2e ap. Pâques (14/04 - lect. pers. ép.)

Homélie du 2nd dimanche après Pâques (14 avril 2024)

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Lecture spirituelle de l’épître (1 P 2, 21-25)

  1. Suivre l’unique modèle

L’Église est l’ensemble des appelés (Εἰς τοῦτο γὰρ ἐκλήθητε, début du v. 21 manquant à notre épître) par le Christ qui se veut un modèle (ὑπογραμμόν) à imiter, comme les enfants apprennent à recopier leurs lettres d’après un modèle écrit au-dessus. Sauf qu’il ne s’agit pas de lettres avec un stylet et de l’encre : « de toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3, 3). S’il faut connaître un enseignement, une doctrine, celle-ci doit être mise en pratique par un style de vie personnelle et de bonnes œuvres envers le prochain, il faut se mettre en route pour suivre les empreintes (ἴχνεσιν) du Christ, tracer le même chemin que le Sauveur, tel un pisteur.

L’évangélisateur se contente de rappeler qui est « l’unique maître, le Christ » (Mt 23, 10). On ne doit donc pas imiter un saint pour lui-même, éventuellement prendre courage en voyant que c’est possible, mais imitons celui que le saint voulait imiter : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 11, 1). Sinon, on s’arrêterait au messager plutôt qu’à celui qui l’accrédite. L’hyper-transcendance des musulmans fait que leur idole est lointaine alors que notre vrai Dieu se fait proche. Le fossé Créateur-créature a été comblé par l’abaissement de l’Incarnation. Certes, il reste celui de l’innocence face au péché mais là intervient la miséricorde divine. « En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché » (He 4, 15). Proche au point de souffrir, lui qui est impassible ; de mourir, lui qui est immortel. Tout ceci n’est bien sûr compréhensible que si l’on adhère au dogme de la double nature de l’unique personne divine du Christ : s’il n’avait pas assumé une nature humaine, avec un corps et une âme humains, adjoints à sa divinité, cela n’aurait aucun sens.

  1. L’œuvre rédemptrice s’accomplit dans la souffrance muette

Cet exemple qu’il donne est celui de la souffrance qui sauve (salvifique) et rachète (rédemptrice). Normalement en toute bonne justice, on devrait être condamné pour ses fautes. Mais là, le condamné est innocent et le gracié est coupable (Barrabas figurant nous autres pécheurs). Généralement, l’injustice provoque la colère, réaction face à un mal présent. Cette colère s’exprime par des injures comme le mauvais larron (Lc 23, 39) ou une malédiction comme le 18 mars 1314 le grand-maître Jacques de Molay face à ce faux procès intenté à son ordre du temple. Il convoqua au tribunal de Dieu le roi Philippe IV le Bel et le pape Clément V qui moururent effectivement quelques mois plus tard.

Jésus laissa faire les faux témoignages, la mauvaise foi des juges, le mensonge éhonté. Il ne retourna pas l’outrage (λοιδορούμενος οὐκ ἀντελοιδόρει) en répliquant pour insulter ou maudire mais laissa faire et dire, en se taisant, lui dont la parole est puissante et performatrice et qui aurait pu annihiler ses ennemis. Si la création fut accomplie par une parole, la recréation s’opéra dans le silence du Créateur pour laisser parler les faits criants par eux-mêmes malgré leurs cœurs de pierres qui crieront (Lc 19, 40). Le péché des hommes implique le dol (δόλος) que le code civil définit (n°1137) comme « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Jésus accomplit les prophéties du serviteur souffrant : « pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche » (Is 53, 9).

Il est très étonnant de voir les versions grecque et latine différer totalement pour une expression du v. 23 : « παρεδίδου δὲ τῷ κρίνοντι δικαίως », soit ‘s’en remettant au juste juge’ devient « tradébat autem iudicánti se iniúste » : ‘s’en remettant à celui qui le jugeait injustement’. Si Pilate avait tâché de rétablir la justice en s’efforçant d’élargir le Christ Jésus, Caïphe et Anne, tels ceux qui condamnaient la pauvre Suzanne (Dn 13), avaient controuvé des arguments faisant céder le procurateur de Judée par crainte des débordements d’une foule manipulée. Mais si les juges juifs du Sanhédrin étaient prévaricateurs, le Père, juge éternel est juste. Le Christ accepte l’injustice des hommes car elle n’a jamais le dernier mot. Que c’est consolant quand on voit tant d’injustices qui paraissent échapper aux hommes de penser que tout un chacun sera jugé sur ses œuvres à sa mort et devra en répondre jusqu’en enfer s’il a choisi le mal.

Les plaies du Christ portées sur la Croix deviennent de coups mortels ou blessures sanglantes (ὁ μώλωψ/ωπος) sources de vie. « Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris » (Is 53, 5). Le sacrifice sanglant est efficace car pour une fois la victime est totalement pure. Le bois de la malédiction apporte la bénédiction (Ga 3, 13 reprenant Dt 21, 23).

Le fruit de ce sacrifice est que nous ne sommes plus livrés à nous-mêmes, errants comme des brebis perdues (Is 53, 6) mais nous sommes maintenant confiés à celui qui nous a rachetés. Nous sommes ramenés du péché à la justice, de la mort à la vie (v. 24). Le Christ est le bon pasteur (τὸν ποιμένα) qui veut qu’aucune de ses brebis ne soit perdue et qui va laisser les 99 bien portantes pour rallier celle qui s’était égarée (ὡς πρόβατα πλανώμενα, cf. Mt 18, 12-13) pour la charger sur ses épaules. Il veille sur nos âmes (ἐπίσκοπον τῶν ψυχῶν ὑμῶν) pour accomplir la mission du père aimant qui ne voudrait perdre aucun de ceux qu’il a créés et rachetés. Laissons-nous docilement conduire au bercail, au havre de paix que devrait être l’Église.

Date de dernière mise à jour : 23/04/2024