Septuagésime (28/01 - vie intérieure)

Homélie de la Septuagésime (28 janvier 2024)

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La vie intérieure

  1. La conversation intérieure de l’homme mauvais

La conversation de chacun avec soi-même, chez le jeune, le projette vers son avenir tandis que s’il est vieux, il pense au passé, et son expérience heureuse ou malheureuse de sa vie le fait juger très différemment des personnes et des événements. S’il est égoïste, il ne trouve en lui-même que la tristesse, la mort et cherche à se fuir en s’extériorisant, se divertissant pour oublier le vide et le néant de sa propre vie. C’est là la marque du péché originel car l’homme est la seule créature qui ne trouve pas en elle-même de quoi réaliser sa propre fin et ceux qui ne le reconnaissent pas tombent toujours dans une insatisfaction. La conversation intime de l’égoïste est marquée par un degré très inférieur de connaissance et d’amour de soi. Il ne connaît finalement guère que la partie sensitive de son âme, commune avec le règne animal. Il en sait des joies et tristesses sensibles, suivant qu’il fait beau ou mauvais temps, qu’il gagne de l’argent ou en perd. Il est impatient, colérique. Mais il ne connaît que fort peu la partie spirituelle de son âme qu’il partage en commun avec les anges. S’il la connaissait, il trouverait l’image de Dieu et commencerait à s’aimer non pas de façon égoïste pour soi-même, mais pour Dieu. Si la vie n’est pas à la hauteur de la pensée, la pensée finit par descendre au niveau de la vie. Tout s’abaisse et les hautes convictions qu’on pouvait avoir s’affaiblissent de plus en plus.

Saint Thomas ne dit pas autre chose : « Les méchants croient que le principal en eux est la nature sensible et corporelle ou l’homme extérieur. C’est pourquoi, ne se connaissant pas eux-mêmes de façon juste, ils ne s’aiment pas vraiment, mais ils aiment seulement ce qu’ils prennent pour eux-mêmes. Au contraire les bons, qui ont d’eux-mêmes une connaissance vraie, s’aiment vraiment eux-mêmes (…) quant à l’homme intérieur (…). Au contraire, les méchants ne veulent pas conserver l’intégrité de l’homme intérieur, ils n’aspirent pas pour lui aux biens spirituels, et ils ne travaillent pas en ce sens ; il ne leur est pas agréable de vivre avec eux-mêmes en faisant retour à leur coeur, car ils y trouvent le mal, tant présent que passé et futur, et ils ne peuvent que le détester ; ils n’ont pas non plus la paix avec eux-mêmes, puisque leur conscience est remplie de remords » (II-II, 25, 7).

  1. La vie intérieure de l’homme cherchant Dieu

Si l’homme est en état de grâce, il commence à s’aimer saintement lui-même, non pour soi, mais pour Dieu, et à aimer les siens pour Dieu, à comprendre qu’il doit pardonner à ses ennemis car Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). Puis il essaiera de les aimer en voulant, pour eux aussi, comme pour soi, la vie éternelle. Cependant, sa conversation intime demeure entachée d’égoïsme, d’amour-propre, de sensualité, d’orgueil. L’âme a besoin de s’entretenir avec un autre qu’elle même parce qu’elle n’est pas sa propre fin. « Notre cœur est sans repos, Seigneur, jusqu’à ce qu’il ne repose en toi » (saint Augustin).

Mais le Saint-Esprit manifeste progressivement aux âmes de bonne volonté ce que Dieu désire d’elles et ce qu’il veut leur donner. Puissions-nous recevoir docilement tout ce que Dieu veut nous donner. Cette manifestation progressive de Dieu n’est pas sans lutte, il faut se dégager des liens qui sont la suite du péché. « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4, 16). Le corps physique peut bien vieillir, l’âme, elle, peut être régénérée. La jeunesse spirituelle est constamment renouvelée par les grâces qu’elle reçoit tous les jours. « J’avancerai vers l’autel de Dieu, vers Dieu qui réjouit ma jeunesse » (Ps 42, 4, Vulg.).

L’homme intérieur (ou ce qu’il y a de principal et de plus élevé en nous) suit la raison éclairée par la foi et suit la volonté, qui toutes deux doivent dominer la sensibilité. L’homme intérieur se renouvelle sans cesse à l’image de Dieu qui ne vieillit pas. La vie de Dieu est au-dessus du passé, du présent et de l’avenir, elle est mesurée par l’unique instant de l’immobile éternité. La vie intérieure est une vie surnaturelle qui, par un véritable esprit d’abnégation et de prière, nous fait tendre à l’union à Dieu et nous y conduit. Elle implique une phase où domine la purification, une autre d’illumination progressive en vue de l’union à Dieu. C’est une conversation avec Dieu où se dégageant peu à peu de l’amour-propre, par une prière fréquente, l’homme intérieur demande au Seigneur les grâces toujours nouvelles dont il a besoin.

Dans cette conversation intérieure avec Dieu qui tend à devenir continuelle, l’âme parle par la prière - oratio, qui est la parole par excellence, à la manière de saint Dominique : ‘Deo vel de Deo’ : il parlait à Dieu par la prière ou de Dieu par la prédication. Tantôt prière de demande, tantôt d’adoration et d’action de grâce, mais elle est toujours une élévation de l’âme vers Dieu. L’homme devient de plus en plus enfant de Dieu (don de piété). Il reconnaît de mieux en mieux que Dieu est son père. Il devient ainsi toujours plus petit enfant par rapport à lui. Il comprend ce que Jésus voulait dire à Nicodème de renaître d’en-haut (Jn 3, 3-7). Si l’homme naturel, d’après saint François de Sales, en grandissant doit se suffire et dépendre de moins en moins de sa mère qui lui devient moins nécessaire arrivé à l’âge adulte, au contraire, l’homme intérieur, en grandissant, prend chaque jour plus conscience de sa filiation divine et devient de plus en plus enfant vis-à-vis de Dieu, jusqu’à rentrer, pour ainsi dire, dans le sein de Dieu comme on désignait autrefois le Paradis comme le sein d’Abraham (Lc 16, 22).

Conclusion

L’hymne de saint Bernard de Clairvaux Jesu dulcis memoria exprime bien cette dimension vitale, cette expérience vécue de l’amour de Dieu des progressants :

Ô Jésus, espoir des pénitents,

Que vous êtes tendre pour ceux qui vous implorent,

Bon pour ceux qui vous cherchent !

Mais que n’êtes-vous pas pour ceux qui vous trouvent ?

Ni la langue ne veut dire,

Ni l’écriture exprimer ;

Ce que c’est qu’aimer le Saveur

Celui-là peut le croire qui l’a éprouvé

Soyons de ceux qui le cherchent et auxquels il est dit : « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé » (cf. Pascal, pensée 553).

Date de dernière mise à jour : 28/01/2024