11e Pentecôte (13/08 - lect; thom. ép.)

Homélie du 11e dimanche après la Pentecôte (13 août 2023)

Pour écouter l'homélie, cliquez ici

Commentaire thomiste de l’épître (1 Co 15, 1-10)

S. Paul avait d’abord instruit les Corinthiens de la doctrine des sacrements, de la grâce et de ses effets. Il passe ensuite à la gloire de la résurrection qui n’est pas contenue dans le sacrement puisqu’on ne l’obtient pas immédiatement, mais que le sacrement signifie, en tant qu’il lui confère la grâce pour arriver à la béatitude.

  1. Excellence de la doctrine évangélique

Saint Paul relève l’excellence de la doctrine évangélique sur quatre points. Premièrement, par l’autorité des apôtres qui enseignent eux-mêmes cet évangile ou bonne nouvelle, qui concerne tout ce qui se rapporte à Jésus-Christ et vient de lui. Il l’a fait connaître dans le sens où il l’a diffusée mais sans chercher à faire du neuf : « Vous écrire les mêmes choses ne m’est pas pénible, et pour vous c’est plus sûr » (Ph 3, 1) car « Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité » (He 13, 8). Il ne veut pas plus se distinguer des autres apôtres qui prêchaient la même chose à d’autres car il s’agit de reprendre les enseignements donnés directement par le Christ aux apôtres qui s’effacent derrière l’autorité de l’unique maître (Mt 23, 10), Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme : « quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants » (1 Th 2, 13). Ils en devinrent un peu comme des anges au sens de messagers de vérité répandus à travers toute la terre connue d’alors, jusqu’en Inde par saint Thomas : « sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde » (Ps 18, 5).

Secondement, cette foi est commune à tous les peuples (verset 4) : « que vous avez tous reçu ». Avant d’être géographique, la catholicité de l’Église est d’abord doctrinale comme le rappelle saint Vincent de Lérins car il faut tenir pour vérité de foi « ce qui a été cru partout, toujours et par tous » (Commonitorium, vers 434 : « Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus »). Alors que les modernistes prônent une évolution doctrinale suivant les modes du temps, il faut tenir l’immutabilité de la vraie foi (sans dogmatiser non plus ce qui relève d’une simple discipline par exemple). Saint Augustin entend prouver l’éminence de la foi par l’argument suivant. Pour croire les choses qui sont de foi, des miracles ont été opérés, ou non. Il y eut bien des miracles, ce qui est à croire de foi : « [le salut] a été annoncé par le Seigneur au commencement ; ceux qui avaient entendu ont confirmé pour nous ce salut, et Dieu joignait son témoignage par des signes, des prodiges, toutes sortes de miracles, et le partage des dons de l’Esprit Saint, selon sa volonté » (He 2, 3-4). Et l’autre miracle est qu’une multitude infinie d’hommes aient été convertis à la foi par quelques hommes seulement, les riches par des pauvres qui prêchaient la pauvreté, les sages et les philosophes par des ignorants prêchant des dogmes qui dépassent la portée de la raison.

Les sectateurs de Mahomet se sont développés dans bien des pays mais par conversions forcées par la conquête violente puis pour ne pas subir le statut de dhimmi si infâmant et préjudiciable économiquement, socialement. Au contraire, les apôtres se sont répandus sous la persécution des pouvoirs publics en place. De plus, alors que les musulmans favorisent les plaisirs terrestres (à commencer par leur pratique de la polygamie ou la fête nocturne après le jeûne diurne du ramadan), les chrétiens prônent un ascétisme plus grand, qu’ils ont prouvé par leur mort comme martyrs.

Troisièmement cette foi est efficace, car l’évangile affermit les hommes et les élève vers les biens célestes. Tenir bon dans l’évangile (v. 1) rend droit, justifie par la vraie foi (Rm 5, 1). La loi ancienne, par sa pédagogie, inclinait plus vers des biens terrestres comme une terre ruisselant de lait et de miel (Ex 3, 8.17 parmi vingt occurrences) ou encore la terre de Jacob décrite comme « un pays de froment et de vin nouveau » (Dt 33, 28). Quatrièmement, l’utilité car seule la loi nouvelle conduit au salut, qui est notre fin ou but ultime, ce qui n’était pas le cas avant « puisque la Loi n’a rien mené à la perfection » (He 7, 18). Si la foi conduit au salut (Jn 20, 31), l’espérance fait déjà commencer à posséder en quelque sorte ce bien promis de la vie en Dieu. Mais saint Paul pose ici deux conditions : il faut observer cette foi dans la résurrection des morts puisque Jésus est ressuscité lui-même et suivre ses commandements qui en sont le moyen de l’exprimer ; et pratiquer cette foi par des bonnes œuvres autrement « si elle n’est pas mise en œuvre, [la foi] est bel et bien morte » (Jc 2, 17), donc vaine.

  1. La foi dans la résurrection du Seigneur Jésus

Le christianisme ne vient pas de saint Paul comme des détracteurs de l’Église le prétendent mais bien du Christ qui se sert simplement de Paul comme d’un instrument de son évangélisation : « Paul, apôtre – envoyé non par des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus Christ et par Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts » (Gal 1, 1). Il ne prétend pas à l’originalité mais à la fidélité dans le tradere ou transmission fidèle de la doctrine (1 Co 4, 2) : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis » (1 Co 11, 23). Tout chrétien doit retenir en sa mémoire un noyau de vérité fondamental ou kérygme qui inclut la foi en l’Incarnation du Fils qui nous révèle la Trinité. Dans ce kérygme figure encore la foi dans la mort, l’ensevelissement, la résurrection et l’apparition de Jésus-Christ.

  1. Jésus Christ est mort pour nos péchés et fut enseveli

« Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures » (v. 3). Éliminons des interprétations déviantes qui feraient accroire que Jésus serait mort pour le péché originel qu’il aurait contracté ou pour ses péchés actuels puisqu’il est dit « pour nos péchés » (cf. 1 P 3, 18, Vulg.) puisque lui n’en a contracté ni commis aucun. De même, il ne fut pas victime accidentelle de la violence des Juifs, mais suivant un plan d’amour du Père éternel appelé économie du salut, prévu de toute éternité et annoncé par les prophètes dans la Bible. Serviteur souffrant, « le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous (…) comme un agneau conduit à l’abattoir (…), frappé à mort pour les révoltes de son peuple » (Is 53, 8, cf. Jr 11, 19). Jésus acceptait ce rachat de cette manière par le Père, et l’avait annoncé (Mt 20, 18).

Sa sépulture n’est pas un article spécial de la foi mais est contenue dans celui sur la Passion et mort de Jésus-Christ. La foi traite ce qui dépasse les capacités de la simple raison : que Dieu soit conçu dans la chair, naisse d’une vierge, qu’un Dieu impassible souffre et meure. Mais saint Paul précise cette sépulture pour prouver la réalité de sa mort et établir la vérité de la résurrection. Si des gardes n’avaient pas été postés à l’entour du saint sépulcre, on aurait pu dire que les disciples l’avaient enlevé, et cette fable est répandue chez les Juifs (Mt 28, 13-15). Enfin, la foi en la résurrection des Corinthiens sera mieux affermie après le tombeau vide, signe éclatant de son triomphe car son « son sépulcre sera glorieux » (Is 11, 10, Vulg.) alors qu’il évoque normalement déjà le début de la corruption comme Lazare qui sentait déjà au quatrième jour (Jn 11, 39).

  1. Il est ressuscité et apparu à des témoins nombreux

« Il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures » (v. 4) est intégré verbatim au Credo. Déjà annoncé par Osée (6, 3) : « Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face ». Le troisième jour, n’évoque pas trois jours pleins, mais deux nuits et un jour par synecdoque. Dieu, par son opération simple du mal de peine, marqué par un jour, a détruit en nous deux choses, la peine et la coulpe ou faute, figurées par les deux nuits (saint Augustin).

Ensuite, le Christ est apparu à certains qui furent soigneusement choisis : « Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 40). Saint Paul souligne que Dieu voulait conserver dans l’Église cet ordre de transmission par témoignage humain ininterrompu appelé la succession apostolique. Mais il n’évoque pas toutes les apparitions de Jésus-Christ comme aux femmes mais en rapporte des inconnues ailleurs. Il ne veut citer que des témoignages plus autorisés comme Képhas dit Pierre et Jacques, fils d’Alphée considérés comme les colonnes de l’Église (Gal 2, 9). Il apparut d’abord à Pierre séparément (Lc 24, 34, cf. Mc 16, 7) parce qu’il était dans une grande tristesse. Il apparut une fois à dix apôtres (Judas était mort et Thomas absent) et huit jours après aux onze avec Thomas se trouvant avec eux. Il s’agit donc du collège apostolique, précurseur des évêques entourant le pape, qui assistèrent à l’Ascension (Ac 1, 3). Saint Paul seul parle d’une apparition du Ressuscité à plus de cinq cents frères assemblés, peut-être les cent-vingt disciples présents à Jérusalem auxquels s’étaient adjoints beaucoup d’autres de Galilée. Certains étaient encore vivants et pouvaient encore témoigner lorsque fut rédigé à Éphèse notre première épître aux Corinthiens (soit au printemps 55 ou 56).

  1. Les grâces reçues par saint Paul

Après avoir évoqué les autres par politesse, saint Paul en vint (v. 9) à l’apparition dont il bénéficia en personne, lui qui n’est pas apôtre au sens strict d’avoir partagé sa vie terrestre mais qui fut gratifié après son Ascension de l’apparition sur le chemin de Damas en 36. Le terme ‘avorton’ évoque le meurtre de l’enfant dans le sein de sa mère ou qui naît naturellement avant terme, voire sans avoir atteint son complet développement. Saint Paul reconnaissait en lui-même ces trois défauts, mais sa régénération par l’Esprit-Saint intervint plutôt retard qu’avant terme puisqu’après celle des autres apôtres. Et il ne se convertit pas spontanément comme les autres à Jésus-Christ mais y fut contraint (Ac 9, 4). Pour saint Thomas d’Aquin, cette circonstance de la contrainte est d’un grand poids contre les hérétiques, qui prétendent qu’on ne doit contraindre personne à embrasser la foi.

Il confesse n’avoir pas encore atteint le degré de vertu des autres, montrant sa petitesse (v. 9) comme ancien persécuteur (Ga 1, 13 ; 1 Tm 1, 13) mais ce « vase d’élection » (Ac 9, 15) devait porter plus de fruit : « Le plus petit deviendra un millier, le plus chétif, une nation puissante. Moi, le Seigneur, je hâterai cela au temps voulu » (Is 60, 22). Mais c’est Dieu qui lui donna cette fécondité : « ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions nous attribuer : notre capacité vient de Dieu » (2 Co 3, 5). D’où cette affirmation pleine de panache : « Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis » (v. 10). De moi-même je ne suis rien, mais c’est Dieu, et non moi-même, qui m’a fait ainsi : « De cet Évangile je suis devenu ministre par le don de la grâce que Dieu m’a accordée par l’énergie de sa puissance » (Ép 3, 7). Il se sent redevable à Dieu de cette prodigalité dont il bénéficia gratuitement. Il montre comment il a mis à profit son état et accompli ses devoirs. Il a usé de cette grâce pour le bien et elle fut féconde.

Il réussit à atteindre des objectifs « car je ne voulais pas risquer de courir ou d’avoir couru pour rien » (Ga 2, 2). Ayant été plus lent que les autres apôtres à se convertir à la vraie foi, il dut rattraper ce retard et déployer plus de zèle apostolique que les autres apôtres car les saintes Écritures du moins ne rapportent pour aucun autre apôtre autant de lieux différents de prédication de la bonne nouvelle : « Ainsi, depuis Jérusalem en rayonnant jusqu’à la Dalmatie, j’ai mené à bien l’annonce de l’Évangile du Christ » (Rm 15, 19), sans compter Malte et même sans doute jusqu’en Espagne. De même, pour saint Paul seul sont conservés autant d’épîtres adressées à tant de personnes (Tite, Timothée, Philémon) ou communautés géographiques : les Hébreux de Terre Sainte ou de la diaspora, les Romains d’Italie, Thessaloniciens, Corinthiens, Philippiens de Macédoine et Grèce, les Éphésiens (Ionie), Galates, Colossiens (Phrygie) d’Asie Mineure ou actuelle Turquie. Il fit aussi plus d’effort car il refusa d’être à charge des communautés visitées mais il voulut travailler de ses mains pour subvenir à ses besoins personnels (1 Th 2, 9 ; Ac 20, 34). Enfin, cet ancien persécuteur dut racheter par plus d’épreuves que les autres sa fécondité apostolique (2 Co 11, 23-28). Car sa prédication fut particulièrement efficace par la grâce de l’Esprit-Saint. Il s’abandonnait à Dieu : « dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous » (Is 26, 12) car « c’est Dieu qui agit pour produire en vous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant » (Ph 2, 13). Dieu rendit ses œuvres agréables et méritoires et détermine encore à bien user de la grâce répandue en nous qu’on appelle grâce de la coopération si merveille illustrée par saint Paul.

Date de dernière mise à jour : 13/08/2023