Homélie du 24e dimanche après la Pentecôte (20 novembre 2022)
Le quatrième commandement (2 : la famille dans la société)
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- Famille et société
- Piété filiale étendue de la famille à la Nation
Si le quatrième commandement s’adresse expressément aux enfants dans leurs relations avec leurs père et mère, relation la plus universelle qui soit, il s’élargit aussi aux autres membres du groupe familial et éclaire les autres relations dans la société. Dans nos frères et sœurs, nous voyons les enfants de nos parents ; dans nos cousins, les descendants de nos aïeux ; dans nos concitoyens, les fils de notre patrie ; dans les baptisés, les enfants de notre mère, l’Église ; dans toute personne humaine, le fils ou la fille de ‘notre Père’ céleste. Par-là, nos relations avec notre prochain sont reconnues d’ordre personnel. Le prochain n’est pas un ‘individu’ de la collectivité humaine mais ‘quelqu’un’, un prochain méritant une attention et un respect singuliers.
Il s’étend enfin aux devoirs des élèves à l’égard du maître, des employés à l’égard des employeurs, des subordonnés à l’égard de leurs chefs, des citoyens à l’égard de leur patrie, de ceux qui l’administrent ou la gouvernent. Ce commandement implique les devoirs des parents, tuteurs, maîtres, chefs, magistrats, gouvernants, de tous ceux qui exercent une autorité sur autrui. Respecter ce commandement procure avec les fruits spirituels, des fruits temporels de paix et de prospérité. Au contraire, son inobservance entraîne de grands dommages pour les communautés et pour les personnes humaines.
- Rapports entre familles et société
La famille est la cellule originelle de la vie sociale. Elle est la société naturelle où l’homme et la femme sont appelés au don de soi dans l’amour et dans le don de la vie. L’autorité, la stabilité et la vie de relations au sein de la famille constituent les fondements de la liberté, de la sécurité, de la fraternité au sein de la société. La famille est la communauté où, dès l’enfance, on apprend les valeurs morales, à honorer Dieu et bien user de la liberté. La vie de famille initie à la vie en société. D’où le drame de l’avortement, du divorce qui blessent ce qui devrait être sanctuaire de la vie, de l’amour et qui engendrent la violence sociale.
La famille doit se soucier des jeunes, anciens, malades, handicapés et pauvres. Comme de nombreuses familles, à certains moments, ne peuvent fournir cette aide, d’autres et, subsidiairement, la société, doivent pourvoir à leurs besoins : « La dévotion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter orphelins et veuves dans leurs épreuves et se garder de toute souillure du monde » (Jc 1, 27). Toutefois, le principe de subsidiarité impose de ne pas usurper les pouvoirs familiaux ni s’immiscer dans sa vie. L’art prudentiel de la politique sera justement de ne pas tomber dans l’assistanat puisqu’on ne saurait vivre aux crochets des autres : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains d’entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné » (2 Th 3, 10-12).
En France, on attend tout et trop de l’État, qui ponctionne une part énorme de richesse créée. Au Royaume-Uni et aux États-Unis où il ponctionne moins, Kennedy disait : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays » (discours inaugural du 20 janvier 1961). On y croit plus aux œuvres de charité honnies pour paternalisme par la gauche qui a le culte de l’État ou statolâtrie, dénoncée par Pie XI. L’État doit aider et défendre la vraie famille par les mesures sociales appropriées sans mettre tout au même niveau par relativisme : « reconnaître et de protéger la vraie nature du mariage et de la famille, de défendre la moralité publique et de favoriser la prospérité des foyers » (GS 52, § 2). Or, en France toute une série de mesures antifamiliales sont prises comme les allocations familiales liées au revenu au lieu d’être universelles.
Parmi les devoirs des hommes politiques figurent notamment :
– la liberté de fonder un foyer, avoir des enfants élevés suivant ses convictions ;
– la protection de la stabilité du lien conjugal et de la famille ;
– la liberté de professer sa foi, la transmettre à ses enfants avec les moyens et institutions nécessaires (la vraie liberté scolaire serait le chèque-éducation pratiqué avec succès en Suède où les parents choisissent eux-mêmes leur école qui reçoivent sans discrimination public-privé ou confessionnel/aconfessionnel la part allouée par l’État à chaque élève) ;
– le droit à la propriété privée, la liberté d’entreprendre, obtenir un travail, un logement ;
– le droit aux soins médicaux, à l’assistance des personnes âgées, aux allocations familiales ;
– la protection de la sécurité notamment contre la drogue, pornographie, l’alcoolisme...
– la liberté d’associations familiales représentées auprès des autorités civiles (cf. FC 46).
Comme les communautés humaines sont composées de personnes, au-delà de la garantie des droits, de l’accomplissement des devoirs et fidélité aux contrats, leur bon gouvernement suppose la bienveillance naturelle conforme à la dignité des personnes humaines, soucieuses de justice et de fraternité.
- Le rapport à l’autorité politique
Le quatrième commandement de Dieu implique aussi d’honorer tous ceux qui, pour notre bien, ont reçu de Dieu une autorité dans la société. Il convient de rappeler que l’autorité ne saurait être du caporalisme mais implique de faire grandir l’autre (du latin augere).
- Droits et devoirs réciproques dans la société civile
Ceux qui exercent une autorité doivent y voir un service. « Celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur » (Mt 20, 26). L’exercice d’une autorité est moralement mesuré par son origine divine, sa nature raisonnable et son objet spécifique. Nul ne peut commander ou instituer ce qui est contraire à la dignité des personnes – qui a des droits fondamentaux – et à la loi naturelle, comme le meurtre de l’avortement qu’on prétend constitutionnaliser ou celui à venir des vieux et malades par l’euthanasie, ni les unions homosexuelles. Cela n’est pas rendre justice dans le respect du droit de chacun, notamment des familles et des pauvres et sans-voix.
L’autorité doit manifester une juste hiérarchie des valeurs afin de faciliter l’exercice de la liberté et de la responsabilité de tous. Les supérieurs exercent la justice distributive avec sagesse, tenant compte des besoins et de la contribution de chacun et en vue de la concorde et de la paix. Ils veillent à ce que les règles et dispositions qu’ils prennent n’induisent pas en tentation en opposant l’intérêt personnel à celui de la communauté (cf. CA 25).
Les droits politiques attachés à la citoyenneté peuvent et doivent être accordés selon les exigences du bien commun de la nation et de la communauté humaine. Ils ne peuvent être suspendus par les pouvoirs publics sans motif légitime et proportionné, ce qui devient de plus en plus problématique depuis quelques années où la mainmise de l’État s’immisce partout avec la prostitution de l’épiscopat envers l’État, allant au-devant même comme pour le covid où l’on prétendait supprimer la messe et les sacrements.
Ceux soumis à l’autorité regarderont leurs supérieurs comme représentants de Dieu qui les a institués ministres de ses dons (cf. Rm 13, 1-2) : « Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine... Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu » (1 P 2, 13. 16). Leur collaboration loyale comporte le devoir d’exercer une juste remontrance sur ce qui leur paraîtrait nuisible à la dignité des personnes et au bien de la communauté. Il faut en effet contribuer avec les pouvoirs civils au bien de la société dans un esprit de vérité, de justice, de solidarité et de liberté. L’amour et le service de la patrie relèvent du devoir de reconnaissance et de l’ordre de la charité. Les citoyens doivent jouer leur rôle dans la vie de la communauté politique, ce qui implique le paiement des impôts (Rm 13, 7), l’exercice du droit de vote, la défense du pays : « Les chrétiens résident dans leur propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes leurs charges comme des étrangers ... Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre l’emporte sur les lois ... Si noble est le poste que Dieu leur a assigné qu’il ne leur est pas permis de déserter » (Epître à Diognète 5, 5. 10 ; 6, 10). Mais cela pose question lorsque l’impôt rend complice matériellement d’un mal ou que la guerre est injuste ou menée sans compétence. Prions et portons des actions de grâce pour les rois et tous ceux qui exercent l’autorité, « afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité » (1 Tm 2, 2).
Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. L’État doit respecter le droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent mais il peut, en vue du bien commun, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. Il n’est pas là pour coloniser avec le ventre. Jean-Paul II rappelait ainsi que parmi les premiers devoir des migrants figurait rester chez soi : « le droit d’avoir une patrie, de demeurer librement dans son pays, de vivre en famille » (2 février 2001, message pour la 87e journée mondiale des migrants).
- L’objection de conscience : « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »
Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences morales, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile par la liberté et objection de conscience très menacée aujourd’hui pour favoriser l’avortement. La désobéissance civile trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté politique. « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (Mt 22, 21) et « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29).
Même Sophocle avec son Antigone ou la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (sous la résistance à l’oppression) la reconnaissent : « Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique » (GS 74, § 5). La résistance à l’oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunis les conditions suivantes (se rapprochant de la guerre juste) : (1) en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux ; (2) après avoir épuisé tous les autres recours ; (3) sans provoquer des désordres pires ; (4) qu’il y ait un espoir fondé de réussite ; (5) s’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures.
Toute institution s’inspire, même implicitement, d’une vision de l’homme et de sa destinée, d’où elle tire ses références de jugement, sa hiérarchie des valeurs, sa ligne de conduite. La plupart des sociétés ont référé leur institutions à une certaine prééminence de l’homme sur les choses. Seule la Religion divinement révélée a clairement reconnu en Dieu, Créateur et Rédempteur, l’origine et la destinée de l’homme. L’Église invite les pouvoirs politiques à référer leurs jugements et leurs décisions à cette inspiration de la Vérité sur Dieu et sur l’homme : « les sociétés qui ignorent cette inspiration ou la refusent au nom de leur indépendance par rapport à Dieu, sont amenées à chercher en elles-mêmes ou à emprunter à une idéologie leurs références et leur fin, et, n’admettant pas que l’on défende un critère objectif du bien et du mal, se donnent sur l’homme et sur sa destinée un pouvoir totalitaire, déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire » (cf. CA 45 ; 46).
L’Église ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique. Elle est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. Mais il lui appartient de « porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations » (GS 76, § 5). Elle est en effet l’âme du monde.