2e Carême (05/03 - 10e command.)

Homélie du 5 mars 2023 (2e dimanche de Carême)

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Le 10e commandement

« Tu ne convoiteras ... rien de ce qui est à ton prochain » (Ex 20, 17). « Tu ne désireras ni sa maison, ni son champ, ni son serviteur ou sa servante, ni son bœuf ou son âne : rien de ce qui est à lui » (Dt 5, 21). Et Jésus précisa : « Là où est ton trésor, là sera ton cœur » (Mt 6, 21).

Le dixième commandement dédouble et complète le neuvième contre la concupiscence de la chair en portant sur l’intention du cœur. Les deux résument tous les préceptes de la Loi. Il interdit la convoitise du bien d’autrui, racine du vol, de la rapine et de la fraude, que proscrit le septième commandement. La ‘convoitise des yeux’ (1 Jn 2, 16) conduit à la violence et à l’injustice défendues par le cinquième (Mi 2, 2). La cupidité trouve son origine, comme la fornication, dans l’idolâtrie prohibée par les trois premiers (Sg 14, 12).

  1. Le désordre des convoitises
    1. Le risque de la cupidité/avidité

Notre appétit sensible désire des choses agréables dont nous manquons : manger quand on a faim, se chauffer quand on a froid. Ces désirs sont bons mais souvent pas suffisamment réglés par la raison. Ils nous poussent à convoiter injustement ce qui ne nous revient pas et appartient, ou est dû, à autrui. Le dixième commandement proscrit l’avidité et le désir d’une appropriation sans mesure des biens terrestres. La cupidité naît de la passion immodérée des richesses et de leur puissance. On ne peut commettre une injustice par laquelle on nuirait au prochain dans ses biens temporels, surtout que cette soif est inextinguible : « L’avare ne sera jamais rassasié d’argent » (Si 5, 9) même si on peut désirer un autre bien que l’argent !

Désirer obtenir des choses appartenant au prochain par de justes moyens ne viole pas ce commandement. Seulement les convoitises criminelles sont condamnées comme « des marchands qui désireraient la disette ou la cherté des marchandises » ou voudraient un monopole, « les médecins qui désirent des malades (cf. Knock) ; les hommes de loi qui réclament des causes et des procès » (Catéchisme romain 3, 37).

    1. Lutter contre l’envie

Ce commandement exige de bannir l’envie du cœur humain. Nathan stimula le repentir de David par l’histoire du pauvre qui ne possédait qu’une brebis, traitée comme sa propre fille, et du riche qui, malgré la multitude de ses troupeaux, enviait le premier et finit par lui voler sa brebis (2 S 12, 1.4). L’envie peut conduire au meurtre comme Caïn avec Abel pour son offrande mieux agréée de Dieu, le roi Acab et Jézabel avec Naboth pour sa vigne, le roi David avec son voisin Uri le Hittite pour sa femme Bethsabée (Gn 4, 3-7 ; 1 R 21, 1-29). Les Chrétiens qui devraient se montrer exemplaires, sont aussi mauvais car la jalousie est un défaut très ecclésiastique : « Nous nous combattons mutuellement, et c’est l’envie qui nous arme les uns contre les autres (…). Nous nous déclarons les membres d’un même organisme et nous nous dévorons comme le feraient des fauves » (S. Jean Chrysostome sur 2 Cor 28, 3-4).

L’envie, tristesse éprouvée devant le bien d’autrui et le désir immodéré de se l’approprier, fût-ce indûment, est un vice capital. Quand elle souhaite un mal grave au prochain, elle est un péché mortel. C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde (Sg 2, 24-25), si bien que pour S. Augustin, c’est « le péché diabolique par excellence ». « De l’envie naissent la haine, la médisance, la calomnie, la joie causée par le malheur du prochain et le déplaisir causé par sa prospérité » (S. Grégoire, Moralia 31, 45).

  1. Les vertus chrétiennes contre la convoitise

L’envie est un refus de la charité (je ne me réjouis pas du bien d’autrui) et provient de l’orgueil (je mérite autant que lui). On lutte contre elle par la bienveillance et l’humilité : « C’est par vous que vous voudriez voir Dieu glorifié ? Eh bien, réjouissez-vous des progrès de votre frère, et, du coup, c’est par vous que Dieu sera glorifié. Dieu sera loué, dira-t-on, de ce que son serviteur a su vaincre l’envie en mettant sa joie dans les mérites des autres » (S. Jean Chrysostome sur Rm 7, 3).

    1. Les désirs de l’Esprit

L’économie de la loi et de la grâce détourne le cœur des hommes de la cupidité et de l’envie. Elle l’initie au désir du souverain bien, l’instruit des désirs de l’Esprit Saint qui seul rassasie le cœur de l’homme. Dieu a depuis le début mis l’homme en garde contre la séduction de ce qui apparaît « bon à manger, agréable aux yeux, plaisant à contempler » comme le fruit défendu du jardin d’Éden (Gn 3, 6). La Loi confiée à Israël n’a jamais suffi à justifier ceux qui lui étaient soumis (Rm 7, 7). L’inadéquation entre le vouloir et le faire (Rm 7, 10) indique le conflit entre la loi de Dieu ou ‘loi de raison’ et l’autre loi de convoitise « qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres » (Rm 7, 23). Les fidèles du Christ conduits par l’Esprit dont ils suivent les désirs (Rm 8, 14.27) « ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Ga 5, 24).

    1. La pauvreté de cœur

Jésus nous demande de le préférer à tout et à tous : renonçant à tout à cause de Lui et de l’Évangile (Mc 8, 35) « celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 33). La pauvre veuve de Jérusalem donna tout ce qu’elle avait pour vivre (Lc 21, 4). Le détachement des richesses est obligatoire pour entrer dans le Royaume des cieux. Tous les fidèles ont « à régler comme il faut leurs affections pour que l’usage des choses du monde et un attachement aux richesses contraire à l’esprit de pauvreté évangélique ne les détourne pas de poursuivre la perfection de la charité » (LG 42).

Les béatitudes révèlent un ordre de félicité et de grâce, de beauté et de paix. « Bienheureux les pauvres en esprit » (Mt 5, 3). « Le Verbe appelle ‘pauvreté dans l’esprit’ l’humilité volontaire d’un esprit humain et son renoncement ; et l’Apôtre nous donne en exemple la pauvreté de Dieu quand il dit : ‘Il s’est fait pauvre pour nous’ » (2 Co 8, 9) (S. Grégoire de Nysse, Béat. 1). Le Seigneur se lamente sur les riches qui trouvent leur consolation dans la profusion des biens ou la puissance terrestre (Lc 6, 24). L’abandon à la Providence du Père du Ciel libère de l’inquiétude du lendemain (Mt 6, 25-34). La confiance en Dieu dispose à la béatitude des pauvres qui verront Dieu.

    1. « Je veux voir Dieu »

Le désir du bonheur véritable dégage l’homme de l’attachement immodéré aux biens de ce monde, pour s’accomplir dans la vision et la béatitude de Dieu. « Dans l’Écriture, voir c’est posséder. Celui qui voit Dieu a obtenu tous les biens que l’on peut concevoir » (S. Grégoire de Nysse, Béat. 6). Il reste au peuple saint à lutter, avec la grâce d’en haut, pour obtenir les biens que Dieu promet en mortifiant leur convoitises. Sur ce chemin de la perfection, l’Esprit et l’Épouse appellent qui les entend (cf. Ap 22, 17) à la communion parfaite avec Dieu : « Là sera la véritable gloire ; personne n’y sera loué par erreur ou par flatterie ; les vrais honneurs ne seront ni refusés à ceux qui les méritent, ni accordés aux indignes ; d’ailleurs nul indigne n’y prétendra, là où ne seront admis que ceux qui sont dignes. Là régnera la véritable paix où nul n’éprouvera d’opposition ni de soi-même ni des autres. De la vertu, Dieu lui-même sera la récompense, lui qui a donné la vertu et s’est promis lui-même à elle comme la récompense la meilleure et la plus grande qui puisse exister : ‘Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple’ (Lv 26, 12) ... C’est aussi le sens des mots de l’apôtre : ‘Pour que Dieu soit tout en tous’(1 Co15, 12). Il sera lui-même la fin de nos désirs, lui que nous contemplerons sans fin, aimerons sans satiété, louerons sans lassitude. Et ce don, cette affection, cette occupation seront assurément, comme la vie éternelle, communs à tous ». (S. Augustin, Civitate Dei 22, 30).