3e Épiphanie (21/01 - vie surnatur.)

Homélie du 3e dimanche après l’Épiphanie (21 janvier 2024)

pour écouter l'homélie, cliquez ici

La vie de grâce, vie éternelle commencée

Les sources de la vie intérieure sont fort élevées, comme celles d’un fleuve dans la haute montagne qui irriguent tant de vallées. En toutes choses, considérons la fin, première dans l’ordre d’intention même si elle est dernière dans l’ordre d’exécution.

  1. La vie éternelle
    1. L’état de grâce

La vie intérieure du chrétien suppose l’état de grâce, opposé au péché mortel (matière grave, connaissance du péché, liberté de commettre l’acte). En effet, soit l’âme est tournée vers Dieu, fin dernière surnaturelle, soit elle est détournée de lui. La vie intérieure demande une lutte contre tout ce qui nous porte à retomber dans le péché et une sérieuse tendance de l’âme vers Dieu. On ne peut connaître la valeur d’un germe que si l’on connaît ce qui va en sortir (par exemple, le chêne pleinement développé à partir d’un simple gland). De même, la grâce sanctifiante ne révèle son prix qu’au regard de l’éternité.

Si dans l’ancien testament, la vie éternelle qui récompense les justes après la mort, n’est guère présentée que sous le symbole de la terre promise, au contraire, la prédication de Jésus dans le nouveau lui est immédiatement ordonnée. Elle se distingue de la vie future des philosophes comme Platon pour qui un beau risque serait à courir, à la manière du pari de Pascal. A contrario, la vie surnaturelle se mesure à la vie intime de Dieu, de laquelle elle participe. Vivre d’une vie éternelle commencée, c’est se détourner du péché, observer les commandements de Dieu, développer une foi vive, unie à la charité et à la pratique des préceptes.

    1. Voir Dieu face à face

Au Ciel, nous verrons immédiatement Dieu tel qu’il est (1 Jn 3, 2) et non plus seulement par le reflet de ses perfections dans les créatures, que ce soit dans la nature sensible ou l’âme des saints. Si l’intérieur de mon âme garde, même pour moi, des secrets (car je ne peux mesurer toute la gravité de mes fautes, directement ou indirectement volontaires), Dieu seul me connaît à fond et devant lui paraissent à découvert tous les secrets de mon cœur. Or, dit saint Paul, « alors je le connaîtrai comme je suis connu par lui » (1 Co 13, 12).

De même que Dieu connaît l’essence de mon âme et ma vie intime sans intermédiaire, ainsi, je verrai Dieu sans l’intermédiaire d’aucune créature ni idée créée, pas même de ces concepts qui pourtant reflètent une des perfections divines comme son être, sa vérité, sa bonté, sa sagesse, son amour, sa miséricorde, sa justice. Car ces concepts multiples sont à la vie intime de Dieu, à la simplicité divine, comme les sept couleurs de l’arc-en-ciel à la lumière blanche dont elles procèdent. En particulier, nous ne réussissons pas à voir l’intime conciliation des perfections entre elles, comme la miséricorde et la justice (d’où le choc que représente pour beaucoup la damnation éternelle pour une vie mauvaise mais bornée par le temps). Au Paradis, nous adorerons tous les décrets de sa Providence car nous l’aimerons comme lui s’aime et le comprendrons comme lui se comprend. Nous serons entrés dans sa béatitude à lui : « entre dans la joie de ton maître » (Mt 25, 21+23).

  1. Le germe de la vie éternelle en nous : la grâce sanctifiante
    1. Vie surnaturelle et gloire

En nous, le germe de la vie éternelle est la grâce habituelle ou sanctifiante. Elle est un peu comme la greffe qui transforme un arbuste sauvage pour lui permettre de porter de bons fruits (cf. l’olivier sauvage biblique Jésus et nous comme rameaux de la vigne qu’est Jésus). Cette grâce dans l’essence de notre âme est un don gratuit qui la rend radicalement capable d’opérations proprement divines. Lorsqu’elle est consommée et inamissible (ne pouvant lui être enlevée), elle s’appelle la gloire d’où procèdent la lumière surnaturelle dans l’intelligence des bienheureux qui leur permet de voir Dieu au ciel et la charité infuse dans leur volonté qui le leur fait aimer sans qu’ils puissent désormais se détourner de lui.

Comme à la Samaritaine, le Christ indiquait l’eau vive, source jaillissant jusqu’à la vie éternelle, celui qui boira de cette eau de la grâce donnée par le Sauveur n’en désirera plus d’autre mais voudra la recevoir plus abondamment. De plus, tandis que l’eau matérielle descend vers l’aval, l’eau spirituelle de la grâce élève vers l’amont (cf. « le Jourdain retourne en arrière », Ps 113A, 3), comme une pluie inversée remontant vers le Ciel. Cette eau vive vient de Dieu et peut donc remonter jusqu’à lui. Celui qui a trouvé cette source non seulement peut y puiser pour lui-même (au baptême), mais aussi pour les autres âmes à sauver (à la confirmation). La grâce est dès ici-bas le germe de la gloire (gratia est semen gloriæ). Saint Thomas d’Aquin ajoute que la grâce n’est rien d’autre qu’un certain commencement de la gloire en nous (gratia nihil aliud est quam quædam inchoatio gloriæ in nobis). Le moindre degré de grâce sanctifiante contenue dans l’âme d’un petit enfant après son baptême est plus précieux que le bien naturel de tout l’univers, y compris toutes les natures angéliques prises ensemble (I-II, 113, 9, ad 2). Ainsi le prêtre agissant in persona Christi dans les sacrements, est plus grand que la Vierge ou les anges qui ne peuvent ni consacrer ni absoudre dirait la saint curé d’Ars.

    1. Commencement de la participation à la vie divine

Car le moindre degré de grâce sanctifiante est d’un ordre immensément supérieur – puisque de l’ordre de la vie intime de Dieu – à tous les miracles, signes extérieurs de la révélation divine. C’est la vie même surnaturelle, la même grâce sanctifiante qui est dans le juste ici-bas et dans les saints du ciel. Et aussi la même charité infuse, mais avec deux différences. Ici-bas, nous connaissons Dieu, non dans la pleine clarté de la vision, mais dans l’obscurité de la foi infuse. Et bien que nous espérions le posséder pour toujours, nous pouvons le perdre par notre faute. Mais malgré ces différences, c’est la même vie, parce que c’est la même grâce sanctifiante et la même charité. Il s’ensuit que cette grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) et la charité qui nous unissent à Dieu en sa vie intime, sont très supérieures aux gratiæ gratis datæ ou charismes, dons extraordinaires comme la prophétie, le don des langues qui ne sont que des signes de l’intervention divine mais qui par elles-mêmes, ne nous unissent pas intimement à Dieu.

La grâce sanctifiante est par nature ordonnée à la vie éternelle, de soi, normalement, si bien qu’elle dispose à recevoir au plus tôt la lumière de gloire du Paradis. Cette disposition prochaine et la charité parfaite s’allient avec le vif désir de recevoir la vision béatifique. Or, l’ardent désir de la vision béatifique ne se trouve, selon sa pleine perfection, que dans l’union transformante. Il doit y avoir une proportion entre l’intensité du désir et le prix du bien désiré pour les pèlerins de l’absolu que nous sommes. Donc nous devrions désirer accéder au Paradis directement, sans passer par le purgatoire qui est une peine. Cela suppose une faute qui aurait pu être évitée et une insuffisante satisfaction qui aurait pu être complétée si nous avions mieux accepté les peines de la vie présente. Normalement, il faudrait faire notre purgatoire en cette vie en méritant, en grandissant dans l’amour, au lieu de le faire après la mort sans mériter. Cela suppose une vraie purification, analogue à celle qui se trouve dans les âmes qui vont sortir du purgatoire et ont un ardent désir de la vision béatifique.

Ne perdons pas de vue ces hauteurs ! En spiritualité, il faut considérer les hommes non pas seulement tels qu’ils sont, mais tels qu’ils doivent être. Bienheureuses les âmes éprouvées qui, comme saint Paul de la Croix, ne trouvent plus l’air respirable que du côté de Dieu et aspirent très fortement vers lui.

Date de dernière mise à jour : 21/01/2024