Vigile pascale (19/04 - enseigt. Passion)

Homélie de la vigile de Pâques (samedi saint 19 avril 2025)

 

La bénédiction des eaux baptismales

 

La vigile de Pâques se décompose en 4 parties : le Christ lumière (cierge pascal), le Christ Verbe ou parole de Dieu (lectures de l’Ancien Testament), le Christ source d’eau vive (bénédiction des eaux baptismales) et le Christ pain vivant (le sacrifice de la messe).

 

 

La matière du sacrement : les eaux

Les eaux pour renaître d’en-haut

 

Les eaux sont bénies dans le chœur puis transférées dans les fonts baptismaux, du latin ‘fons, fontis’ : la source, la fontaine et au sens figuré la cause, l’origine. Cette préparation est du côté de l’épître (à gauche vu du tabernacle) pour préparer l’Évangile annoncé tourné vers le Nord d’où venaient les païens barbares (Germains, Normands, Slaves ou Hongrois). Aujourd’hui l’inverse, on pourrait l’inverser !

 

La prière initiale évoque la recréation de peuples nouveaux par les eaux baptismales, comme une nouvelle naissance. Cette forme ronde emplie d’eau (liquide amniotique) est, spirituellement parlant, l’utérus de l’Église fécondée par son Époux le Christ (le cierge qui y est trempé). Ses nouveaux enfants reçoivent l’adoption spirituelle comme fils de Dieu, ce qui répond à la question de Nicodème : « ‘Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ?’. Jésus répondit : ‘Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut’ » (Jn 3, 4-7).

 

Les nouveaux chrétiens sont appelés à rejoindre la cohorte de tous les saints dont la litanie entrecoupe cette bénédiction. Cet appel à la sainteté est universel, quelles que soient les catégories liturgiques : évêques, prêtres, religieux, laïcs, apôtres, martyrs, confesseurs, vierges, éducateurs ou bienfaiteurs. Chacun doit correspondre à l’appel de Dieu sur lui.

 

Consécration des eaux pour l’efficacité sacramentelle

 

Étrangement suit une préface, comme s’il s’agissait de la liturgie eucharistique (comme pour l’Exsultet). Si les substances du pain et du vin ne sont pas transubstantiées en corps et sang du Christ, une consécration s’opère bien, soit la mise à part pour Dieu en prélevant du lot des choses de ce monde pour opérer une transformation. La chair de mort vouée à l’enfer renaît de l’esprit pour le royaume de Dieu, pour le Ciel.

 

Le prêtre, même indigne ministre de si grands mystères, administre validement les sacrements en vertu de la puissance même de Dieu : « les sacrements agissent ex opere operato [littéralement : ‘par le fait même que l’action est accomplie’], c’est-à-dire en vertu de l’œuvre salvifique du Christ, accomplie une fois pour toutes. Il s’en suit que ‘le sacrement n’est pas réalisé par la justice de l’homme qui le donne ou le reçoit, mais par la puissance de Dieu’ (ST, III, 68, 8). Dès lors qu’un sacrement est célébré conformément à l’intention de l’Église, la puissance du Christ et de son Esprit agit en lui et par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre. Cependant, les fruits des sacrements dépendent aussi des dispositions de celui qui les reçoit » (CEC 1128).

 

 

La fécondation par le Christ : l’Esprit qui donne la vie éternelle

Les antétypes de l’ancienne Alliance

 

L’association entre les eaux et l’Esprit Saint remonte aux premières lignes de l’Écriture (1ère lecture). « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux » (Gn 1, 1-2). Sa vertu régénératrice transparaît encore au Déluge (Gn 7, 1 – 8, 22) où seuls les justes sont sauvés avec Noé, soit 8 personnes en tout (1 P 3, 20-21). On pourrait ajouter les eaux de la Mer Rouge s’écartant pour sauver les Juifs mais se refermant pour tuer les Égyptiens (2e lecture : Ex 14, 24 – 15, 1). Le prêtre divise les eaux en faisant en son sein le signe de la croix, « scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes » (1 Co 1, 23). Cette croix sauve les hommes acceptant de s’en signer pour avoir la vie éternelle. La croix transforme les eaux de la mort en eaux de la vie. L’eau devient alors féconde pour sanctifier les fidèles. Exorcisée, elle perd tout pouvoir de mort comme l’eau bénite, elle, mêlée à du gros sel. Elle devient l’instrument de Dieu qui l’a séparée des déserts.

 

Les eaux sortent du Paradis pour y reconduire, tout comme Jésus avec son mouvement d’exitus-reditus. En aspergeant les quatre points cardinaux, le prêtre évoque le paradis terrestre de l’Éden : « un fleuve sortait d’Éden pour irriguer le jardin ; puis il se divisait en quatre bras » (Gn 2, 10 ; 11- 14) car les eaux douces abreuvent les hommes. Au désert de Shour, à peine libéré du joug égyptien célébré par le cantique de Myriam (« il a jeté dans la mer cheval et cavalier ! », Ex 15, 22-25), les Hébreux récriminèrent contre Dieu car ils ne pouvaient boire les eaux amères de Mara : « alors Moïse cria vers le Seigneur, et le Seigneur lui montra un morceau de bois. Moïse le jeta dans l’eau, et l’eau devint douce ». Ce bois anticipe la croix qui rend les eaux conforme aux besoins de la nature humaine en les sauvant de la déshydratation. Au désert de Sîn, à Cadès, aux eaux de Mériba, ils défièrent Dieu (Nb 20, 1-13). Myriam y mourut et ses frères Moïse et Aaron furent punis en ne pouvant pénétrer la Terre de la promesse. Ils n’avaient pas bien obéi à Dieu : ils avaient fait jaillir l’eau du rocher en le frappant du bâton au lieu de se contenter de lui parler, le bâton à la main comme une crosse épiscopale. Le rocher était le Christ dont la lance de saint Longin frappa le côté du Christ pour en faire sortir du sang et de l’eau (Jn 19, 33-35), source de tous les sacrements. Si du côté d’Adam sortit Ève, la mère de tous les vivants (qui pourtant moururent bien vite), du côté du Christ sortit l’Église, mère de tous les vivants en esprit qui tient son origine des fonts baptismaux.

 

La conformation au Christ dans la nouvelle Alliance par l’Esprit

 

Le rôle de l’eau est rappelé dans la vie de Jésus : les noces de Cana (Jn 2, 1-11) ; la marche sur le lac de Tibériade (Jn 6, 16-21 ; Mc 6, 47-51). En Mt 14, 22-33, Jésus est rejoint par Pierre, démarche de foi que doit faire tout disciple. Le baptême de Jésus (Mt 3, 13-17 ; Mc 1, 9-11 ; Lc 3, 21-22) servit à sanctifier les eaux et non pas lui, le sanctificateur ! Pour servir à accomplir le commandement du Seigneur : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19).

 

Comme au baptême, le prêtre pratique la triple exsufflation. Outre le souffle divin (hébreu ruah) planant sur les eaux, l’eau est fécondée par l’humanité du Christ en plongeant  le cierge pascal progressivement trois fois comme trois fois le prêtre fait à chaque personne divine le prêtre fait le signe de la croix avec l’eau sur la tête du baptisé. Jésus, envoyé par le Père, est venu sur la Terre par la puissance de l’Esprit-Saint à l’Annonciation et le communique aux apôtres en soufflant sur eux : « Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ » (Jn 20, 22) pour le leur transmettre. Ainsi lavé dans les eaux du baptême, l’homme pourra être pleinement à l’image et à la ressemblance du Fils de Dieu, déformée par le péché originel.

 

Le prêtre souffle la forme de la lettre grecque psi Ψ pour psychè. Généralement, ruah se traduit par pneuma tandis que nephesh traduit psychè par âme vivante, comme les distingue saint Paul : « Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie » (1 Co 15, 45 : οὕτω καὶ γέγραπται· ἐγένετο ὁ πρῶτος ἄνθρωπος Ἀδὰμ εἰς ψυχὴν ζῶσαν· ὁ ἔσχατος Ἀδὰμ εἰς πνεῦμα ζωοποιοῦν). L’Église donne l’Esprit dans l’âme du baptisé, elle-même (psychè) insufflée par Dieu dans ses narines chez Adam (Gn 2, 7). Les parents ne fournissent que la matière corporelle, réceptacle de cette âme, principe de vie car forme du corps. Sa fine pointe est le lieu du dialogue avec Dieu par l’Esprit-Saint.

 

Les saintes huiles diffusent la bonne odeur de l’Esprit

 

Les fidèles sont aspergés par cette eau après la rénovation des promesses baptismales. Elle peut servir pour les bénédictions des maisons. Elle agit comme l’eau lustrale de la dédicace d’une église ou en réparation d’une profanation, qui est alors mélangée aux sel, vin et cendre. Suit le mélange des huiles venant de la messe chrismale (normalement le jeudi saint matin). L’huile des infirmes et l’huile des catéchumènes sont bénites, le saint-chrême, mélangé au baume de Judée (parfum) est consacré. À chaque baptême, sur la poitrine et entre les épaules est faite l’onction de l’huile des catéchumènes et le sommet de sa tête est oint du saint-chrême. Ces huiles donnent la force du salut. Le chrême imprime quant à lui l’empreinte indélébile du caractère de ce sacrement, comme furent épargner les élus : « (Le Seigneur) lui dit : ‘Passe à travers la ville, à travers Jérusalem, et marque d’une croix au front ceux qui gémissent et qui se lamentent sur toutes les abominations qu’on y commet’ » (Ez 9, 4). Cette lettre tav (ת) provient du phénicien X et a donné en grec le T (tau) évoque tant la porte dont les linteaux étaient aspergés du sang de l’agneau (Ex 12, 13.22) épargné par l’ange exterminateur en Égypte. Mais aussi au jour du Jugement : « ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu » (Ap 7, 3 ; cf. Ap 13, 16 et 14, 1). Ainsi Dieu est-il venu nous sauver : il est ressuscité, Alléluia !

Date de dernière mise à jour : 20/04/2025