Vigile Noël (24/12 - lect. thom. ép.)

Homélie de la messe de la nuit de Noël (24 décembre 2023)

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Lecture thomiste de l’épître (Tt 2, 11-15)

Saint Paul montra à son disciple Tite qu’il devait être orné de la doctrine chrétienne, expliquant ce qu’il entend par une bonne conduite.

  1. Rappel sur la grâce et la doctrine de Jésus-Christ
  1. La principale grâce est le Christ

La grâce (gratia) consiste en ce qui est gratuitement (gratis) donné, ce qui suppose la miséricorde. Si elle exista sans aucun doute toujours en Dieu, elle était cependant autrefois cachée aux hommes (Ps 35, 6). Avant Jésus-Christ, tous les hommes, quelque justes qu’ils fussent, étaient dans un état de damnation. Mais le Fils de Dieu s’étant fait chair : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (v. 11). « Assurément, il est grand, le mystère de notre religion : c’est le Christ, manifesté dans la chair » (1 Tm 3, 16). L’ampleur de l’abaissement entre la hauteur des Cieux où il côtoie chérubins (Ps 79, 2) et séraphins et l’humilité de la crèche montre la grandeur de cette grâce. Plus celui qui donne est puissant, plus sa grâce doit être vivement désirée. La grâce de Dieu est donc grandement désirable.

Cette grâce n’opère rien d’autre que notre salut. Nous ne mesurons pas assez que sans le Christ, nous serions voués à l’enfer et à l’emprise de la mort éternelle. Le terme de Sauveur (Is 45, 17) ne doit pas être galvaudé mais resitué dans son sens obvie et plénier. S’il nous sauve, c’est que nous allions mourir. Mais cette grâce n’est plus proposée qu’au peuple Juif comme auparavant, mais à tous les hommes (v. 11). « Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu » (Is 52, 10), « car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).

Le don de grâce le plus grand est que Dieu s’offre lui-même à nous en s’abaissant à notre niveau dans la personne du « Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). Sa conception miraculeuse, même si elle est l’œuvre de la Trinité tout entière, est pourtant attribuée spécialement à l’Esprit-Saint, principe de toutes les grâces. Et le Christ s’incarna pour instruire le genre humain, car avant lui, le monde était dans l’ignorance et dans l’erreur : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1).

  1. Bien agir, avec une droiture d’intention

Cette instruction du Christ (v. 12) qui agit comme un père le fait avec ses enfants, consiste dans l’œuvre bonne et l’intention droite. Il faut « renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde ». Il existe deux types de péchés, directement ou indirectement contre Dieu. Directement, c’est l’impiété. La piété, en effet, nous fait honorer nos parents et notre patrie. Dieu étant principalement notre Père, la piété appartient par là même au culte de Dieu. Les péchés contre Dieu sont appelés des impiétés qui suscitent la colère de Dieu (Rm 1, 18). Indirectement, les péchés peuvent résider dans l’abus des biens temporels. Si la sobriété est tournée vers nous-même, la justice s’applique au prochain mais si Dieu la commande (Ps 10, 7) et la piété s’exerce fondamentalement envers Dieu (1 Tm 4, 7). Ces trois composantes normales sont à toujours garder en vue dans un examen de conscience. L’apôtre invite à la sobriété pour user des choses de ce monde (mal rendue par ‘raisonnable’ dans l’actuelle version). « faisant usage du monde sans en abuser » (1 Co 7, 31 : ‘utentes, non quasi abutentes’). La sobriété invite à suivre la raison. « Les labeurs de la Sagesse produisent les vertus : elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force d’âme, et rien n’est plus utile aux hommes dans l’existence » (Sg 8, 7). Cette tempérance doit donc modérer les passions et l’usage des choses extérieures. Un principe de base devrait être que si des hommes poursuivent tous les biens matériels, par définition limités dans la Création, ils ne manqueront pas de se les disputer. Par contre, les biens spirituels, en l’occurrence la vie éternelle qui consiste à jouir de Dieu, est recherchable par chacun sans qu’il soit rien pris aux autres.

  1. Le salut opéré par le Christ
  1. Dimension eschatologique – le Christ est Dieu

Au v. 13, saint Paul évoque une partie des fins dernières avec la gloire de l’âme à la mort pour les saints, et celle du corps à l’avènement de Jésus-Christ : « l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix ; alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés » (Jn 5, 28). Certains croient que la récompense des actes vertueux serait dans la vie d’ici-bas, mais ce n’est pas toujours vrai. Un juste peut souffrir et donc il espère surtout pour l’au-delà. La plupart des existences connaissent surtout des jours de labeur voire de lutte (Jb 7, 1). En « attendant que se réalise la bienheureuse espérance » est donc la mort du saint qui entrera dans la béatitude après son jugement particulier. « La manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ » renvoie au jugement dernier, au retour du Christ dans la gloire et la puissance, lui qui soumettra ses ennemis définitivement. Par lui, nos corps ressusciteront pour jouir du Paradis ou souffrir de l’enfer. Nous devrions désirer ardemment ce second avènement car qui aime attend l’ami avec empressement au lieu de le craindre : « je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation glorieuse » (2 Tm 4, 8). Nous devrions vouloir hâter son retour pour que cesse l’injustice : « Marana tha ! » (1 Co 16, 22 ; Ap 22, 20 qui conclue la Bible). Ce second avènement, eschatologique, sera glorieux au contraire du premier, humble (Mt 11, 29) dans son incroyable abaissement, ‘de la crèche au crucifiement’ (Ph 2, 8) : « Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire » (Lc 21, 27).

Par « grand Dieu » pour désigner Jésus, est réfutée l’hérésie arienne qui prétendait que le Christ n’aurait été qu’un homme adopté par Dieu. Mais Jésus est consubstantiel au Père, comme le professe le credo. Sa grandeur vient du fait qu’il est Dieu : « le Christ est (…) est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles » (Rm 9, 5). Si nous ne confessons pas Jésus l’unique Sauveur, nous ne pourrons pas aller au Paradis, contrairement à ce qu’un faux dialogue interreligieux fait accroire aujourd’hui. Notre intelligence doit nous le faire comprendre par tout un faisceau convergents de faits (1 Jn 5, 20). Après tout, le Christ n’est venu que pour nous sauver, comme l’indique assez clairement le prénom de Jésus : « tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21). Christ signifie l’oint, celui qui a reçu l’onction mais d’une manière éminente qui n’est pas juste celle d’un homme consacré à Dieu tel un prêtre, un prophète ou un roi, mais qui s’est réellement uni l’humanité à sa divinité par l’Incarnation. En Jésus-Christ la divinité est unie à la personne : « Oui, Dieu, ton Dieu t'a consacré d'une onction de joie, comme aucun de tes semblables » (Ps 44, 8).

  1. Le salut par l’amour

Ce salut est intervenu en se livrant pour nous : « Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur » (Ép 5, 2). Lui, livré jusqu’à mourir pour l’amour de nous, nous délivra de la mort éternelle, « afin de nous racheter de toutes nos fautes » (v. 14). Il nous libère par là-même de l’esclavage du péché qui produit la mort (Jn 8, 34). Issu d’Adam, nous naissons avec le péché originel qui conduit à l’enfer. Mais même les baptisés lavés de celui-ci ne sont pas exempts du combat contre la concupiscence qui subsiste. Elle nous incline à faire le mal. Jésus ‘a fait suffisamment’ ou ‘satisfait’ étymologiquement (satis-facere), sur la Croix. D’où notre rachat ou rédemption en latin : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi » (Is 43, 1). Ce rachat vaut pour le péché originel comme pour les péchés actuels, que nous n’héritons pas mais auxquels nous consentons à divers degrés de liberté.

Cette purification opère notre sanctification dans le bien car Dieu veut faire sien le peuple et lui communique sa propre sainteté en se le consacrant : « car tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu : c’est toi qu’il a choisi pour être son peuple, son domaine particulier parmi tous les peuples de la terre » (Dt 7, 6). Il le met à part du mal : « autrefois vous n’étiez pas un peuple, mais maintenant vous êtes le peuple de Dieu ; vous n’aviez pas obtenu miséricorde, mais maintenant vous avez obtenu miséricorde » (1 P 2, 10). Être agréable à Dieu signifie lui plaire par la rectitude de sa foi et de son intention : « le serviteur avisé a la faveur du roi » (Pr 14, 35). Cela se manifeste extérieurement par de bonnes œuvres, même si l’on n’en voit pas la récompense ici-bas : « ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous récolterons, si nous ne perdons pas courage » (Ga 6, 9).

  1. Prêcher et exhorter

Celui qui se sait aimé de Dieu doit transmettre cette vérité afin que d’autres soient sauvés. Il faut donc prêcher (v. 15) soit « parler, exhorter et réfuter, en toute autorité. Que personne n’ait lieu de te mépriser ». C’est là la tâche principale pour les évêques et les prêtres, leurs collaborateurs. L’autorité provient d’abord de la justesse de la doctrine. Ainsi le pape qui détourne la sainte Écriture pour complaire aux pécheurs publics par le scandaleux texte Fiducia supplicans (18 décembre 2023) autorisant les bénédictions aux divorcés-remariés et homosexuels abuse de l’autorité qui lui est confiée et donc la mine. Outre sa conformité à la parole de Dieu dans les Saintes Écritures et le magistère traditionnel, l’autorité qui doit faire grandir, étymologiquement (auctoritas < augere), doit vivre elle-même de ce qu’elle prêche et donc enseigner par la parole et par l’exemple. Trop souvent, les actes démentent le prêchi-prêcha, comme lorsque les hiérarques de l’Église ne respectent pas les plus élémentaires formes de justice sociale en maltraitant les prêtres et séminaristes, ne les payant pas, détournant les aides sociales d’État au lieu de cotiser par exemple.

Saint Paul distingue la prédication qui traite de la doctrine à croire de l’exhortation qui regarde ce qu’il faut pratiquer : « quand nous vous exhortions, ce n’était pas avec des doctrines fausses, ni des motifs impurs, ni par ruse » (1 Th 2, 3). Ne pas reprendre les pécheurs mais les conforter dans l’iniquité conduira le pasteur à porter la responsabilité morale de leur damnation : « ceux qui commettent des péchés, reprends-les devant tout le monde, afin que les autres aussi éprouvent de la crainte » (1 Tm 5, 20). On peut certes exhorter dans le sens de supplier les gens qu’ils se convertissent, vu la pauvreté de nos moyens (Pr 18, 23, Vulg.) mais il faut aussi être ferme face aux obstinés dans l’erreur et la mauvaise vie.

Date de dernière mise à jour : 24/12/2023