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La Miséricorde Divine
Le pontificat de S. Jean-Paul II fut profondément marqué par la miséricorde divine. Deux ans après son accession, il publia l’encyclique trinitaire Dives in misericordia (1980) sur Dieu le Père. Pour le jubilé de l’an 2000, il institua le dimanche in Albis ou de Quasimodo comme dimanche de la divine miséricorde, jour de la canonisation de S. Faustine Kowalska qui avait reçu de Dieu la mission d’en demander l’institution. Il mourut le 2 avril 2005, le samedi, jour de la Très S. Vierge Marie mais déjà liturgiquement dimanche de la Miséricorde Divine.
- Dieu riche en miséricorde (Eph 2, 4)
- La justice divine
S. Thomas associe comme attribut divin la miséricorde à la justice (I, 21).
La justice se comprend de deux manières. La justice commutative règle les échanges et les communications (achats-ventes) tandis que la justice distributive attribue à chacun ce qui lui revient selon son mérite (un gouvernant, supérieur et déjà le père de famille). La première ne saurait convenir à Dieu : « qui lui a donné le premier, pour devoir être payé en retour ? » (Rm 11, 35). La seconde est de Dieu : « On doit reconnaître la vraie justice de Dieu en ce qu’il attribue à tous les êtres ce qui leur convient selon la dignité de chacun, conservant la nature de chaque être à sa place et dans sa propre valeur » (Denys, le pseudo-Aéropagite in I, 21, 1).
La justice rend « à chacun son dû » (unicuique suum) : on a alors ce qui nous est ordonné. La dette (le dû) implique une dépendance à l’égard de celui à qui il est ordonné. Or l’ordre des choses a deux aspects. Une créature est ordonnée à telle autre (les parties au tout, les accidents à la substance et chaque chose à sa fin) et toutes les choses créées sont ordonnées à Dieu. Dans ces deux cas, Dieu accomplit ce qui est dû. Les desseins de la divine providence se réalisent dans les choses et manifestent sa bonté. La justice de Dieu concerne l’honneur (decentia) pour lequel il se rend à lui-même son dû. Quant à la créature, il lui est dû d’avoir ce qui lui est ordonné, comme à l’homme d’avoir des mains, et que les autres animaux lui soient soumis. Dieu accomplit la justice en donnant à chacun ce qui lui est dû selon sa nature et condition.
Cependant « Dieu n’est pas pour autant débiteur ; car lui-même n’est pas ordonné aux autres, mais les autres à lui. Aussi dit-on parfois que la justice en Dieu est le sens de ce qu’exige sa bonté (condecentia suæ bonitatis), et parfois qu’elle est la rétribution conforme aux mérites (retributio pro meritis) ». S. Anselme résume : « Lorsque tu punis les méchants, c’est justice, parce que cela convient à leurs mérites ; mais quand tu les épargnes, c’est justice, parce que cela s’accorde à ta bonté » (I, 21, 1, ad 3).
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- « Miserator et misericors Dominus » (Ps 110, 4)
Si la miséricorde est bien une qualité divine, c’est selon l’effet et pas selon la passion puisqu’il n’y en a pas en Dieu. Il ne peut s’attrister de la misère d’autrui car il est pure joie. La miséricorde est : « un cœur misérable (miserum cor), affecté de tristesse à la vue de la misère d’autrui comme s’il s’agissait de la sienne propre. Il s’ensuit qu’on s’efforce de faire cesser la misère du prochain comme on ferait pour la sienne, et tel est l’effet de la miséricorde ».
La misère désigne une déficience (defectum) quelconque d’ordre rationnel (I, 21, 4) qui s’oppose au bonheur de l’homme en rendant triste. Or elle est supprimée par la perfection de quelque bonté qui se distingue suivant plusieurs ordres. L’octroi des perfections, en lui-même relève de la bonté. Que Dieu les octroie selon leur mérite relève de la justice. Qu’il le fasse non pour son utilité mais uniquement par bonté, relève de la libéralité. Que ces perfections y suppriment toute déficience, relève de sa miséricorde (I, 21, 3).
On pourrait penser que la miséricorde s’opposerait à la justice comme un relâchement de la justice (relaxatio justitiæ). Mais Dieu ne peut se renier lui-même en n’accomplissant pas sa justice (2 Tm 2, 13). La miséricorde dépasse et forme une plénitude de justice « comme celui qui, devant cent deniers, en donne deux cents en prenant sur ce qui lui appartient (cf. Zachée rendant le quadruple : Lc 19, 8). Cet homme n’agit pas contre la justice, mais il agit, selon le cas, par libéralité ou par miséricorde. De même celui qui remet une offense commise envers lui. Car celui qui remet quelque chose le donne en quelque manière » (I, 21, 3, ad 2) : « La miséricorde dépasse le jugement » (Jc 2,13, Vulg).
Rien n’est dû à la créature humaine. Mais Dieu l’a voulue dotée d’une âme rationnelle pour qu’il puisse connaître le bonheur qui ne réside qu’en lui, bien suprême. « Dieu, dans sa surabondante bonté, dispense des biens plus que n’exige la proportion de la chose. En effet, ce qui serait suffisant pour observer l’ordre de la justice est au-dessous de ce que confère la bonté divine, laquelle dépasse toute la proportion de la créature » (I, 21, 4). Dieu est miséricordieux en toute action qu’il opère : « À celui qui peut réaliser, par la puissance qu’il met à l’œuvre en nous, infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même concevoir » (Ep 3, 20).
Certaines œuvres divines manifestent certes plus clairement que d’autres sa justice ou sa miséricorde : « Dans la damnation même des réprouvés la miséricorde apparaît, non pour une relaxe totale, mais pour une certaine atténuation, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité. De même dans la justification de l’impie, la justice apparaît, car elle remet les fautes en raison de l’amour, que cependant Dieu inspire lui-même par miséricorde. C’est ainsi qu’il est écrit de Madeleine (Lc 7, 47) : ‘Beaucoup de péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé’ » (I, 21, 4, ad 1). Certains théologiens pensent que les peines sensibles de l’enfer expriment la miséricorde divine en détournant, par les tourments physiques, de la peine principale et pire du dam privant pour eux définitivement de la vision de Dieu.
La souffrance des justes prouve « la justice et la miséricorde de Dieu car ils sont purifiés de leurs fautes légères par ces afflictions et libérés de l’attachement aux biens terrestres pour s’élever davantage jusqu’à Dieu, selon ces paroles de S. Grégoire : ‘Les maux qui nous pressent en ce monde nous contraignent d’aller vers Dieu’ » (I, 21, 4, ad 3).
- « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36) : la miséricorde en l’homme
- Une compassion face à la misère d’autrui qu’on essaie de soulager
Après la miséricorde divine, vient la miséricorde en l’homme qui est aussi : « compassion que notre coeur éprouve en face de la misère d’autrui, sentiment qui nous pousse à lui venir en aide si nous le pouvons » (S. Augustin in II-II, 30, 1). C’est lié à la tristesse d’un mal présent (II-II, 30, 1, SC) car la misère, « consiste à subir ce que l’on ne veut pas ». Trois niveaux graduels du vouloir sont contrariés par la misère due à des maux destructeurs et accablants contre notre appétit naturel (exister et vivre) ou causés par la malchance (du mal vient là où nous espérions du bien), contre notre choix délibéré ou s’opposant à la volonté tout entière (celui qui a toujours cherché le bien et à qui il n’arrive que du mal) quand l’appétit veut une chose non pour elle-même mais pour sa cause (faire le bien pour l’amour de Dieu) (II-II, 30, 1).
Même le pécheur doit susciter notre compassion, bien qu’il subisse par sa faute car la faute peut aussi être une certaine peine (II-II, 30, 1, ad 1). Imitons Notre Seigneur : « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger » (Mt 9, 36).
La miséricorde implique une certaine distance : « De même qu’il n’y a pas à proprement parler de miséricorde à l’égard de nous-même, mais de la douleur, par exemple si un mal cruel nous atteint, de même à l’égard des maux de ceux qui, tels nos enfants ou nos parents, nous sont unis au point d’être en quelque sorte quelque chose de nous-même, ce n’est pas de la miséricorde, mais de la douleur que nous éprouvons comme pour nos propres blessures » (II-II, 30, 1, ad 2).
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- « Heureux les miséricordieux car il leur sera fait miséricorde » (Mt 5, 7) ou qui est plus susceptible d’être un vrai miséricordieux ?
Comment la tristesse du mal d’autrui parvient-elle jusqu’à nous selon Aristote ? L’amour produit une union affective qui nous fait partager les peines de l’ami. « Dieu n’est miséricordieux que par amour, en tant qu’il nous aime comme étant quelque chose de lui-même » (II-II, 30, 2, ad 1). Ou bien nous éprouvons une union réelle face à un certain manque qui pourrait nous menacer aussi. « Les hommes éprouvent de la pitié pour ceux qui leur sont unis et semblables, car cela les porte à croire qu’ils pourraient être frappés de la même manière ; c’est ainsi que les vieillards et les sages, qui songent aux maux qui peuvent leur arriver, et aussi les faibles et les craintifs, sont plus miséricordieux. Au contraire, ceux qui s’estiment heureux, et assez forts pour échapper à tous les maux, le sont beaucoup moins » (II-II, 30, 2). Colériques et orgueilleux sont fermés à la compassion car ils « méprisent les autres, les jugent mauvais et donc dignes des maux dont ils sont frappés » (II-II, 30, 2, ad 3). La miséricorde étant une vertu relevant des cardinales, il existe une fausse miséricorde non réglée par la raison. Elle « entrave alors la délibération en faisant manquer à la justice » (II-II, 30, 3, ad 1).
La miséricorde est le propre des supérieurs auquel « il appartient de donner aux autres, et, qui plus est, de soulager leur indigence ». Dieu manifeste ainsi sa toute-puissance et son amour car il est le plus grand « n’ayant personne au-dessus de lui, et tous lui étant subordonnés ». Mais chez l’homme, ce n’est pas « la plus grande des vertus. Car, pour quiconque a un supérieur, il est plus grand et meilleur de s’unir à lui, que de suppléer au défaut d’un inférieur. Voilà pourquoi, chez l’homme, qui a Dieu au-dessus de lui, la charité qui l’unit à Dieu vaut mieux que la miséricorde, qui lui fait secourir le prochain. Mais parmi les vertus relatives au prochain, la miséricorde est la plus excellente, comme son acte est aussi le meilleur ; car celui qui supplée au défaut d’un autre est, sous ce rapport, supérieur et meilleur » (II-II, 30, 4).
Ainsi, si les œuvres de miséricorde sont importantes, elles restent secondaires par rapport à la primordiale activité qui consiste à rendre à Dieu ce qui lui est dû, à cultiver son amitié et intimité par la prière d’oraison. L’action passe toujours après la contemplation qui doit la nourrir ! « Toute la vie chrétienne se résume en la miséricorde, quant aux œuvres extérieures. Mais le sentiment intérieur de charité qui nous unit à Dieu l’emporte sur l’amour et la miséricorde envers le prochain » (II-II, 30, 4, ad 2). « La charité nous rend semblables à Dieu en tant que nous unissant à lui par affection. Elle est donc préférable à la miséricorde, qui nous rend semblables à lui seulement par la similitude des œuvres » (II-II, 30, 4, ad 3). Un ancien évêque auxiliaire de Paris disait un jour qu’on avait assez de catholicisme qui sente la sueur, se répandant en œuvres et confinant à l’activisme social. Nous manque un catholicisme qui sente la rose, le parfum qu’exhale Dieu et partage aux saints. S. Padre Pio, qui n’était pas confiné dans la contemplation mais créa le plus grand hôpital d’Italie du Sud, se distinguait par ses fragrances avant même de « mourir en odeur de sainteté ».
Conclusion
S. Faustine reçut du Seigneur plusieurs enseignements. Jésus demande en effet de réciter la neuvaine à la Miséricorde Divine, ou de marquer l’Heure de la Miséricorde à 15h en disant « Ô Sang et Eau, qui avez jailli du Coeur de Jésus, comme Source de Miséricorde pour nous, j’ai confiance en vous ! » ou par le chapelet de la Divine Miséricorde. On fait le signe de Croix, récite le Pater, Ave, Credo, puis à chaque dizaine, on dit sur les gros grains : « Père éternel, je vous offre le corps et le sang, l’âme et la divinité de votre Fils bien-aimé, Notre Seigneur Jésus-Christ, en réparation de nos péchés et de ceux du monde entier » et sur les petits grains : « Par sa douloureuse Passion, soyez miséricordieux pour nous et pour le monde entier ». On conclut en disant « Dieu Saint, Dieu Fort, Dieu Éternel, prends pitié de nous et du monde entier », un autre signe de croix puis un amen.
Une indulgence plénière est concédée ce dimanche (décret de la Pénitencerie Apostolique du 29 juin 2002) si l’on se confesse (8 jours avant ou après ce même jour) en se détachant de tout péché, même véniel, en communiant aujourd’hui, en récitant un Credo et un Pater aux intentions du S. Père et en faisant un acte de piété en l’honneur de la Divine Miséricorde (« ou tout au moins qui récite, en présence du Très Saint Sacrement de l’Eucharistie, publiquement exposé ou conservé dans le Tabernacle, le Notre Père et le Credo, en ajoutant une pieuse invocation au Seigneur Jésus miséricordieux (par exemple ‘Jésus miséricordieux, j’ai confiance en Vous’ »).