Homélie du dimanche dans l’octave de la Nativité (31 décembre 2023)
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Lecture thomiste de l’épître (Ga 4, 1-7)
Après avoir établi l’imperfection de la loi, l’apôtre fait ressortir la dignité de la grâce.
- Une comparaison
- Suivant la loi humaine…
Saint Paul établit une comparaison en quatre points.
1) L’héritier rappelle la dignité du peuple juif, descendant d’Abraham par Isaac qui fait d’eux un peuple d’ascendance libre et non esclave comme Agar (v. 24) dans l’Ancienne Alliance : « il choisit pour nous l’héritage, fierté de Jacob, son bien-aimé » (Ps 46, 5) et Jésus-Christ dans la Nouvelle Alliance : « son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses » (Hé 1, 2).
2) Son jeune âge évoque tant la minorité des juifs placés sous le joug de la loi (Am 7, 5) que la petitesse du Christ par l’incarnation (Is 9, 6). Cette infériorité d’âge, de maturité renvoie à l’état sous la loi mais parfois aussi à notre état d’ici-bas (1 Co 13, 11) car ces deux états ont en commun l’imperfection de la connaissance comme dans un miroir et en énigmes, comparativement à l’état de la grâce et de la vérité donné par Jésus-Christ.
3) Le petit enfant est donc dépendant, se rapprochant du serviteur assujetti à un maître. Il n’a pas la plénitude de sa volonté libre, mais au contraire est tenu dans une sorte de contrainte. Dans le peuple juif serviteur (Is 44, 1), certains étaient dans une crainte servile, observant la loi pour éviter le châtiment et désirant simplement les biens terrestres promis par la loi : « si vous consentez à m’obéir, les bonnes choses du pays, vous les mangerez » (Is 1, 19). Mais d’autres, déjà héritiers, s’élevaient à la crainte filiale en mettant leur vraie fin dans les biens spirituels dont les biens matériels n’étaient que la figure. De même, Jésus-Christ en tant qu’homme ne paraissait différer en rien du serviteur : « mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes » (Ph 2, 7), soumis à la loi et à ses parents par piété (Lc 2, 51).
4) Mais tout ce dispositif est transitoire, ne valant que pour un temps défini par le Père pour terminer le tutorat qui revient pour le peuple juif, à reconnaître vraiment qui est son maître (Is 1, 3) et pour le Christ, de pouvoir opérer des miracles une fois l’heure venue (Jn 2, 2).
La loi fut un enseignement élémentaire de la science divine, conduisant les juifs jusqu’à la foi et justice, comme un pédagogue, cet esclave chargé de l’éducation des enfants du maître : « la loi, comme un pédagogue, nous a menés jusqu’au Christ pour que nous obtenions de la foi la justification » (Ga 3, 24). Mais même ces éléments matériels et sensibles de l’observance judaïque comme les jours lunaires, néoménies, sabbat différaient des cultes païens. Les juifs servaient et honoraient le vrai Dieu tandis que les autres s’assujettissaient au monde : « ils ont vénéré la création et lui ont rendu un culte plutôt qu’à son Créateur » (Rm 1, 25). La logique sacramentelle fait elle aussi passer des éléments sensibles aux réalités spirituelles.
- … adaptée à Jésus
Saint Paul reprit sa comparaison adaptée à Jésus-Christ en quatre points mais en commençant par le dernier, 1) la détermination du temps. Jésus-Christ passa par les humiliations en même temps que les fidèles étaient élevés en dignité. « Le temps étant accompli » (Lc 2, 6) implique une plénitude, celle des grâces à cause du plein accomplissement des figures de l’ancienne loi non pas détruite mais parachevée (Mt 5, 17) par la réalisation de toutes les promesses, mais sur un mode suréminent et surprenant. Rien à voir avec une nécessité fatale, mais les décrets divins sont libres. Comme celui qui devait venir était grand, il était nécessaire que les hommes fussent disposés à son avènement par de nombreux signes (Hé 1, 1). Venant comme médecin, il fallait que les hommes fussent convaincus qu’ils étaient malades et impuissants par la nature comme par la loi écrite à se sauver, d’où la double préparation.
2) Le Christ revêt seul la dignité d’héritier (v. 4) : il est le Fils propre et naturel, et pas adoptif (Jn 3, 16). Il fut envoyé sur Terre en s’unissant la nature humaine (Jn 3, 13) mais sans être séparé de sa divinité car il ne cessa jamais d’être dans le sein de son Père (Jn 1, 18). Il est venu chez les siens dans sa chair mortelle, sous un mode nouveau, mais il était de toujours présent au monde comme Dieu. Semblablement, être consubstantiel à notre nature humaine ne l’a pas fait se dépouiller de sa propre majesté pour autant. Elle était juste cachée mais révélée par les miracles ou la Transfiguration. Dieu envoya son Fils guérir les dérèglements de la concupiscence et éclairer les ténèbres de l’ignorance, donc les sauver (Is 19, 20) de la puissance du démon, en l’aidant contre sa faiblesse, ses péchés et la fatalité de la mort éternelle (Os 13, 14) : « car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17).
3) Au point de vue de la faiblesse de l’homme, Dieu s’est fait petit, non en se dépouillant de sa grandeur, mais en s’unissant la petitesse. « Formé d’une femme » induisit à bien des erreurs. Photin pensait que Jésus ne serait qu’un pur homme, n’existant pas avant sa naissance humaine alors qu’il est éternellement engendré par le Père et naquit seulement « selon la chair » de la descendance de David (Rm 1, 3). L’union de l’hypostase ou personne divine du Fils avec notre chair n’exprime qu’une relation mais pas un changement. S’agissant des attributs divins, comme dans « d’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge » (Ps 89, 1) nous exprimons aussi une relation. Mais nous ne disons pas des qualités absolues comme ‘Dieu s’est fait bon’ ou ‘sage’. L’autre écueil est Ébion qui prétendait que Jésus serait le fils de Joseph et Marie suivant la nature comme si ‘femme’ supposait la relation sexuelle. Or Adam appelle ainsi Ève bien qu’elle lui fût donnée vierge (Gn 3, 12). L’hérétique Valentin pensait que Jésus aurait apporté son corps du ciel, passant à travers la Vierge Marie comme par un conduit. Or « formé d’une femme » avec la préposition ‘de’ indique la cause matérielle. Enfin Nestorius prétendait que la Vierge n’était pas mère du Fils de Dieu, mais seulement du Fils de l’homme (christotokos et pas théotokos). Mais il faut distinguer le principe matériel (‘factum ex muliere’ dit la Vulgate et non pas né même si le γενόμενον ἐκ γυναικός est autant ‘produit’ que ‘né’) du principe actif qu’est la vertu de l’Esprit Saint qui le forma. Il a été formé plutôt qu’il n’est né.
4) Quant à la dépendance, il était soumis « à la loi [de Moïse] ». Mais, puisque Jésus est formé par l’Esprit Saint dans sa nature humaine, comment le concilier avec « si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la loi » (Ga 5, 18) ? La préposition ‘à’ marque seulement l’observance de la loi en se faisant circoncire, présenter au temple et qu’il n’est pas venu la détruire mais l’accomplir. Mais si l’on comprenait une oppression de la lettre de la loi, elle ne s’appliquerait ni à Jésus ni à tout homme vivant de son esprit.
- Et ses effets
- Effets pour nous
Saint Paul au v. 5 étudie le double effet. Jésus a voulu pendant ce temps déterminé être dépendant, afin que les héritiers fussent grands et libres. La délivrance opposée à la dépendance est exprimé par le rachat de ceux placés sous la malédiction et le joug de la loi. Et il nous a exaltés en nous adoptant comme enfants de Dieu, en recevant l’Esprit de Jésus-Christ, et en lui devenant conformes : « vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous » (Rm 8, 9). Nous ne pouvons devenir fils adoptifs qu’en étant conformés au fils naturel : « ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29).
Cette adoption n’est pas réservée aux juifs mais ouverte aux gentils ou païens (v. 6) qui peuvent crier « Abba, Père ! » car c’est la foi qui le permet et non la naissance dans un peuple donné : « mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom » (Jn 1, 12). C’est là la mission de l’Esprit du Fils de Dieu dans vos cœurs. Si Jésus-Christ, pendant sa vie mortelle, annonça le royaume de Dieu aux Juifs principalement, (Rm 15, 8) car il était de leur race, les Galates et tous les païens étaient admis par l’Esprit. Si bien que saint Pierre repris par les Juifs d’être allé prêcher aux Gentils, se justifia par l’Esprit Saint qui « me dit d’aller avec eux sans hésiter » (Ac 11, 12) car il ne faut pas contrarier l’Esprit de Dieu (Ac 7, 51 ; 1 Th 5, 19).
- Tous participent par la foi de cette même dignité
Les saintes Écritures mentionnent le Saint-Esprit envoyé par le Père (Jn 14, 26) ou par le Fils (Jn 15, 26), parce qu’il est commun au deux, procédant de l’un et de l’autre, donc donné par tous deux. La mention de l’un suit celle de l’autre dans ces occurrences (‘en mon nom’, ‘de la part du Père’) et ici, « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils » (v. 6). La réception du Saint-Esprit est intérieure, dans nos cœurs pour désigner l’âme, en ses facultés supérieures d’intelligence et de volonté particulièrement, au contraire de la génération charnelle où le principe de vie est corporel. Cette inhabitation du Saint-Esprit est le gage et les arrhes de la béatitude déjà commencée. L’Esprit fait crier ‘Père’ non par l’éclat de la voix, mais par la grandeur et ferveur de l’affection. Enflammés par l’Esprit, nous désirons posséder Dieu, quelque langue qu’on utilise pour nous adresser à lui, latin des païens ou hébreu/araméen des juifs.
L’effet est la délivrance de crainte servile pour une crainte filiale. « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15) et même « enfants de Dieu » (Rm 8, 16). Le serviteur méchant n’obéit que par crainte des coups. Le serviteur fidèle, se sait inutile (Lc 17, 10) et n’a fait que son devoir qui est d’aimer son Père. Il obéit par amour, librement comme un fils. Le second effet est d’obtenir tout bien (v. 7) comme héritier de Dieu (Rm 8, 17). L’héritage n’est pas autre chose que Dieu : « Le Seigneur, mon partage et ma coupe (…). La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (Ps 15, 5-6). Il n’est pas d’autre récompense que Dieu lui-même (cf. Gn 15, 1). Cette œuvre de Dieu se fait par sa justice, accomplissant sa promesse envers les juifs et par miséricorde envers le païens (Rm 15, 8-9). Et parce que c’est lui qui fait tout finalement par sa grâce : « dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous » (Is 26, 12).