeanne subvertit l’institution et rappelle aux hommes de Dieu leur devoir : « vous pourriez me contraindre à dire telle chose que j’ai juré de ne pas dire, et ainsi je serais parjure, ce que vous ne devriez pas vouloir » ; « avisez-vous de ce que vous faîtes car, en vérité, je suis envoyée de par Dieu, et vous vous mettez en grand danger », sous-entendu : ‘vous pouvez me faire brûler sur la terre, mais vous pourrez aussi en brûler éternellement ailleurs’. Maîtresse du temps, elle consulte ses voix avant de répondre après délai.

Pierre Cauchon lui interdisait de s’échapper car en cas de crime d’hérésie, cela revenait à prouver la culpabilité. « Je n’accepte point cette défense (…). Si je m’échappais, nul ne me pourrait reprendre pour avoir faussé ou violé la loi puisque je n’ai baillé ma foi à personne ». Si dans le droit chevaleresque, le vaincu baillait sa foi, devenant prisonnier de parole, elle ne fit pas. Les Anglais auraient d’ailleurs dû la libérer contre rançon, comme Du Guesclin la fixant lui-même en 1367. Jeanne aurait dû être en prison d’Église gardée par des femmes. Par une astuce de robin, Cauchon fit sien les trois gardes anglais afin qu’ils devinssent gardes d’Église ! « De plus, j’ai à me plaindre d’être détenue avec chaînes et entraves de fer ». « Évêque, je meurs de par vous ! (…) J’en appelle de vous devant Dieu ! ».

    1. Condamnée comme « relapse »

Jeanne espérait être sauvée. « Prends tout en gré, ne te chaille (= préoccupe) pas de ton martyre, tu t’en viendras enfin au Royaume de Paradis » qu’elle comprenait comme la prison. En abjura le 24 mars 1431 contre la fausse promesse d’une prison d’Église gardée par des femmes, elle signa d’une croix, indiquant la contrainte car elle savait écrire son nom. Mais le 28 mai, elle se confessa car ses voix lui montrèrent qu’elle risquait la damnation. Jeanne faillit être violée (Martin Ladvenu le 5 mars 1450 témoigna « que la souvent nommée Jeanne lui révéla que dans ce cachot, après son abjuration, elle fut beaucoup violentée et harcelée et par son oppression et pour sa corruption (violenter multum infestata et oppressione et ejus corruptione etiam) par l’un des gardes anglais ». C’était une grande épreuve, s’étant vouée à Dieu : « pourvu que je tienne le serment et promesse que j’ai faits à Notre-Seigneur, c’est assavoir de garder ma virginité de corps et d’âme ».

Elle reprit ses habits d’homme et devint relapse (= retombée dans l’erreur). Elle fut brûlée le 30 mai 1431. Le cardinal de Winchester exigea trois crémations pour qu’il ne restât aucune relique. Son cœur ne brûla pas à la seconde malgré l’explosion sur la foule de sa boîte crânienne et cavité abdominale. Après la troisième crémation, les restes furent jetés dans la Seine au pont-Mathilde.

  1. Traits saillants
  1. Jeanne au service de la guerre juste

Si la « bergère de Lorraine » n’avait pas souvent gardé les troupeaux, elle est le pendant féminin de Jésus-Christ, le bon pasteur, s’opposant au mercenaire qui fleurissaient alors. Ces soudards pillaient violaient, tuaient, brûlaient. Jeanne fait une guerre propre, protégeant et guidant le pauvre peuple. « Je n’ai jamais tué personne ». Mais elle participa à des batailles où de nombreux Anglais étaient occis : « comme vous en parlez doucement ! Que ne rentraient-ils chez eux ? ». Aima-t-elle trop la guerre, comme Louis XIV ? Elle était à son aise sinon, elle n’aurait pas si bien réussi : « elle était ignorante de tout et exceptée dans l’art de la guerre ». Son procès révèle la stratège, la tacticienne, le coup d’œil, le goût de l’offensive. Son cri « Entrez, tout est vôtre » ; ses propos : « alors mon beau duc, auriez-vous peur ? Avez-vous oublié que j’ai promis à votre épouse de vous ramener sain et sauf ? », disent son aisance joyeuse dans la vie militaire.

Mais Jeanne humanisa la guerre, car elle la christianisa. Jeanne était un chevalier, peut-être le dernier. Le souverain auquel elle avait baillé sa foi était Jésus Christ, son roi, pour lequel elle combattait. Mais elle ne commit aucun crime de guerre . La haine recuite de ses juges l’en auraient incriminée ! Elle fit soigner les blessés, administrer les sacrements aux mourants, nourrir les prisonniers. Aux civils rendus à l’ennemi, elle accorda sans aucune exception l’amnistie générale. Cette vraie guerrière incarnait la béatitude ‘Heureux les artisans de paix’. À son roi qui se laissait piéger par une fausse diplomatie : « Vous aurez la paix à la pointe de la lance ». Ainsi incarne-t-elle, en acte, le juste emploi de la violence, pas un mal honteux mais nécessaire accompli dans l’ombre, mais dans la gloire de l’épée qui resplendit au soleil et fait la juste paix pour l’honneur de Dieu. « Sur l’amour ou la haine que Dieu porte aux Anglais, je n’en sais rien, mais je suis convaincue qu’ils seront boutés hors de France, exceptés ceux qui mourront sur cette terre » et « Les Anglais en Angleterre, voilà la paix ! ».

  1. Une laïque…

Jésus-Christ est le vrai roi de France. Charles n’est que le lieutenant (qui tient lieu, représentant) du roi des cieux. Entre le roi et Dieu, il n’y a pas d’autre médiation que Jeanne. Rendre ce roi indépendant du pouvoir spirituel, complètement laïc mais totalement chrétien, revient à construire une théorie de la légitimité du pouvoir politique. Elle figure ce que doit être le chef temporel, militaire ou politique. Mais elle trouve face à elle ceux qui vivent du pouvoir en rançonnant le peuple : les docteurs de l’Université de Paris, les mauvais clercs. Comme Jésus, Jeanne la libératrice est persécutée par les scribes, les pharisiens et les docteurs de la loi complices de l’usurpateur : Hérode, ou le roi de France et d’Angleterre. Jeanne guidée par Jésus, rencontre la persécution d’hommes d’Église détenteurs du pouvoir spirituel. Cette situation unique dans l’histoire et la spécificité de Jeanne.

Sa mission n’était pas le salut des âmes. S. Michel n’avait pas dit ‘Les âmes se perdent par milliers’, mais ‘il y a grande pitié au Royaume de France’. La royauté spirituelle de Jésus-Christ inclut donc une dimension temporelle, politique et militaire fondée sur le droit historique et naturel. La Providence la fit naître dans un village consacré au saint (Dom Rémy) qui avait baptisé le premier roi de France, instituant ainsi à Reims le modèle des sacres futurs car sa mission propre était de faire sacrer justement en cette ville le Dauphin comme Charles VII.

Jeanne rétablit en France l’État, le légitime pouvoir, par ordre divin. D’Orléans, Reims Rouen, c’est à Rouen qu’elle gagna sa plus belle victoire qui la fit passer d’héroïne à sainte, du temps à l’éternité. Or Jeanne, officiellement, n’eut aucun statut, sinon d’accusée, de condamnée. Mais par un procès ensuite annulé. Jeanne n’eut non plus de tombeau ni de reliques. Comme un reflet du ciel sur la terre, elle ne laissa sa trace que dans la mémoire des hommes. « Ils ont voulu qu’il n’y eût pas un coin de terre française où vos frères puissent venir s’agenouiller pour vous demander le courage. Sainte Jeanne, sœur tant aimée, cette poussière, c’est dans nos cœurs qu’elle est tombée et repose » (Paul Doncœur).

Cette jeune fille,  n’était rien, n’eut jamais de place officielle, était pourtant tout ? Nous croyons souvent que pour agir, il faille conquérir une place, obtenir un poste, être quelqu’un dans l’organigramme de la société. Jeanne, qui rétablit l’ordre dynastique, le droit et la légitimité a une allure d’anarchiste. Elle contesta tout ce qui était établi : le traité de Troyes (signé en 1420 par Charles VI le Fol et la félonne Isabeau de Bavière qui avait injustement déshérité Charles VII), le ‘Royaume de France et d’Angleterre’, l’université de Paris, l’évêque Cauchon, le tribunal de l’Inquisition. Vu du côté de l’ordre établi, Jeanne est l’insurrection inacceptable à réduire en cendres. Vu du côté de l’éternité, Jeanne refonda l’ordre. C’est une grâce insigne, pour Gustave Thibon, d’être ainsi une anarchiste au service de l’ordre.

  1. … fondant une théorie du pouvoir temporel

Le 21 juin, 1429, trois jours après la victoire de Patay, Jeanne dit à Charles : ‘Sire, me promettez- vous de me donner ce que je vous demanderai ?’ (on pense à l’imprudente promesse d’Hérode à Salomé qui conduisit à la décapitation de S. Jean-Baptiste). Dans l’euphorie d’une campagne éclair triomphante, le roi ne pouvait rien lui refuser. Il hésita puis consentit. ‘Sire, donnez-moi votre Royaume’. Le roi stupéfait, hésita de nouveau, mais tenu par sa promesse et subjugué par son ascendant : ‘Jeanne, je vous donne mon royaume’. Elle exigea un acte notarié signé par les quatre secrétaires du roi. Voyant celui-ci, embarrassé de ce qu’il venait de faire, elle éclata de rire : ‘Voici le plus pauvre chevalier de toute la chrétienté, il n’a plus rien’. Redevenant grave, elle ajouta au secrétaire : ‘Écrivez : Jeanne donne le royaume à Jésus-Christ’. Et ensuite : ‘Jésus Christ rend le royaume à Charles’. Pour Jeanne, le vrai roi de France, était Jésus-Christ comme sur son étendard, où il n’y avait aucune mention de Charles VII. La monarchie est le meilleur des systèmes puisque Charles VII n’était son roi que parce que Jésus l’avait désigné son vrai lieutenant. La justice objective, le droit, était que ‘le roi ait son royaume’. Dieu intervint surnaturellement pour rétablir ce droit. Par Jeanne, la grâce vint au secours de la nature. Clémenceau, après 1918, disait de la France : « Hier, soldat de Dieu, aujourd’hui soldat du droit » ne se doutant pas que c’était la même chose.

  1. Jeanne et l’Église

Jeanne ne fit pas de miracle. Le miracle, c’était elle. Lorsque l’ange et la couronne apparurent devant le roi, c’était à force de prière pour qu’on cesse de « l’arguer » (lui chercher querelle par des preuves ou arguments). Le miracle dont elle bénéficia réellement fut lorsqu’elle sauta de la tour de Beaurevoir pour s’échapper. Alors même qu’elle leur désobéissait et péchait, éperdue de confiance en sautant dans le vide, elle cria : « je me confie à vous ». Cette assistance ne la dispensait en rien de l’effort, des blessures, du calcul, de la peine, de l’échelle à placer sur le mur du rempart, de l’exemple à donner, du cri et des coups et aussi de la joie après la victoire. Car la victoire, précisément, avait été durement gagnée. Jeanne dans son triple combat politique, militaire et judiciaire ne bénéficia d’aucun passe-droit. Le vrai miracle, c’est qu’elle réussit.

Elle déjouait les pièges comme à la question si elle était en état de grâce : « Si j’y suis, Dieu m’y garde ; si je n’y suis, Dieu m’y mette. Je serais la plus dolente au monde, si je savais ne pas être en sa grâce ! ». « Il m’est avis que c’est tout un de notre Seigneur et de l’Église » ; « je m’en attends [remets] à ma mère l’Église ». Elle ne reçut aucune lumière particulière sur la grande question qui divisait la chrétienté de son temps, à savoir lequel des 3 papes étaient le vrai. Elle répondit simplement « Est-ce qu’il y en a deux ? », car le seul vrai pape était à Rome.

Jeanne fut une chrétienne ordinaire, ayant à cœur de recevoir souvent les sacrements. Laïque, étymologiquement, elle était du peuple. Elle n’était pas un clerc, celui qui sait, le lettré, l’homme de robe dispensé du service des armes alors qu’elle combattait en habit d’homme. Le Concile de Bâle auquel en appela Jeanne était défini par ses juges comme « une réunion de clercs en ce se connaissant » (versé dans les choses saintes, des experts). Au contraire, Jeanne « ne sait ni A ni B ». Aux hommes de Dieu qui détournaient Dieu à leur profit, elle opposa Dieu. Non pas l’anticléricalisme ni l’athéisme mais un « messire Dieu premier servi », rétablissant l’ordre. Jeanne fut martyre d’une persécution unique dans l’histoire de l’Église : une laïque fidèle à Dieu et au roi, brûlée par des hommes d’Église comme hérétique, schismatique, idolâtre, etc…. Elle manifestait en acte la liberté du choix de Dieu de faire de grandes choses « par humble pucelle », et de privilégier de façon plus que surprenante le sort d’un Royaume de la terre, la France, y compris

Dans la nouvelle guerre idéologique qui fait rage, soyons de ces soldats droits dans leurs bottes, malgré leurs péchés : « En nom Dieu, les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire ! ». « Fille de Dieu, va » disaient ses voix à Jeanne. Fille aînée de l’Église, combats !

Date de dernière mise à jour : 14/05/2023