3e ap. Pâques (21/04 - lect. pers. ép.)

Homélie du 3e dimanche après Pâques (21 avril 2024)

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Lecture de l’épître (1 P 2, 11-19)

Le prince des apôtres demande qu’on se comporte bien car les infidèles jugeront au comportement des fidèles quelle valeur revêt leur foi.

  1. L’homme n’est que de passage

Premièrement, il ne faut jamais attacher trop d’importance aux choses d’ici-bas, qui passent pour nous. Lorsqu’un pape était couronné, on brûlait par trois fois de l’étoupe devant le serviteur des serviteurs de Dieu. Elle s’enflammait et se consumait vite et un religieux disait « sic transit gloria mundi », ‘c’est aussi rapidement que passe la gloire du monde’. Notre vraie patrie étant le Ciel, là où nous verrons face à face le Père éternel, la terre n’est qu’un lieu d’exil, parfois agréable, parfois vallée de larmes (cf. Salve Regina). En exil, on emporte normalement que peu de choses. L’attache aux biens matériels ou aux voluptés corporelles entrave la progression vers Dieu.

Le P. Réginald Garrigou-Lagrange, O.P., compare volontiers cette vie naturelle (par rapport à la vie surnaturelle) à un train. Certains oublient qu’ils sont viatores, des voyageurs, des pèlerins (peregrini) en chemin vers Dieu. Ils s’installent si confortablement comme dans un Orient-Express luxueux qu’ils oublient qu’ils s’avancent vers leur fin à bonne vitesse. Mais ils oublient de s’y préparer, à moins qu’ils ne regardent par la fenêtre et ne voient le paysage défiler à grande allure (se remémorant le temps qui passe), ou bien, plus douloureux encore, à moins qu’un passager avec lequel ils étaient très liés ne descendent du train, c’est-à-dire ne meure. Les réalités spirituelles doivent rester notre première préoccupation : « Frères, je dois vous le dire : le temps est limité (…) [que] ceux qui font des achats [fassent] comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment (qui utuntur hoc mundo, tamquam non utantur). Car il passe, ce monde tel que nous le voyons. J’aimerais vous voir libres de tout souci » (1 Co 7, 29-31). Et c’est souvent par-là que le démon nous titille : « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mt 26, 41).

L’Écriture témoigne du détachement pratiqué par les premiers Chrétiens : « vous avez accepté avec joie qu’on vous arrache vos biens, car vous étiez sûrs de posséder un bien encore meilleur, et permanent » (He 10, 34, cf. 11, 33-39). Et un siècle après, la lettre à Diognète montre admirablement le juste rapport au monde des premiers chrétiens : « Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés (…). Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute (…). En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue dans membres du corps comme les chrétiens dans les cités du monde. L’âme habite dans le corps, et pourtant elle n’appartient pas au corps, comme les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pas au monde. L’âme invisible est retenue prisonnière dans le corps visible; ainsi les chrétiens : on les voit vivre dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible. La chair déteste l’âme et lui fait la guerre, sans que celle-ci lui ai fait de tort, mais parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs ; de même que le monde déteste les chrétiens, sans que ceux-ci lui aient fait de tort, mais parce qu’ils s’opposent à ses plaisirs » (n°5-6, cf. Off. Lect. Mercredi 5e semaine du temps pascal).

  1. Le rapport à l’autorité

Il n’est pas facile de bien agir quand on nous attaque. Si encore les disciples du Christ étaient vraiment un seul troupeau, ils pourraient mieux résister à cette persécution, alors que les catholiques sont eux-mêmes profondément déchirés. Pourtant, si les ennemis sont à respecter (on traduit parfois honorer), la communauté des frères est à aimer. « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).

Le rapport aux autres est celui aux autorités d’une part et aux compatriotes d’autre part et aucun n’est évident. Les autorités sont normalement à respecter mais comment le faire quand on les voit de la sorte enfreindre toujours plus largement la loi naturelle avec cette prétendue constitutionnalisation du meurtre des enfants à naître et maintenant le meurtre des malades, handicapés ou des personnes âgées ? Le monde nous hait parce que nous ne suivons pas ses voies qui sont mauvaises, ne serait-ce que par l’idolâtrie de l’avortement, à laquelle nous serions maintenant obligés de sacrifier et à propos duquel on triche sur les mots sans cesse : oubliée la simple dépénalisation de l’avortement par S. Veil, ou le texte actuel parlant de ‘liberté garantie’ et non pas de droit à tuer ! C’était là un des critères qui distinguait les chrétiens à l’origine : ils n’avortaient pas ni n’abandonnaient dans le sens de n’exposaient pas leurs enfants (les plus fragiles étaient abandonnés aux forces de la nature ou parfois recueillis par quelque personne charitable, il s’agissait donc d’un infanticide).

Toutefois, il faut accepter que Dieu tolère un mal au sens de permettre par respect de la liberté humaine et non de  vouloir positivement. Tout est dans la main de Dieu et ceux qui sont au pouvoir peuvent aussi parfois faire du bien, accomplissant la volonté de Dieu même malgré eux, tel Caïphe (Jn 11, 49-51) prophète malgré lui ou bien encore Cyrus le Grand que Dieu utilisa pour libérer les Juifs déportés de Babylone en 532 (Is 45, 1). Si la justice régnait, les chefs seraient déjà dans un rôle positif voulu par Dieu comme « ses délégués pour punir les malfaiteurs et reconnaître les mérites des gens de bien » (v. 14). Saint Thomas distingue le cas de souverains non-chrétiens. L’Église ne devrait pas permettre que s’institue une autorité païenne sur les fidèles : « Cela ne doit être aucunement permis. Car cela tournerait au scandale et au péril de la foi. En effet ceux qui sont soumis à la juridiction des autres peuvent être influencés par ces supérieurs dont ils doivent suivre les ordres, à moins que de tels subordonnés aient beaucoup de vertu. Et pareillement, les infidèles méprisent la foi lorsqu’ils constatent la défaillance des fidèles » (II-II, 10). Dans un second cas, l’autorité préexiste. La souveraineté est bien sûr de droit humain et non divin même si la grâce ne détruit pas le droit humain qui vient de la raison naturelle. « Cependant l’Église, qui est investie de l’autorité de Dieu, peut à bon droit (…) supprimer un tel droit de souveraineté ou d’autorité, parce que les infidèles, au titre même de leur infidélité, méritent de perdre pouvoir sur des fidèles qui sont promus enfants de Dieu ». Un esclave chez des juifs, dès qu’il devenait chrétien, était aussitôt libéré de son esclavage, sans payer aucune rançon. « En tout cela l’Église ne commet pas d’injustice parce que, ces juifs étant eux-mêmes des esclaves, elle peut disposer de leurs biens ; elle agit comme l’ont fait aussi les princes séculiers qui ont publié beaucoup de lois à l’égard de leurs sujets en faveur de la liberté ». Mais dans d’autres cas, « l’Église n’a pas établi ce droit, bien qu’elle pût juridiquement l’instituer. Et elle fait cela pour éviter le scandale. Le Seigneur a montré (Mt 17, 25) qu’il pouvait se dispenser du tribut à César parce que ‘les fils sont libres’, mais il a pourtant prescrit de le payer pour éviter le scandale. Et Paul de même, après avoir dit que les esclaves doivent honorer leurs maîtres, ajoute : ‘Pour que le nom du Seigneur et son enseignement ne soient pas blasphémés’ (1 Tm 6, 1) ».

L’attitude des Chrétiens devrait être exemplaire pour convertir les gens. De nombreux complices de persécution, voire de bourreaux, se convertirent au cours de l’histoire sainte, à commencer par saint Paul puis Processus et Martinien, geôliers de saint Pierre à la prison Mamertine. La douceur des Chrétiens a produit bien des fruits, comme le meurtrier Musumusu voulut reposer auprès de saint Pierre Chanel, martyrisé le 28 avril 1841 (tandis que la fille du roi Niuliki devint la première religieuse futunienneà. Mais il n’est pas aisé d’accepter de ne pas réagir face à l’injustice, car l’Écriture enseigne qu’il faudrait respecter même les mauvais maîtres. Saint Paul enjoignit à Onésime, un esclave enfuit, de retourner chez son maître Philémon mais exhorte celui-ci à ne plus le traiter en esclave mais en frère, lui rappelant le double sens de la dette : pécuniaire ou spirituelle, à savoir le péché et qu’il l’avait sauvé en le baptisant lui-même.

Au début la sainteté était encore très fortement liée à la séparation matérielle avec les peuples païens, bien qu’il y ait, ici ou là, un regard positif sur ces derniers. Un grand changement s’opéra avec Jésus qui inclut la Samaritaine, le centurion romain (Jn 4), les Grecs (Jn 12, 20). Le contact avec les païens n’était plus péché car il voulait les évangéliser et accueillir dans la communauté des disciples. Mais il n’en demeure pas moins qu’un état de chrétienté resterait idéal pour sauvegarder la foi des plus fragiles.

Date de dernière mise à jour : 23/04/2024