Toussaint (01/11/2022 - sainteté)

Homélie de la Toussaint (1er novembre 2022)

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Méditation sur la sainteté

La solennité de la Toussaint est la fête de tous les saints qui n’ont pas leur nom propre inscrit dans le martyrologe ou album des saints. Qu’est la sainteté en théologie ? Suivons l’enseignement du P. Daniel Ols, op, maître au studium de la congrégation des causes des saints.

      1. Réflexions sur l’emploi du mot ‘sainteté’
  1. Étymologie

En grec, saint se dit agios (ἅγιος) et signifie éprouver une crainte respectueuse (άζομαι = adzomai). S’ajouta ensuite une dimension de pureté. En latin, sanctus dérive de sancire (sancitus < sanctus), ce qui est sanctionné, c’est-à-dire à la fois ratifier, confirmer, rendre exécutoire une loi tout autant qu’interdire ou punir. Ensuite le sens évolua vers rendre inviolable ou sacré par un acte religieux, soit consacrer. Les Romains comme tant d’autres, séparaient ce qui est sacré, rendu saint, du profane (pro et fanum : devant le temple, hors de l’espace sacré).

Si le tragique de la vie humaine domine chez les Grecs pour lesquels l’homme est écrasé par un destin aveugle empêchant de jamais se concilier par des sacrifices des dieux capricieux et versatiles, les Romains déterminent rituellement et légalement ce qui appartient aux dieux. La religion consiste pour eux à bien accomplir les rites prescrits par la loi[1] : « la sainteté est la science des dieux à adorer » (Cicéron, De natura deorum 1, 41). Comme une vie droite et vertueuse comporte la piété envers les dieux, on arriva progressivement à une dimension morale.

Primo, la séparation de ce qui est saint d’avec le monde ordinaire est essentielle. Dieu, étant transcendant, s’oppose à ce qui est immanent. Le monde est sous le pouvoir de Satan (Jn 16, 11) et donc opposé à Dieu, sans tomber dans le manichéisme : « Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde ; voilà pourquoi le monde a de la haine contre vous » (Jn 15, 19). Secundo, le saint canonisé, est officiellement inscrit dans la liste des saints ou canon en grec, à l’issue d’une procédure légale, sanctionnée par l’Église.

  1. Dans les saintes Écritures

L’Ancien Testament exprime la sainteté en hébreu par la racine קדש = qdš (quadosh) qui insiste sur la mise à part, donc aussi la pureté rituelle. On distingue le pur et l’impur : un objet sacré ou saint ne sert qu’à Dieu et à son culte (cf. Mt 12, 3-4). Dieu est celui qui est autre que le monde, donc opposé au péché. Mais Dieu entre en alliance avec son peuple et par la même occasion, le rend saint, séparé de tous les autres peuples, par l’élection. Il communique sa nature intime aux élus : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lév 19, 2). Avec les prophètes Osée et Isaïe (auteur du Saint, Saint, saint ou trisagion de la liturgie, cf. Is 6, 3 et Ap 4, 8), le simple cadre de la pureté rituelle est dépassé pour une alliance d’amour. La gloire (kabod) est sa manifestation extérieure tandis que sa sainteté est sa nature même.

Le Nouveau Testament atteste la divinité de Jésus par sa sainteté : le « saint de Dieu » (Lc 4, 34 ; Mc 1, 24). Jésus veut sanctifier, par l’Esprit Saint, les hommes qui croient en lui. Aussi l’Église est-elle sainte par son union au Christ et à l’Esprit saint qui sanctifie (1 Co 1, 2). Les fidèles sont appelés ‘saints’ (Ac 9, 13.32.41 ; Rm 1, 7 ; 15, 25). Certes, contrairement à Dieu, ils ne sont pas saints par nature mais par vocation. Plus que la conduite morale, c’est le rapport vivifiant à Dieu qui divinise et sanctifie. Cette sanctification n’est pas une imputation extérieure comme le pensait Luther mais un renouvellement intérieur, fruit de l’Esprit Saint.

      1. Qu’est-ce que la sainteté des hommes ?
  1. Sainteté en Dieu, sainteté en l’homme.

La sainteté, essentielle en Dieu, n’est que participée par les créatures qui recherchent Dieu. Aussi est-il plus aisé de parler de la sainteté chez l’homme qu’en Dieu : « on appelle sainteté cette application que l’homme fait de son âme spirituelle et de ses actes à Dieu. Elle ne diffère donc pas de la religion dans son essence, mais seulement d’une distinction de raison. Car on parle de religion selon que l’on rend à Dieu le service qu’on lui doit en ce qui concerne spécialement le culte divin : sacrifices, oblations, etc. Tandis qu’on parle de sainteté lorsque l’homme, outre ces actes, rapporte encore à Dieu les actes des autres vertus, ou bien se dispose au culte divin par certaines bonnes œuvres » (II-II, 81, 8).

La sainteté implique l’homme dans son intégralité mais siège d’abord dans ce qui le distingue des autres animaux : son être spirituel. Comme l’esprit a deux fonctions : l’intellect et la volonté, l’homme doit les ordonner à Dieu en cherchant à le connaître et à l’aimer. Ainsi, la créature et le Créateur ont, pour leur activité spirituelle, la même fin : Dieu lui-même. En cela, l’homme est pleinement à l’image de Dieu (I, 93, 4). Pour connaître et aimer Dieu ici-bas, il nous faut la foi et la charité, données par grâce. Plus nous le connaissons, et plus nous l’aimons puisque rien n’est aimé qui ne soit d’abord connu (nihil amatum quod non præcognitum). On aimera plus Dieu si on arrive à mieux le connaître, donc à embrasser tout le catéchisme (II-II, 180, 7, ad 1). La doctrine sacrée est un préalable à la sainteté !

  1. Sainteté et dimension morale

Cette activité contemplative, essentielle à la sainteté, n’est pas facilement repérable en l’homme. Elle appartient à son intimité, connue de Dieu seul. C’est la raison pour laquelle l’exercice des vertus morales est concrètement le seul moyen qui nous permette de repérer si un serviteur de Dieu est bien un saint lorsqu’on instruit un procès de béatification. Aussi S. Thomas parle-t-il de ces vertus morales comme de dispositions préalables en tant qu’elles réfrènent les passions humaines qui perturberaient autrement la contemplation et englueraient l’apprenti-saint dans les agitations des occupations extérieures (II-II, 180, 2). Outre d’éloigner l’obstacle, les vertus permettent de poser des actes méritoires ou bonnes actions.

Cela se rattache à la pureté : « La pureté en effet est nécessaire pour que l’âme s’applique à Dieu. C’est parce que l’âme se souille du fait de sa liaison aux choses d’en bas, comme un métal s’avilit par son alliage avec un métal moins noble, ainsi l’argent mêlé de plomb. Or il faut que l’âme spirituelle se sépare de ces réalités inférieures pour pouvoir s’unir à la réalité suprême. C’est pourquoi une âme sans pureté ne peut s’appliquer à Dieu. Aussi He 12, 14 nous dit-elle : ‘Recherchez la paix avec tous, et cette pureté sans laquelle nul ne verra Dieu’. La fermeté stable est également requise pour l’application de l’âme à Dieu. Elle s’attache à lui en effet comme à la fin ultime et au premier principe, ce qui nécessairement est immuable au plus haut point. S. Paul disait  : ‘je suis certain que ni la mort ni la vie ne me sépareront de l’amour de Dieu’ (Ro 8, 38) » (II-II, 81, 8).

S. Thomas nomme pureté la vie contemplative, au sens où tout, dans les activités normales de l’homme, est rapporté à Dieu : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir (…) Tu les inculqueras à tes enfants et tu t’en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant » (Deut 6, 5-7). Par une vie d’oraison, le chrétien cherche d’ailleurs à s’unir dès ici-bas à son Créateur sans même attendre de mourir pour voir Dieu face à face.

Conclusion

Il faut démontrer l’exercice des vertus au degré héroïque pour prouver l’état de grâce, donc la sainteté d’une personne car la grâce « est un certain état habituel présupposé aux vertus infuses, comme leur principe et leur racine » (ST I-II, 110, 3, ad 3). Le miracle nécessaire à la béatification confirmera le jugement des hommes sur l’état de grâce dont jouissait un serviteur de Dieu. Certes, il y eut aussi des excès. Longtemps, on crut qu’il fallait une multiplication d’actes vertueux (sacrifices, offrir sa vie par le martyre[2]) et aussi de miracles pour prouver la sainteté des personnes. Puis on a voulu insister de nouveau sur la prééminence de l’amour, par exemple avec la petite voie de l’enfance de sainte Thérèse où l’on sait que tout acte, même insignifiant (ramasser une épingle), offert en union à Dieu, est un chemin de sainteté.

 

[1] « Le mot de sainteté implique deux choses : Premièrement : la pureté. C’est le sens donné par le mot grec aghios comme si l’on disait ‘sans terre’. Deuxièmement, il implique fermeté : les anciens appelaient saint ce que la loi protégeait et rendait inviolable. D’où vient aussi le terme de ‘sanctionné’ pour désigner ce que confirme une loi. L’étymologie latine permet d’ailleurs de rattacher au mot sanctus l’idée de pureté. Il faut alors l’entendre de sanguine tinctus, parce que, dans l’Antiquité, celui qui voulait être purifié se faisait asperger par le sang d’une victime, d’après Isidore. L’un et l’autre sens s’accordent pour faire attribuer la sainteté à ce qui est engagé dans le culte divin. Si bien que non seulement les hommes, mais le temple, les instruments et autres choses de ce genre, se trouveront sanctifiés par leur application au culte de Dieu » (II-II, 81, 8).

[2] Pourtant saint Thomas savait que la charité seule comptait : « Le plus petit martyr mérite-t-il plus, quant au genre de l’œuvre, que n’importe quel confesseur ? Cependant, quant à la racine de l’œuvre, un confesseur peut mériter davantage, en tant qu’il opère par une plus grande charité : car la récompense essentielle correspond à la racine de la charité mais l’accidentelle, au genre de l’acte. De là vient qu’un confesseur peut surpasser un martyr quant à la récompense essentielle, mais être surpassé par lui quant à la récompense accidentelle » (De Veritate 26, 6, ad 8).