Dim. Pâques (20/04 - eaux bapt.)

Homélie du Dimanche de Pâques (20 avril 2025)

L’enseignement de la passion du Christ

 

Au chant de la Passion, le Christ incarné par le prêtre ne dit presque rien. Son enseignement n’est pas en parole mais en acte, d’ailleurs pas tellement un faire qu’un laisser faire, un passif, un pâtir, sa Passion (cf. fr. Emmanuel Perrier, O.P. sur la Revue Thomiste).

 

 

Le mode d’agir divin

 

Tout est dans la main du « Seigneur du ciel et de la terre » (Mt 11, 25), tout arrive parce que Dieu le veut dans sa Sagesse, en a disposé ainsi dans sa Providence. Tout a donc un sens : « livré dans l’Écriture sainte, par laquelle la volonté divine se fit connaître à nous » (III 1, 3). Cette Passion humaine nous parle mais exprime aussi ce que le Fils de Dieu veut pâtir dans sa chair. Dans le Christ, la volonté humaine épouse parfaitement le vouloir divin : « dans le Christ, l’humanité se présente à la manière d’un instrument de la divinité [qui] agit dans la vertu de l’agent principal (…). Que le Christ touchât un lépreux, c’était l’action de l’humanité, mais que ce toucher guérît de la lèpre, provenait de la vertu de la divinité » (Comp. theol. I, c. 212).

 

À la mort du Christ, le rideau du sanctuaire, dans le Temple de Jérusalem, se déchira par le milieu (Mt 27, 51). « Dans le Temple, il y avait un double voile, comme dans la Tente [de la rencontre, cf. Ex 26, 31–37], car il y avait un voile dans le Saint des Saints, et il y avait un autre voile, qui n’était pas dans le Saint. Et ces deux voiles symbolisaient une double occultation (velatio), car le voile intérieur signifiait l’occultation des mystères célestes, qui nous seront révélés. Alors en effet nous lui serons semblables, lorsque sa gloire apparaîtra [cf. 1 Jn 3, 2 ; Rm 8, 18 ; 1 Co 13, 12 ; Col 3, 4]. L’autre voile, à l’extérieur, signifiait l’occultation des mystères qui se rapportent à l’Église. C’est donc ce second voile qui fut déchiré, pas le premier, pour symboliser que des mystères ont été manifestés par la mort du Christ, ceux se rapportant à l’Église. Le premier voile en revanche n’a pas été déchiré, car les secrets célestes demeurent voilés jusqu’à maintenant. ‘aujourd’hui encore, quand les fils d’Israël lisent les livres de Moïse, un voile couvre leur cœur mais quand ils auront été convertis, le voile sera retiré (2 Co 3, 15–16)’. Par la passion [du Christ] tous les mystères, qui sont écrits dans la Loi et les prophètes, furent dévoilés (Lc 24, 27) : ‘et commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait’ ».

 

La Passion selon saint Matthieu comporte trois parties : 1) ce que le Christ subit des juifs (Mt 26, 47–75) ; 2) puis des gentils (Mt 27, 1–26), 3) sa passion et mort (Mt 27, 27–56). Les deux premières se développent à l’identique : Jésus est retenu par les juifs/gentils, puis interrogé, enfin condamné. Jésus pâtit donc des deux peuples qui mirent tous à mort le Fils de Dieu, afin que tous fussent sauvés par lui. Suivant l’ordre disposé par Dieu, « le salut est venu par les juifs » (Jn 4, 22) pour être ensuite répandu aux païens. Beaucoup de juifs furent baptisés dans la mort du Christ (Ac 2, 41 ; 4, 4) avant de prêcher aux païens. Il convenait que le Christ souffrît de la part des juifs, avant que sa passion ne fût achevée par les païens (III, 47, 4).

 

La passion et la mort forme une troisième partie très contrastée entre ce que le Christ endure (dérision des soldats et des juifs, crucifixion) et les signes grandioses qui se déploient, montrant d’un côté l’abaissement du Fils de Dieu et de l’autre les manifestations de la puissance de Dieu (éclipse, tremblement, résurrection des morts). Dans la plus complète passion se réalise la plus grande action : ce que le Christ subit dans sa chair est l’instrument visible de l’opération invisible, à la manière dont en touchant le lépreux avec son doigt, Jésus le guérissait.

 

 

Jésus face à ses coreligionnaires juifs

 Judas le traitre (Mt 26, 47–50a)

 

La première épreuve infligée au Christ dans la Passion vint d’un proche, Judas, choisi par lui. Matthieu indique l’un des douze, car bien qu’établi dans une telle dignité, il en déchut par son forfait. Personne ne doit mettre sa confiance dans son statut ou sa fonction. « Celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber » (1 Co 10, 12). « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! » (Jn 6, 70). Pourquoi l’avoir choisi, puisque Jésus savait le mal qu’il allait commettre ? Pour donner un exemple aux prélats, afin qu’ils ne desservent pas Dieu. Judas vint accompagné d’un groupe en armes. Ayant une âme féroce, il s’entourait de ses semblables car tout animal a de l’appétit pour ce qui lui ressemble. Le grand groupe montre des gens stupides qui aiment être en masse (cf. Qo 1, 15) ; eux qui venaient s’affronter à [celui qui est] la Sagesse.

 

Le signe pour livrer son Maître stupéfie : « Celui que j’embrasserai, c’est lui, emparez-vous en ». Judas fit du signe de l’amitié celui de la trahison : « Meilleures sont les blessures d’un ami, que les baisers trompeurs de l’ennemi » (Pv 27, 6). Déjà Joab avait salué Amasa en l’appelant ‘mon frère’, et allant l’embrasser, le transperça violemment de son épée (2 S 20, 1–13). À cette anti-amitié répond l’amitié vraie de Jésus. « Ami, qu’es-tu venu faire ? » s’interprète sous la tonalité d’un reproche : tu montres de l’amitié par le baiser, et tu viens pour me perdre ? « Ils parlent de paix dans leur bouche, mais dans leur cœur c’est le mal » (Ps 27, 3). Jésus voudrait que tous les hommes soient sauvés mais comme au festin des noces (Mt 22, 12) ou chez les ouvriers de la onzième heure (Mt 20, 13), tous les hommes ne font pas la volonté de Dieu comme le Christ qui nous a aimés le premier (1Jn, 4, 19). Ou bien Dieu permet ce mal à la manière dont il avait dit : « Ce que tu fais, fais-le vite » (Jn 13, 27) car « avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique » (Ps 119, 7).

 

Caïphe le grand-prêtre inique (Mt 27, 63–64)

 

L’interrogatoire de Jésus par Caïphe et le conseil suprême se passe mal. Ils avaient prévu de constituer un vrai tribunal, avec des témoins pour condamner Jésus à mort. Mais, n’en trouvant pas de témoins, ils en inventèrent de faux en catastrophe, si bien qu’ils se contredirent ! Face à la situation lui échappant, le grand prêtre sortit de son rôle de juge pour interroger directement Jésus en le piégeant. Nouvel échec ! Excédé, il l’adjura au nom de Dieu de dire s’il était le Christ, le Fils de Dieu. Adjurer, c’est forcer à jurer, prêter serment, l’ultime recours. Jésus sortit de son silence. Lorsqu’on faisait quelque chose contre lui, il se taisait. Mais aussitôt que la puissance du Père fut prise à partie, il répondit car il cherchait toujours la gloire du Père (Jn 8, 50). Il cita des autorités scripturaires attestant de son identité « je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel » associe « le Seigneur a dit à mon Seigneur, siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône » (Ps 109, 1 ; cf. Mt 22, 42–46) et « je regardais dans la vision de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un fils d’homme » (Dn 7,7).

 

Si Caïphe veut croire que la Parole de Dieu est revêtue de l’autorité divine, ce n’est pas pour y croire et lui obéir, mais pour servir ses volontés et détourner la Parole de Dieu afin de condamner le Verbe de Dieu ! Ses deux gestes pour dénoncer le prétendu blasphème montrent qu’en se levant de son siège, il avait abandonné le sacerdoce, et en déchirant ses vêtements, que ce sacerdoce allait être remplacé : « s’il y a changement de sacerdoce, il y a nécessairement aussi changement de loi » (He 7,12). Au contraire de ces vêtements sacerdotaux, la tunique du Christ ne fut pas découpée (Jn 19, 24), rappelant la destitution de Saül en faveur de David : « Alors Samuel lui dit : ‘Aujourd’hui, le Seigneur t’a arraché la royauté sur Israël et il l’a donnée à ton prochain qui vaut mieux que toi’ » (1 S 15, 28). Ainsi le sacerdoce fut-il arraché aux juifs et fut donné aux membres du Christ.

 

Caïphe rendit un jugement inique en condamnant à mort l’Auteur de la vie (1Co 15, 22) car il n’était pas un grand-prêtre légitime, ne descendant pas d’Aaron. De même que la passion du Christ était l’oblation du vrai sacrifice, de même cette maison du pontife Caïphe devait servir à la condamnation à mort, pour que le Christ, prêtre pour l’éternité, soit offert en sacrifice. Caïphe parvint à ses fins à grand prix, en bafouant la justice, mentant, usurpant l’accusateur, refusant de croire aux prophéties, en instrumentalisant l’autorité divine et corrompant l’office de grand-prêtre et le Sanhédrin. « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché, mais maintenant ils n’ont plus d’excuse pour leur péché » (Jn 15, 22) car « Ils ont dit à Dieu : Écarte-toi de nous, nous ne voulons pas connaître tes voies » (Jb 21, 14). Il ont bien dépassé la mesure de leurs pères qui avaient tué des hommes tandis qu’eux crucifiaient Dieu (III, 47, 5 et 6).

 

 

Jésus face à aux païens : la dérision des soldats (Mt 27, 27–31)

 

Bien qu’ils l’eussent accusés de nombreux forfaits, le Seigneur n’a pas pâti pour un autre motif que celui de s’être dit ‘roi’. C’est pourquoi, voulant s’en moquer, ils lui imposèrent les insignes royaux. Le Christ est triplement roi dans sa passion en étant vraiment homme, en versant son sang à cause de nos péchés. Cette chlamyde pourpre symbolise la chair du Christ ensanglantée : ‘c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé’ (Is 53, 5). Les martyrs lavent leurs robes dans le sang de l’Agneau (Ap 7, 14).

 

Ensuite le Christ est roi dans sa passion en subissant l’affliction intérieure, la tristesse de l’âme provenant de l’offense à Dieu, à cause de tous les péchés depuis Adam. Comme sa Passion vaut à l’égard de tous, il règne sur tous. La couronne d’épines est sa couronne de gloire, malgré la volonté de l’outrager (Is 22, 18 et 28, 5). Ces épines symbolisent les aiguillons des pécheurs, par lesquelles son âme fut blessée. La malédiction d’Adam : « le sol te donnera épines et chardons » (Gn 3, 18) était maintenant rompue.

 

Enfin, le Christ règne dans sa passion à l’égard des puissants de ce monde qui, soumis à Satan, s’enorgueillissent de leur force, s’égarent dans les erreurs, oppriment violemment. Le sceptre de roseau symbolise le pouvoir du démon arraché de ses mains par le Christ : « voici que tu as mis ta confiance dans le soutien d’un roseau brisé, l’Égypte » (2 R 18, 21). Les mal-croyants (païens, hérétiques) sont emportés à tout vent de doctrine comme le roseau (Ps 2, 18), qui sert aussi à écrire (calamus, Ps 44, 2) ou à frapper à mort. Ainsi le Christ inscrit-il ses fidèles au nombre des élus, tandis que les persécuteurs seront mis à mort. Le Christ aux outrages est un exemple pour tous ceux qui souffrent l’humiliation en témoignage de leur foi en restant fidèles dans le martyre.

 

Date de dernière mise à jour : 20/04/2025