4e Carême (19/03 - ép. 2 fils/alliances)

Homélie du 4e dimanche de Carême (19 mars 2023)

Pour écouter l'homélie, cliquez ici

 

Commentaire de Ga 4, 22-31 : deux fils d’Abraham – deux alliances

 

  1. La loi de Moïse n’était que pour un certain temps seulement
    1. Les deux fils d’Abraham

Saint Paul, pharisien avant sa conversion, donc très versé dans les Saintes Écritures interroge ses détracteurs s’ils ont bien lu la Loi, parce que certains passages montrent manifestement que la Loi ne doit pas durer. Paul s’accorde avec ses détracteurs, que les deux fils eurent un même père : Abraham. Celui de la servante (Ismaël) et celui de la femme libre (Isaac) désignent les deux peuples, Juifs et Gentils mais inversés. Les Juifs sont fils d’Abraham selon la chair et les Gentils par l’imitation de la foi. Mais au-delà d’Abraham, ils sont fils de Dieu qui est le Père de tous : « Et nous, n’avons-nous pas tous un seul Père ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créé ? » (Ml 2, 10) ; « Dieu serait-il seulement le Dieu des Juifs ? N’est-il pas aussi le Dieu des nations ? » (Rm 3, 29).

Les deux fils différent en deux points et d’abord, suivant la condition de leur mère. Agar, mère d’Ismaël, était la servante (Gn 21, 10) que sa femme Sarah lui avait donnée pour qu’il pût lui susciter une descendance par son intermédiaire. Moins qu’une mère porteuse qu’envisagerait anachroniquement notre conception moderne, il s’agissait presque d’adapter le lévirat en version féminine : donner par l’intermédiaire d’un tiers un fils qui devait être adopté non à un mort mais à une stérile. Ensuite, le mode de leur naissance diffère (v. 25) : naître ‘selon la chair’ ou ‘en raison d’une promesse de Dieu’. Abraham n’avait pas péché en concevant Ismaël (il pensait obéir à une disposition divine (Gn 18, 10)) car la ‘chair’ n’est pas ici prise pour l’acte du péché, comme ailleurs (Rm 8, 13 et 2 Co 10, 3). D’ailleurs Isaac naquit aussi naturellement, par l’acte charnel. Ce qui était miraculeux, œuvre de l’Esprit-Saint, était que Sarah, en plus d’être stérile, était ménopausée puisqu’elle avait 90 ans (Gn 17, 17). S. Paul renverse l’attribution habituelle car il associe les Juifs non plus à Isaac mais à Ismaël et les Gentils inversement. La bénédiction arrive sur les peuples par ce père des nations (Gn 22, 18).

    1. L’allégorie

S. Paul développe sur ces deux fils une allégorie, manière de parler, selon laquelle on dit une chose pour en donner une autre à entendre. Classiquement, les exégètes médiévaux attribuaient quatre sens aux saintes Écritures : l’historique, l’allégorique, le mystique et l’anagogique qui pourraient se résumer entre sens littéral ‘Jésus est monté’ et métaphorique : ‘Jésus est assis à la droite de Dieu’. Quand l’Apôtre dit : « La Loi ancienne est la figure de la Loi nouvelle » ; tout ce qui appartient à la Loi ancienne marque ce qui est de la Loi nouvelle : c’est le sens allégorique. En second lieu, suivant saint Denys, la Loi nouvelle est la figure de la gloire à venir, ce qui est dans la patrie céleste : c’est le sens anagogique. Enfin, dans la Loi nouvelle, ce que nous remarquons dans le chef est le modèle de ce que nous devons faire nous-mêmes, parce que « tout ce qui a été écrit, l’a été pour notre instruction : c’est le sens moral.

Les deux épouses, esclave et la libre, sont les deux alliances, l’ancien testament (l’esclave qui donne le premier fils) et le nouveau Testament (la libre qui donne le second fils, seul héritier légitime, comme le second jumeau est l’aîné) : « Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle » (Jr 31, 31). Un testament est un traité portant sur des choses confirmées par des témoins. Partout où il y a pacte, alliance, intervient une promesse qui varie : les biens du temps dans la Loi ancienne, et les biens de l’éternité dans la Loi nouvelle (Mt 5, 12). Tout citoyen d’une cité s’appelle son enfant car elle est regardée comme sa mère : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi.. » (Lc 23, 28). Or il y a une double cité de Dieu suivant S. Augustin : la Jérusalem de la terre et la Jérusalem céleste. Par l’ancien Testament, on devenait citoyen de la cité de la terre ; par le nouveau, on le devient de la cité céleste.

  1. Le joug de l’ancienne loi versus la liberté des enfants de Dieu
    1. Le Sinaï

La glose interprète le Sinaï (Ex 20, 1) comme ‘précepte’, or S. Paul appelle l’ancien Testament ‘loi des préceptes’ ou prescriptions (Ep 2, 15) et le ‘mont’ évoque l’orgueil des Juifs. Lequel est double lorsqu’ils s’élevèrent contre Dieu : « moi je connais ton esprit rebelle et ta nuque raide. Si, aujourd’hui, alors que je suis encore vivant parmi vous, vous vous êtes révoltés contre le Seigneur, qu’en sera-t-il après ma mort ? » demandait Moïse (Dt 31, 27) et contre les nations étrangères, abusant de leur privilège d’élection sans le partager : « Pas un peuple qu'il ait ainsi traité ; nul autre n'a connu ses volontés » (Ps 147, 20).

La raison d’être avec Agar est de donner non des fils libres, mais des enfants d’une esclave. Cela s’entend de l’intelligence, qui peut être dite esclave lorsqu’elle ne connaît pas la vérité des choses dans leur essence (librement) mais comme sous le voile des figures. De même, quant à l’affection, parce que la Loi nouvelle produit l’amour dans la liberté, car celui qui aime se détermine de lui-même (« aime et fais ce que tu veux » disait S. Augustin). La Loi ancienne, n’engendrait que la crainte servile où l’on est déterminé par autrui (Rm 8, 15). Enfin parce que la Loi nouvelle engendre des fils, auxquels est dû l’héritage (la divinisation de l’homme), tandis qu’avant, seules quelques gratifications revenaient aux serviteurs : « L’esclave ne demeure pas pour toujours dans la maison ; le fils, lui, y demeure pour toujours » (Jn 8, 35).

Le Sinaï est une montagne d’Arabie, qui se traduit par ‘humilité’, voire ‘affliction’. L’ancien Testament assujettissait aux observances charnelles comme des esclaves sous « un joug que nos pères et nous-mêmes n’avons pas eu la force de porter ? » (Ac 15, 10). Mais la Jérusalem terrestre des juifs ne vaut pas mieux, contrairement à la Jérusalem céleste.

    1. Une figure de l’Église

Quatre caractères conviennent à notre mère. 1) L’Église triomphante est élevée, grande par la vision complète et parfaite jouissance de Dieu : « Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera » (Is 60, 5). Elle doit nous attirer : « Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre » (Col 3, 2). La militante est grande par la foi et l’espérance : « Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux » (Ph 3, 20). 2). L’Église triomphante est aussi pacifique parce que Jérusalem signifie ‘vision de paix’ : « Mon peuple habitera un séjour de paix, des demeures protégées, des lieux sûrs de repos » (Is 32, 18). La militante se repose en Jésus par qui elle a la paix : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix » (Jn 16, 33). 3). Elle est de plus libre : « libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8, 21). 4) Enfin elle est féconde car notre mère, ce qui s’entend soit comme celle qui nous engendre (l’Église militante), soit comme celle pour laquelle nous sommes engendrés comme ses enfants (l’Église triomphante, cf. 1 P 1, 3).

S. Paul cite ensuite « Réjouis-toi, femme stérile, toi qui n’enfantes pas ; éclate en cris de joie, toi qui ne connais pas les douleurs de l’enfantement, car les enfants de la femme délaissée sont plus nombreux que ceux de la femme qui a son mari » renvoie à Is 54, 1 (LXX).

Chez la femme qui engendre, survient d’abord la tristesse de l’accouchement avant la joie quand elle prend l’enfant dans ses bras (Jn 16, 21) alors que la femme stérile ne souffre ni ne se réjouit. Or c’est à la stérile que le prophète annonce ces deux sentiments en désignant Jérusalem, la cité libre, figurée par Sara la stérile. L’Église militante était stérile avant la conversion des Gentils tout comme l’Église triomphante avant la mort de Jésus-Christ car l’épée barrait encore la porte du Paradis. Mais les femmes stériles souffrent de leur sein fermé comme Anne avant la naissance de Samuel (1 S 1, 10). Pourtant, elles se réjouiront dans la multitude de leurs fils (Is 60, 5). Aux douleurs de l’enfantement et au cri qu’elles font pousser par la mère, succèdent les cris de joie manifestant en louange ce qu’elle éprouvent dans leur cœur (Is 58, 1). Quant à la fécondité, Sara fut délaissée par Abraham non comme une divorcée mais dans le commerce charnel puisqu’Abraham cherchait non pas à satisfaire la concupiscence mais à avoir des enfants. Cette délaissée est l’Église de la Gentilité qui attendait la venue du Christ qui allait la féconder et qui a maintenant bien plus d’enfants que la synagogue qui avait Moïse comme mari : « Quand la stérile enfante sept fois, la femme aux fils nombreux dépérit » (1 S 2, 5).

    1. Devenir fils d’Abraham

On devient enfant d’Abraham soit charnellement comme Ismaël (le peuple juif) soit spirituellement par le miracle divin accomplissant la promesse (Gn 12, 3) comme Isaac, ou le peuple de la Gentilité, qui descend d’Abraham par l’imitation de sa foi : « ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés comme descendance » (Rm 9, 8). S. Paul renverse puisque bien sûr un Juif se dira descendant d’Isaac. Et mystiquement parlant, il entend ceux qui viennent à la foi pour les biens charnels de la vie présente.

La Sainte Écriture n’évoque aucune persécution d’Ismaël contre Isaac mais au contraire qu’il jouait avec le petit (Gn 21, 9). S. Paul interprète ‘se jouer du plus petit, l’abuser’, en cherchant par ex. à l’obliger à adorer les simulacres d’argile qu’il faisait, pour l’écarter du culte du vrai Dieu. Les Juifs persécutèrent les chrétiens dès le début comme amplement démontré dans les Actes des apôtres. Maintenant, même dans la seule véritable Église de Dieu, les hommes charnels, ne recherchant que gloire et intérêts temporels, persécutent ceux qui vivent selon l’Esprit. La persécution spirituelle provient des superbes et hypocrites qui manquant de sens, poursuivent dans les autres la bonté qui n’est pas en eux.

Quant au droit à l’héritage, Sarah dit à Abraham : « Chasse cette servante et son fils ; car le fils de cette servante ne doit pas partager l’héritage de mon fils Isaac » (Gn 21, 10). Les Juifs récalcitrants, les persécuteurs et les chrétiens charnels et mauvais, seront chassés du royaume des cieux (Mt 8, 11 ; Ap 22, 15). La malice et le péché seront aussi chassés : « Toute œuvre corruptible disparaît, et son auteur s’en va avec elle » (Sir 14, 20). Dans ce monde les bons sont confondus avec les méchants, les méchants avec les bons « comme le lis entre les ronces » (Ct 2, 2). Mais dans l’éternelle patrie, il n’y aura plus que les bons : « Tu n’auras pas de part d’héritage dans la maison de notre père, car tu es le fils d’une autre femme, toi ! » (Jg 11, 2). Et cette véritable liberté des enfants de Dieu provient du Christ : « Si donc le Fils vous rend libres, réellement vous serez libres » (Jn 8, 36).

Date de dernière mise à jour : 19/03/2023