Homélie du Dimanche de la Passion (26 mars 2023)
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Lecture thomiste de l’épître (He 9, 11-15) : le grand-prêtre dans le Saint des Saints
S. Paul, après avoir expliqué le sens mystique de l’Ancien Testament et du premier tabernacle, établit ici les conditions convenant au second, le Nouveau Testament en cinq points.
- Entrer dans le saint des saints
- Qui était habilité à entrer ? Seul le grand-prêtre
Le pontife (pontifex) établit des ponts, un lien entre Dieu et les hommes, ce qui est bien le rôle du prêtre dans toute religion (‘relier’ étymologiquement). Or « en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux » (He 4, 14) car le Christ est « le Chef des pasteurs » (1 P 5, 4). Tout pontife est le médiateur d’un Testament ou Alliance. Les biens promis dans l’Ancien Testament étaient des biens temporels : « Si vous consentez à m’obéir, les bonnes choses du pays, vous les mangerez » (Is 1, 19). Le Grand Prêtre de la loi ancienne était donc le pontife des biens de ce monde, du temps.
Mais le Christ est le pontife des biens du ciel : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 12) d’où « le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir ». Par le bienfait de son sacerdoce nous serons introduits dans les biens futurs. L’Ancien Testament ne dispensait que des biens figuratifs alors que le Christ dispense les biens spirituels qu’ils annonçaient. Les biens futurs s’entendent soit des spirituels par rapport à l’ancienne alliance, soit les célestes par rapport à notre vie présente.
Notre pontife n’est pas négligent, il est occupé de son ministère. Le Christ est médiateur entre Dieu et le peuple : « Il n’y a qu’un seul Dieu ; il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus » (1 Tm 2, 5) annoncé sous Moïse (Dt 5, 5). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il est près de son Père, afin de se faire notre médiateur et avocat (He 7, 25) : « Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous » (Rm 8, 34). Il se tient tout prêt à nous secourir : « il est à ma droite : je suis inébranlable » (Ps 15, 8). Lui seul put pénétrer dans le vrai tabernacle.
- Condition et dignité du lieu : le Saint des Saints
« Par la tente plus grande et plus parfaite, celle qui n’est pas œuvre de mains humaines et n’appartient pas à cette création ». Cela désigne le Ciel, la Jérusalem céleste qui est immuable : « tes yeux verront Jérusalem : c’est une résidence sûre, la tente qu’on ne déplacera plus » (Is 33, 20). C’est le tabernacle ou tente de la gloire céleste : « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? » (Ps 14, 1). Cette gloire céleste est appelée tabernacle ou tente parce qu’elle donne asile à des étrangers qui ne peuvent en rien se prévaloir de leur condition de nature mais seulement d’un don de la grâce (cf. Is 32, 18).
Il est beaucoup plus grand, à cause de l’immense abondance des biens : « Ô Israël, comme elle est grande, la maison de Dieu, comme il est vaste, le domaine qui lui appartient ! » (Ba 3, 24). On pourrait aussi comprendre que le Christ est entré dans le sanctuaire à travers un tabernacle plus vaste, c’est-à-dire plus grand et plus parfait. Plus parfait, d’abord parce que là cessera toute imperfection : « Lorsque nous serons dans l’état parfait, ce qui est imparfait sera aboli » (1 Co 13, 10). En effet, ce ne sera pas une œuvre de main d’homme, mais œuvre de la main de Dieu : « le sanctuaire, Seigneur, fondé par tes mains » (Ex 15, 17), « la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte » (He 11, 10).
« Si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes » (2 Co 5, 1). Ce tabernacle peut aussi désigner le corps du Christ, par lequel il a combattu contre le démon. Il est beaucoup plus grand car « dans son propre corps, habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9). Il est aussi plus parfait car « Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14), il ne fut pas conçu de la semence de l’homme (cf. Dn 2, 45).
- Trois circonstances
Le pontife n’entrait pas les mains vides mais avec le sang d’un taurillon et d’un bouc (Lv 16, 15). S. Paul emploie le pluriel car le grand-prêtre répétait chaque année ce geste et donc plusieurs fois dans sa vie sacerdotale. Le Christ, au contraire, n’est pas entré avec le sang étranger mais le sien propre car la nouvelle alliance ne sous-traite plus envers les animaux ni n’importe quel homme le sacrifice mais il est assumé dans sa nature humaine par le Fils de Dieu qui seul est parfait ! Il le versa sur la croix pour notre salut : « car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés » (Mt 26, 28).
Le pontife n’entrait dans le tabernacle qu’une fois seulement dans l’année. Le Christ n’offrit qu’une seule fois un sacrifice sanglant si parfait qu’il vaut pour tous les temps : « car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois » (1 P 3, 18, cf. Rm 6, 10). Mais il entra dans son tabernacle sans distinction de temps. Il est toujours auprès du Père à la droite duquel il siège désormais aussi dans son humanité.
Le pontife entrait pour offrir des expiations pour les ignorances du peuple, et non pour les siennes propres car il n’en avait pas. Or le sang du Christ est autrement excellent que celui des premières victimes pour obtenir cet effet. C’est par ce sang que nous avons été rachetés, et pour toujours, parce que la vertu de ce sang est infinie : « par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 14). Le désir de Dieu de nous sauver : « Je ne prends plaisir à la mort de personne, – oracle du Seigneur Dieu – convertissez-vous, et vous vivrez » (Ez 18, 32) rencontre celui des pères d’être sauvés. Mais c’est la croix qui est le moyen le plus efficace.
- Une rédemption universelle
« Il a obtenu une libération définitive » (v. 12). Par cet effet nous reconnaissons sa très grande efficacité. Il le prouve par un argument a minori. Si le sang des animaux sans raison pouvait produire ce qui est moindre, le sang du Christ pourra produire ce qui est plus grand.
La loi ancienne connaissait deux sortes de purification. La première intervenait le jour des expiations (Lv 16, 29) et devait purifier du péché. La seconde effaçait l’irrégularité légale (Nb 19, 2) quand le Seigneur ordonna à Moïse d’amener à Eléazar une génisse rousse sans tache, qui jamais ne porta le joug. L’ayant menée hors du camp, il l’immola devant le peuple. Et trempant son doigt dans son sang, il en fit sept fois l’aspersion vers la porte du tabernacle, puis la brûla tout entière (peau, chair, excréments mêmes) d’un feu mêlé d’hysope, de cèdre et d’écarlate teinte deux fois. Un homme pur recueillait ensuite les cendres et les jetait hors du camp dans un lieu très pur où elles étaient mélangées à de l’eau. Celui qui était impur, par exemple pour avoir touché le corps d’un homme mort, ne se purifiait qu’en recevant l’aspersion de cette eau lustrale le troisième et le septième jour, avec l’hysope.
La seconde purification avec la génisse ne donnait pas la grâce mais une pureté toute charnelle, levant l’irrégularité légale qui éloignait les impurs du culte de Dieu. Mais cela n’enlevait pas le péché. Au contraire, grande et triple est l’efficacité du sang du Christ. Jésus porte ce nom qui signifie « Le-Seigneur-sauve, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21). Il versa son sang par une inspiration du Saint Esprit qui purifie, c’est-à-dire par l’amour de Dieu et du prochain : « le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur » (Ép 5, 2). Le Christ seul est vraiment l’agneau immaculé : « ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année » (Ex 12, 5) car autrement, « de l’impur, que peut-il sortir de pur ? » (Sir 34, 4).
Le prêtre qui, lui-même n’est pas pur, peut-il donc purifier ? Non s’il agissait par sa propre vertu mais oui parce qu’il agit par la vertu du sang de Jésus-Christ qui est ici cause première (ex opere operato) puisqu’il agit in persona Christi. La purification intérieure de l’âme se fait par la foi (Ac 15, 9) qui nous fait adhérer à l’Agneau immolé. Au lieu de purifier du contact d’un mort, le sang du Christ purifie des œuvres mortes que sont les péchés mortels qui chassent Dieu de l’âme dont la vie se maintient par l’union que produit la charité. Ce sang plus précieux permet de rendre à Dieu un culte spirituel : « Je n’avais pour ministre que celui qui marchait dans ma voie innocente » (Ps 100, 6, Vulg.). Comme Dieu est la vie (Jean 14, 6, cf. Dt 32, 40), il convient que celui qui le sert soit aussi vivant car « tel le gouvernant, tels ses ministres » (Sir 10, 2).
- L’unique médiateur peut plus que dans l’Ancien Testament
Le Nouveau Testament l’emporte sur l’Ancien, puisqu’il peut ce que celui-ci ne pouvait pas. Le Christ est entré dans le Saint des Saints, après avoir acquis pour nous une rédemption non humaine comme le jubilé rachetant de l’esclavage pour dette mais conduisant aux biens éternels. Ce que l’Ancien Testament ne pouvait faire. Il faut donc que ce second Testament soit différent du premier : « Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle » (Jr 31, 31 ; cf. Ap 21, 5).
Dans tout Testament il y a quelque chose de promis et quelque chose qui confirme l’alliance. Dans le Nouveau Testament, ce sont les biens du ciel, spirituels, confirmés par la mort de Jésus-Christ. Le Christ est l’unique médiateur. « Ceux qui sont appelés » (v. 15) montre que ce ne sont pas les œuvres mais l’appel de Dieu auquel on répond dans la foi qui fait mériter de partager cet héritage : « ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire » (Rm 8, 30 ; cf. 1 Th 2, 12). En effet, cet héritage est la gloire éternelle : « il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux » (1 P 1, 3-4). En effet, l’héritage n’est autre que Dieu lui-même : « Le Seigneur est la part qui m’est échue en héritage » (Ps 15, 5, Vulg.).