Jour de Noël (25/12 - lect. B. XVI)

Homélie de la messe de Noël (25 décembre 2023)

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Méditation avec Benoît XVI sur la Nativité de NSJC

La fête de Noël est incomparable à toute autre. Le Fils de Dieu  se fait petit enfant. Le Verbe de Dieu se fait muet (infans étymologiquement) si ce n’est par vagissement. Dieu s’incarne dans le temps, l’espace.

  1. Cadre historique et théologique
    1. Le règne de l’empereur Auguste

L’évangile ne nous place pas dans le ‘jadis’ du mythe, mais à une époque exactement datable et dans un lieu précis. L’universel et le concret se touchent mutuellement. Si la prophétie de Michée (5, 1-3) se réalise à Bethléem, l’élection faite par Dieu jusqu’alors limitée à Israël, s’étend désormais à l’histoire universelle. « Parut un édit de l’empereur Auguste » (Lc 2, 1) n’est pas anodin. Pour la première fois, un gouvernement embrasse toute la terre habitée où il fit régner la paix, imposant une langue universelle pour s’entendre. C’est la plénitude des temps. Auguste, était né le 23 septembre 63 av. JC, et régna comme premier empereur romain de 27 av. JC. à 14 ap. JC. Pour marquer qu’il était natus ad pacem, né pour la paix,  à son anniversaire, équinoxe d’automne, l’ombre d’une méridienne avançait vers le centre de son l’Ara Pacis Augusti autel près du Tibre.

Suivant l’épigraphe de Priène (9 av. JC), il voulait être considéré sous une dimension providentielle, quasi-messianique en tant que prince de la paix et sauveur ! Étymologiquement le titre ‘auguste’ signifie quelqu’un de si grand (cf. « augmenter ») qu’il n’est plus humain, qu’il faut adorer (sebastos) comme un dieu. Cependant, là où l’homme politique revendique des qualités divines, elle ment. Cet âge d’or de sécurité juridique, de paix et de bien-être ne dura que peu. Mais si Auguste appartient au passé, Jésus Christ au contraire est le présent et avenir (He 13, 8). La paix du Christ est une paix que le monde ne peut donner (Jn 14, 27).

    1. Le recensement

L’édit « ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie » (Lc 2, 1-2). Voyons comment procède la Divine Providence. Ce qui paraît un hasard est en réalité mystérieusement voulu par Dieu : cet édit fit que la promesse s’accomplît. Le Messie naquit bien à Bethléem et non pas Nazareth. La portée d’un acte ne se réduit pas à l’intentionnalité de celui qui le pose ! Dieu voit au-delà et en plus grand ! Que nous puissions poser un acte de foi et d’abandon à la Divine Providence même en ces temps troublés.

Ce recensement avait une finalité fiscale en établissant un rôle pour prélever un impôt adapté aux richesses de chacun. Si celui de David, à but militaire, n’était pas agréé par Dieu, comptant trop sur ses propres forces (2 Sam 24 ; 1 Chron 21), ici, la volonté de Dieu est qu’il se fasse par toute la terre habitée ou oikouménè (πᾶσαν τὴν οἰκουμένην). Le recensement se passa en deux étapes. Peut-être dès la nomination de Quirinius en -9 av. JC, il consistait à inscrire les propriétés terriennes et immobilières. Ensuite, vers 6 ap. JC selon Flavius Josèphe, l’imposition vint, si irritante qu’elle suscita la révolte de Judas le Galiléen (Ac 5, 37). Joseph, descendant de David, possédait sans doute quelque bien à Bethléem, raison pour laquelle il s’y fit enregistrer avec sa famille.

  1. La naissance de Jésus
    1. Né à l’écart du monde

« Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Lc 2, 7) rappelle l’évangile du jour : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1, 11). Le Sauveur du monde en vue duquel tout fut créé (Col 1, 16) n’a pas de place. « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8, 20). Celui qui fut crucifié hors de la porte de la ville (He 13, 12) naquit aussi en dehors de la ville. Dieu homme renverse les valeurs. Insignifiant et sans pouvoir (une grotte pour étable), il se révèle comme le vraiment Puissant, dont tout dépend. Ses disciples doivent sortir du courant dominant de la pensée de ce monde pour entrer dans la lumière de la Vérité.

    1. La mangeoire

Le petit enfant étroitement emmaillotté dans les langes annonce son cadavre dans le saint Suaire. Il est immolé depuis le commencement. Une mangeoire est normalement pour les animaux. Or ici, la mangeoire est comme l’autel, table de Dieu, à laquelle l’homme est invité pour recevoir le pain de Dieu. Le Christ se fait nourriture céleste des hommes, pain vivant descendu du Ciel (Jn 6, 51) qui se trouve dans une mangeoire. Autant dire que si l’homme ne le consomme pas, il est assimilable aux animaux car Jésus est la vraie nourriture dont l’homme a besoin pour être pleinement homme. « L'homme comblé qui n'est pas clairvoyant ressemble au bétail qu'on abat » (Ps 48, 21). Ironie de Dieu qui nous renvoie à l’épisode du veau d’or puisque les Hébreux avaient réduit Dieu à la ressemblance d’un bœuf mangeant du foin (Ps 105, 20, Vulg.) ?

L’âne et le bœuf (Is 1, 3) évoquent l’universalité de l’appel. Juifs et Gentils sont appelés à connaître enfin Dieu car l’heure est arrivée. Resteront-ils des hommes sans intelligence, des brutes comme les bêtes ? « Au milieu des deux êtres vivants (…) tu seras connu ; quand sera connu le temps, tu apparaîtras » (Ha 3, 2, version LXX). Ce verset fut référé aux deux chérubins sur le couvercle de l’arche d’alliance (propitiatoire). Ils indiquent et tout à la fois cachent la mystérieuse présence de Dieu. La mangeoire deviendrait d’une certaine façon l’arche d’alliance. Sauront-ils reconnaître leur Dieu ?

    1. Le premier-né

Premier-né n’indique pas une numérotation qui se poursuit mais une qualité théologique depuis Moïse : « Consacre-moi tous les premiers-nés parmi les fils d’Israël, car les premiers-nés des hommes et les premiers-nés du bétail m’appartiennent » (Ex 13, 2). La présentation au Temple est lié à ce rite du rachat. Saint Paul mit en avant Jésus comme premier-né en deux étapes. « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29) évoque la résurrection. Le Christ est alors le premier-né de cette création nouvelle. Au-delà de sa dignité, Jésus inaugura une nouvelle humanité.

« Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre (…) tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté » (Col 1, 15-18) fait évoluer le concept de primogéniture qui acquiert une dimension cosmique. Le Fils incarné est la première idée de Dieu et précède toute création, ordonnée à lui et à partir de lui. Jésus est ainsi principe et fin de la nouvelle création qui a commencé avec la Résurrection.

    1. Les bergers

Les bergers étaient non seulement extérieurement mais aussi intérieurement plus près de l’événement que les citadins qui dormaient tranquillement. Intérieurement, ils n’étaient pas loin du Dieu qui se fait petit enfant. Ils faisaient partie des pauvres, des âmes simples, que Jésus bénit, surtout parce que l’accès au mystère de Dieu leur est réservé (Lc 10, 21). C’est à Bethléem que Samuel vint oindre David, oublié par son père Jessé alors qu’il passait le troupeau (1 Sam 16, 1-13 ; 2 Sam 5, 2). David fut constitué pasteur d’Israël. Son descendant Jésus naquit parmi les bergers. Il est le grand berger des hommes (1 P 2, 25 ; He 13, 20).

Les anges annoncent aux bergers cette joie chantée dans le Gloria in excelsis Deo. La traduction se discute : « hommes de bonne volonté », « hommes qu’il aime », « hommes de sa bienveillance ». En réalité, la bienveillance ou complaisance est Jésus comme on le voit à Son baptême (Lc 3, 22). Totalement tourné vers le Père, le Christ vit en regardant vers lui et en communion de volonté avec lui. Les personnes de la bienveillance imitent l’attitude du Fils auquel elles se conforment au Christ. Évitons l’interprétation luthérienne ou janséniste sur la prédestination (Dieu n’aime que certains) ou moralisante, quasi pélagienne (si j’agis bien, Dieu va m’aimer) et tenir l’entre-deux. Nous ne pourrions aimer si d’abord nous n’étions aimés de Dieu. La grâce de Dieu nous précède toujours, nous embrasse et nous soutient. Mais il reste vrai aussi que l’homme est appelé à participer à cet amour, il n’est pas un simple instrument, privé de volonté propre. Donc mieux vaut traduire : « hommes de LA bienveillance ».

Conclusion

Les bergers se hâtèrent (Lc 2, 16), comme la Vierge Marie pour aller chez Élisabeth (Lc 1, 39). Quels sont les Chrétiens qui se hâtent aujourd’hui, quand il s’agit des affaires de Dieu ? Le signe de reconnaissance donné aux bergers n’est pas un ‘signe’ dans le sens où la gloire de Dieu se sera rendue évidente. Le signe est en même temps aussi un non-signe : la pauvreté de Dieu est son vrai signe. Saurons-nous le reconnaître dans ce petit enfant, dans cette hostie ?

Date de dernière mise à jour : 25/12/2023