Homélie du 2e dimanche de l’Avent (7 décembre 2025)
Saint Nicolas
Le chrétien doit cultiver le désir du Ciel. Quoi de mieux que d’approfondir la vie des saints, nos frères aînés ayant déjà atteint le Paradis, prêts à nous aider à les y rejoindre ?
Légende et miracles
Legenda ne signifie en latin rien d’autre que ‘ce qui doit être lu’, sous-entendu au réfectoire, pendant les repas. On y lisait les vies de saints, rapide résumé du martyrologe ou une vita plus développé. Le grand classique à l’époque de saint Thomas d’Aquin était La légende dorée du bx. Jacques de Voragine (en italien Giacomo da Varazze, 1225/30-1291), archevêque dominicain de Gênes, dévoué à procurer la paix en des temps aussi troublés. L’esprit médiéval était peut-être enclin à une certaine crédulité qui aboutit, en multipliant les miracles, à ternir la crédibilité de l’hagiographie au point de rendre ces mots synonymes de fables : faudrait-il suivre saint Paul « quant aux récits mythologiques, ces racontars de vieilles femmes, écarte-les ! » (1 Tm 4, 7) ? La vertu de religion, fille de la justice, est cardinale et peut excéder le juste milieu par défaut (incrédulité) ou excès (crédulité naïve, superstition). La charité au contraire, sur laquelle nous serons jugés à notre mort, n’est jamais trop grande. Mais ne nous prenons pas pour Descartes révoquant tout en doute méthodique, discernons. Que le jour même de sa naissance, le bébé saint Nicolas se serait tenu debout pour son baptême ou qu’il jeunât en carême : le nourrisson ne tétant qu’une fois les mercredi et vendredi, prête à sourire, comme ces évangiles apocryphes, rejetés par l’autorité de l’Église du canon officiel des saintes écritures, qui décrivaient le tout petit enfant Jésus faisant déjà des miracles à l’envie et punissant des camarades de jeu moqueurs. La vérité de l’Incarnation du Fils de Dieu ne peut détourner continuellement des lois naturelles voulues, elles aussi, par Dieu.
Comprenons pourquoi saint Nicolas est patron de tant de corporations. Des matelots, au péril de la mer, invoquèrent le saint dans la tempête. Il leur apparut et les aida à manœuvrer le bâtiment qui aux vergues, qui aux voiles. Lors d’une famine, il pria des marins qui emmenaient du grain d’Alexandrie à Constantinople de donner cent mesures de blé par bateau. Mais les matelots craignaient d’en être tenus pour responsables. Convaincus par sa foi qu’ils n’en subiraient pas les conséquences, ils acceptèrent et le saint distribua à ses diocésains de quoi survivre pendant deux ans, tant pour manger que pour semer.
La province de Phrygie s’étant révoltée, l’empereur Constantin envoya trois princes Népotien, Ursus et Apilion, qui furent détournés par les vents vers saint Nicolas. Ensemble, ils sauvèrent in extremis avant leur exécution trois soldats injustement condamnés par le consul corrompu que Nicolas reprit vivement : « Ennemi de Dieu, prévaricateur de la loi, quelle est ta présomption d’oser lever les yeux sur nous, alors que tu es coupable d’un si grand crime ? » mais il se repentit (cf. célèbre tableau d’Ilia Répine de 1888 au musée russe de Saint-Pétersbourg). Les envoyés revenus à Rome après leur mission furent jalousés de leur succès et on les calomnia de lèse-majesté. Se rappelant les trois soldats innocentés, les condamnés se recommandèrent à saint Nicolas qui apparut en songe à l’empereur et au préfet qu’il tança vertement. « Allez et remerciez Dieu qui vous a délivrés par ses prières ; mais portez-lui quelques-uns de nos joyaux, de notre part, en le conjurant de ne plus m’adresser de menaces, mais de prier le Seigneur pour moi et mon royaume ».
Certains historiens de l’art pensent qu’en important d’Orient le culte de saint Nicolas au XIe siècle, les Occidentaux mésinterprétèrent l’usage de peindre tout petits les trois officiers par rapport à Nicolas et les prirent pour des clergeons ou des enfants (ex : « trois clercs qui allaient à l’école » dans la Vie de Saint Nicolas par Wace). L’iconographie interpréta ensuite en résurrection trois enfants tués et découpés en morceaux par un boucher car la tour de prison était devenue un baquet ou un saloir.
La fama sanctitatis ou réputation de sainteté se développa beaucoup après sa mort. Un homme pria saint Nicolas de lui donner un fils, ce qui lui fut accordé avec Adéodat ou Dieudonné. Tous les ans, il rendait hommage dans une chapelle dédiée à saint Nicolas dans sa maison. Quand son fils fut enlevé par les Agarènes et qu’il se lamentait en se souvenant de son enfance heureuse, le sultan le moqua de se fier en un tel intercesseur mais l’enfant fut rendu à ses parents et le palais du Sarrasin détruit. Un autre noble ayant obtenu la même grâce avait voué au saint un vase d’or. Mais le vase lui plut tant qu’il le conserva pour lui et en fit un second pour le saint d’égale ou moindre valeur suivant les sources. Pérégrinant en bateau vers Bari, il demanda au fils de l’eau dans le premier vase mais le fils tomba à l’eau. Le père ayant poursuivi malgré sa douleur son pèlerinage, porta sur l’autel le second vase qui fut repoussé à terre. Alors qu’il le replaçait, l’enfant qu’on croyait noyé réapparut avec le premier vase. Le père offrit les deux vases au saint qui avait protégé son fils.
Saint Bernard de Menthon (vers 1020-1081), sur le lac d’Annecy, devait épouser une riche héritière, Marguerite de Miolans, mais voulait se consacrer à Dieu malgré l’opposition de ses parents qui l’enfermèrent. Il pria saint Nicolas qui le sauva dans sa fuite par la fenêtre et le conduisit à Aoste où il devint archidiacre avant de fonder les hospices aux cols portant désormais son nom (Petit et Grand-Saint-Bernard) mais qu’il avait placés sous le patronage de Nicolas. Sainte Brigitte de Suède pérégrinant vers le Mont-Gargan eut aussi une apparition du saint et demeura à Bari plus longtemps qu’escompté.
Historiquement, un archevêque de Myre anti-arien
Saint Nicolas naquit vers 270 dans une riche famille chrétienne de Patare (Lycie, sud de la Turquie actuelle, près de la mer). Ses parents Épiphane et Jeanne moururent d’une peste. Nicolas avait pour voisin un homme ruiné qui ne pouvait marier ses trois filles faute de dot. Il se résignait à l’idée de les prostituer pour survivre. Nicolas jeta plusieurs fois en secret trois bourses pleines d’or à ces jeunes femmes par les fenêtres du désespéré pour préserver la dignité des trois sœurs. D’où l’attribut, sur un livre, de ces trois bourses ou boules d’or en iconographie.
Nicolas fut providentiellement consacré archevêque de Myre vers 300. À la mort du titulaire, les évêques décidèrent d’une nuit de prière et de jeûne durant laquelle, à celui qui avait le plus d’autorité, une voix enjoignit d’aller à l’aube à la porte de l’église où le candidat de Dieu serait le premier à pénétrer en s’appelant Nicolas qui fut installé sur sa cathèdre. Lors des persécutions de 303 par Dioclétien, saint Nicolas fut arrêté et torturé mais il participa au concile de Nicée en 325 où il gifla l’hérésiarque Arius qui daignait la nature divine de Jésus. Il fut donc arrêté pour son geste, dépouillé de sa dignité épiscopale, mais la Vierge lui rendit dans sa prison son omophore, équivalent du pallium tandis que son Fils le bénit. Il convainquit l’évêque Théognios de Nicée de rester dans l’orthodoxie doctrinale. Il supprima les cultes idolâtriques des païens, faisant détruire le temple d’Artémis de Myre. L’idole démoniaque prenant les traits d’une religieuse offrit une huile maléficiée à l’église du saint pour en enduire les murs mais elle fut démasquée par le saint qui le fit jeter à l’eau où elle brûla contrenature.
L’expansion de son culte jusqu’au Père Noël !
Nicolas, ayant eu la préscience de sa mort, célébra une dernière fois les saints mystères et mourut à l’abbaye de Sion le 6 décembre 343. Son corps exsuda dans son tombeau une huile sainte, qui embaumait encore quand on ouvrit son tombeau pour le translater en Italie. Après la défaite byzantine de Mantzikert (1071) qui fit tomber toute l’Anatolie aux mains des Turcs seldjoukides du sultanat de Roum, 47 marins de Bari devancèrent leurs concurrents vénitiens pour ramener les reliques du grand saint chez eux le 9 mai 1087 où saint Nicolas attire encore aujourd’hui de nombreux pèlerins, particulièrement de Russie ou orientaux. En 2022 un tombeau fut découvert, trop vite attribué dans l’église byzantine Saint-Nicolas de Myre (Noel Baba Kilisesi, en turc) dans le district de Demre à Antalya (autrefois Myre, actuelle Turquie).
En 1098, le chevalier lorrain Aubert de Varangéville vola une phalange qu’il porta à Saint-Nicolas-de-Port. Vers 1230, le chevalier lorrain Cunon de Réchicourt suivit l’empereur Frédéric II du Saint-Empire à la 6e croisade mais fut emprisonné par les musulmans. La veille de son exécution, il pria saint Nicolas avant de s’endormir dans sa geôle et se réveilla le lendemain sur les marches de l’église de Saint-Nicolas-de-Port. Ses chaînes tombèrent d’elles-mêmes durant l’office et furent suspendues à un pilier de la nef. Depuis 1245, une procession commémore à Saint-Nicolas-de-Port ce miracle. En 1248, saint Louis parti pour la septième croisade, fut pris avec toute sa famille près de Chypre dans une violente tempête. La reine Marguerite de Provence fit le vœu inspiré du sire de Joinville d’offrir à saint Nicolas une nef d’argent s’il les sauvait, ce qu’elle accomplit en Lorraine où se recueillit encore sainte Jeanne d’Arc avant de quitter le duché de Lorraine pour rejoindre la France en 1429. Un humérus fut concédé vers 1420 à l’abbaye cistercienne d’Hauterive sous l’abbé Pierre d’Affry avant qu’une bulle pontificale en 1505 n’obligeât à la transférer à la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg.
Saint Nicolas est très fêté dans l’Est de la France, le Benelux et l’Europe centrale. Nicolaus/Claus en allemand passa des Pays-Bas à la Nouvelle Amsterdam, aujourd’hui New York (Santa Claus). Le père Fouettard (ou Krampus dans l’ancien empire austro-hongrois) serait le boucher devant pour pénitence de son crime accompagner Nicolas lors de sa distribution de récompenses, lui se chargeant de punir les enfants désobéissants. L’orange reçue par les enfants évoquant la bourse d’or. Saint Nicolas inspira aux États-Unis le mythe du Père Noël. En 1822, le pasteur Clement Clark Moore publia le poème A Visit From St. Nicholas (‘Twas the Night Before Christmas) avec un saint Nicolas chaleureux, jovial et grassouillet bien loin de l’ascétique figure du saint grec. Le caricaturiste Thomas Nast dessina en 1862 le père Noël pour Harper’s Weekly comme un lutin, qui soutenait les troupes de l’Union. Son habit évolua du brun roux au rouge. En 1931, Coca-Cola diffusa ses publicités dans des magazines populaires (Saturday Evening Post, Ladies Home Journal, National Geographic, New Yorker). Archie Lee, associé de la D’Arcy Advertising Agency voulait un père Noël sain, à la fois réaliste et symbolique. L’illustrateur Haddon Sundblom originaire de Suède s’inspira du folklore nordique (Odin/Wotan sur son char volant à chevaux à huit pattes récompensant et le pôle nord) tout en abandonnant la petite mythologie (lutin) pour reproduire un modèle vivant, son ami Lou Prentiss, représentant à la retraite, puis son autoportrait car il retravailla le personnage jusqu’en 1964. En 1942, Sundblom créa le Sprite Boy, dérivé de lutin ou farfadet, avant que sa limonade diffusée seulement dans les années 1960, n’assumât ce nom.