Nuit de Noël (24/12 - symb. Nativité)

Homélie de Noël, messe de minuit (24 décembre 2023)

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Symboles historiques de Noël

Méditons en cette nuit de Noël les symboles traditionnels de cette solennité en nous attardant sur trois éléments tirés de l’Évangile : César Auguste, le recensement et Bethlehem.

  1. César Auguste
    1. La paix romaine et le vrai « Prince de la Paix »

Jésus voulut naître au temps de « César Auguste » (Lc 2, 1) qui régna de 27 av. JC à 14 ap. JC. Le premier à porter le titre impérial était né en -63, année de la conquête de la Palestine par les Romains par Pompée. Auguste symbolise l’apogée de la civilisation romaine, avec presque son extension maximale (exceptées [Grande-] Bretagne et Dacie [Roumanie] ajoutées plus tard) à laquelle il apporta la paix dans tout le bassin méditerranéen : la ‘pax romana’.

Si le véritable « Prince de la Paix » (Is 9, 6) est Jésus mais il voulut naître dans ce contexte relativement favorable mais ô combien fragile car de création humaine ! « À cette époque où l’univers entier vivait sous un seul prince, une paix parfaite régnait sur le monde. Et c’est pourquoi il convenait que le Christ naquît à cette époque, lui qui est ‘notre paix, faisant de deux peuples un seul’ (Ep 2,14). Aussi, saint Jérôme dit-il : ‘Déroulons l’histoire ancienne : nous y trouvons que la discorde a régné dans le monde entier jusqu’à la vingt-huitième année de César Auguste ; mais à la naissance du Seigneur, toutes les guerres cessèrent’, selon cette prédiction d’Isaïe (2, 4) : ‘Aucun peuple ne lèvera l’épée contre un autre’ » (III, 35, 8, ad 1).

Jésus naquît sous Hérode, client d’Auguste mais roi étranger (iduméen) alors que les promesses ne furent faites qu’aux Juifs (Rm 9, 4) car : « tant que la nation juive fut régie par des rois juifs, même pécheurs, les prophètes lui furent envoyés pour lui porter remède. Mais, lorsque la loi de Dieu fut sous le pouvoir d’un roi inique, le Christ naquit ; car le mal souverain et implacable appelait un médecin d’autant plus habile » (s. Jean Chrysostome III, 35, 8, ad 2).

    1. Apothéose versus kénose

Octave prit le surnom d’Auguste car il avait agrandi l’empire (« augere » > augmenter) par les conquêtes stabilisées et unifiées. Empereur ou imperator était à l’origine un titre militaire décerné par ses troupes au général victorieux. Cet apogée de l’empire romain était un signe divin : « il convenait que sa naissance eût lieu au temps où un seul prince dominait le monde, puisque lui-même venait ‘rassembler les siens dans l’unité, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur’ (Jn 10, 16) » (III, 35, 8, ad 1).

Mais la logique impériale de l’agrandissement impose toujours plus de conquêtes et de pouvoir. Elle s’oppose à la logique divine qui consiste dans l’abaissement ou kénose : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes » (Ph 2, 5-7). Le contraste ne saurait être plus grand. Depuis Babel, l’homme veut s’élever au rang divin par sa propre force ! Comme le ‘divin Jules’ César, son grand-oncle et père adoptif, Auguste fut ‘divinisé’ par une cérémonie d’apothéose. L’un veut monter, l’autre descend. Toute la dramatique humaine se joue là : ils se croisent sans parfois se rencontrer.

  1. Le recensement
    1. Un symbole de la présomption humaine

Auguste ordonna un recensement (Lc 2, 1) de tous les habitants de l’Empire, comme le roi David le fit dans une optique militaire : « La colère du Seigneur s’enflamma de nouveau contre Israël. Le Seigneur incita David à nuire au peuple. Il lui dit : ‘Va, dénombre Israël et Juda !’ » (2 Sam 24, 1-2 ; 10. Pour 1 Chron 21, 1, Satan en fut l’initiateur). David pèche car l’homme tend toujours à compter sur ses propres forces pour se battre (2 Sam 24, 9). Or, la force de l’homme n’est pas en lui mais en Dieu qui donne toute victoire, sur soi-même comme sur les autres.

Au contraire, Dieu préfère les petits nombres car l’humilité de l’homme ne fait pas ombrage à la main de Dieu comme avec Gédéon : « Le peuple qui est avec toi est trop nombreux pour que je livre Madian entre ses mains. Israël pourrait s’en glorifier et dire : ‘C’est ma main qui m’a sauvé’ » (Juges 7, 2). David lui-même l’avait pourtant expérimenté contre Goliath : « David lui répondit : ‘Tu viens contre moi avec épée, lance et javelot, mais moi, je viens contre toi avec le nom du Seigneur des armées, le Dieu des armées [Deus Sábaoth] d’Israël que tu as défié’ » (1 Sam 17, 45-47).

    1. Compter ses soldats ou son argent plutôt que s’en remettre à Dieu

Auguste ordonna ce recensement dans un but économique. Chacun payait un denier qu’il mettait sur sa tête en se déclarant sujet de l’empereur. Le « rendez à César ce qui est à César » montre que l’argent symbolise la souveraineté de César (Lc 20, 24). Jésus l’accepte : « Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils les taxes ou l’impôt ? » (Mt 17, 24-27). La famille de Jésus n’avait alors que peu de moyen et était arrivée trop tard pour obtenir une place dans l’hôtellerie. « Il cherchait une place à l’hôtellerie pour nous préparer de nombreuses demeures dans la maison de son Père (Jn 14, 2) » selon Bède le Vénérable (III, 35, 7, ad 2).

  1. Bethlehem
    1. La cité de David

Bethlehem/Ephrata est la cité du roi David (1 Sam 17, 12). Le Messie accomplissant toutes les Écritures, descendait de David : « son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David » (Rm 1, 3). La Très Sainte Vierge Marie avait aussi une ascendance davidique. Les mages, ignorant où était né le Sauveur, s’adressèrent à Hérode le Grand qui interrogea les docteurs de la Loi pour leur faire préciser où devait naître le Messie (Mt 1, 2-6) qui trouvèrent la réponse dans la prophétie : « Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, aux jours d’autrefois » (Mi 5, 1).

    1. L’humilité du fils de David

Même ce lieu de naissance était une protestation d’humilité, dans la logique kénotique : « le Christ a confondu la vaine gloire des hommes qui s’enorgueillissent de naître dans des villes réputées et cherchent à y être honorés. À l’inverse, le Christ a voulu naître dans une cité sans gloire, et souffrir l’opprobre dans une cité illustre » (III, 35, 7, ad 1) comme Jérusalem.

Puisque saint Paul dit aux Romains : « votre foi est annoncée à tout l’univers » (Rm 1, 8), n’aurait-il pas mieux valu que Jésus naquît à Rome pour mieux remplir sa mission de rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37) ? « Comme il est dit dans un sermon du Concile d’Éphèse [431] : ‘Si le Christ avait choisi la grande cité de Rome, on aurait attribué la conversion du monde au prestige de ses concitoyens. S’il avait été le fils de l’empereur, on aurait rattaché sa réussite à sa puissance. Mais afin de faire reconnaître que sa divinité avait transformé le monde, il choisit une mère très pauvre et une patrie plus pauvre encore’. Comme dit S. Paul (1 Co 1, 27) : ‘Dieu choisit ce qui est faible ici-bas pour confondre ce qui est fort’. C’est pourquoi, afin de montrer davantage son pouvoir, c’est de Rome même, capitale du monde, qu’il fit la capitale de son Église, en signe de victoire parfaite. De là devait se répandre la foi dans le monde entier, selon cet oracle d’Isaïe (26, 8) : ‘Il humiliera la cité altière. Elle sera foulée aux pieds par le pauvre’, c’est-à-dire le Christ, ‘par les pas des indigents’, c’est-à-dire des apôtres Pierre et Paul » (III, 35, 7, ad 3).

    1. Le vrai Messie se donne en nourriture

Jésus n’est pas que le médecin habile, le prophète ou le messie davidique compris trop humainement. Il est le Sauveur comme signifié par son prénom Yeshouah : ‘Dieu sauve’, ce que refusent Juifs et Musulmans. Il nous sauve en s’offrant lui-même pour les pécheurs, aujourd’hui encore, sous les espèces eucharistiques. « Bethléem se traduit : ‘maison du pain’. Or le Christ est celui qui a dit : ‘Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement (Jn 6, 51) » (III, 35, 7). Il anticipait la manière dont il allait se donner au monde en étant couché dans une mangeoire mais pour les hommes.

Conclusion

La nuit de Noël a radicalement changé l’Histoire des hommes. Les alliances nouées successivement par Dieu avec les hommes passent à un autre niveau. Dieu assume lui-même en la Personne du Fils une humanité humble et pauvre pour manifester sa puissance et majesté. Il se fait petit pour ne plus nous intimider, et partant, il risque le tout, sa vie humaine. Autrefois, un enfant jugé décevant par son père était ‘exposé’, abandonné à la mort par le froid, la faim ou les animaux. Jésus ne fut pas ‘exposé’ enfant, mais l’est aujourd’hui dans tous les ostensoirs de la Terre. ‘Exposé’ à notre adoration parce que mort et ressuscité pour l’amour de nous qui l’avons crucifié par nos péchés. La Croix est préfigurée par le bois de la crèche. Les langes annoncent le suaire. « Je vous annonce une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple. Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 10-11).

Date de dernière mise à jour : 25/12/2023