9e dimanche (30/07 - 7 dons ES: crainte)

Homélie du 9e dimanche après la Pentecôte (30 juillet 2023)

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Le don de crainte

Le dernier don de l’Esprit saint est la crainte de Dieu « qui nous fait respecter Dieu et nous fait craindre de l’offenser dans sa divine majesté et qui nous détourne du mal en nous portant au bien » (catéchisme de S. Pie X, n°955).

      1. Quelques exemples bibliques
  1. L’abîme homme-Dieu

« Éloignez-vous de moi Seigneur car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8) de saint Pierre illustre le don de crainte. Il prend conscience de l’abîme qui sépare Dieu de l’homme : abîme métaphysique (transcendance versus composé transcendant/immanent ; pur esprit vs composé âme/corps ; toute-puissance vs la grande faiblesse) et abîme moral (simplicité dans l’unité entre le dire et le faire vs homme pécheur divisé en lui-même). Pour commencer à s’approcher de Dieu, il faut donc savoir qu’on n’en est pas digne, que lui est grand et que nous sommes petits. Cette prise de conscience par l’humilité est essentielle à la vie spirituelle.

En effet, la sainteté de Dieu ne permet pas la coexistence du péché en sa présence, d’où l’Enfer. Et toute personne un peu honnête doit le comprendre, comme le père de Samson : « Nous allons certainement mourir, dit Manoah à sa femme, car nous avons vu Dieu » (Jg 13, 22). Toute l’histoire d’Israël est un désir de voir Dieu inaccessible ici-bas pour le face à face : « [Moïse] lui dit : ‘Faites-moi, de grâce, voir votre gloire’ (…) ‘Mais, dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre’. Le Seigneur dit encore : ‘Voici une place près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. Quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos ; mais ma face, on ne peut la voir » (Ex 33, 18).

  1. Entre crainte et piété : s’approcher des choses sacrées avec respect

Le sacré implique un certain secret des choses de Dieu. Le mystère de l’arcane explique le jubé séparant autrefois le chœur des fidèles comme l’iconostase en Orient ou le silence du canon et la patène cachée par le sous-diacre à partir de l’offertoire dans la messe solennelle. La distinction entre le profane et le sacré est illustrée au buisson ardent où Dieu appelle et donne le courage d’avancer tout en imposant une certaine distance, marquée par des gestes et rituels : « Le Seigneur vit qu’il faisait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson. ‘Moïse, Moïse’, dit-il, et il répondit : ‘Me voici’. Il dit : ‘N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte’. Et il dit : ‘Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’. Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu » (Ex 3, 4-6).

La conscience de la distance nous séparant de Dieu ne doit pas mous écraser mais nous inspirer simplement du respect. En effet, une trop grande familiarité avec Dieu induite par la piété filiale peut être néfaste. S’habituer tellement aux dons de Dieu peut conduire à manquer de révérencieuse gratitude. Les Juifs tombèrent dans ce travers d’ayant-droit blasé avec la manne, ce qui doit nous induire à ne pas communier dans de mauvaises dispositions : « nos yeux ne voient plus que de la manne ! » (Nb 11, 6) et « puisque vous avez pleuré aux oreilles du Seigneur, en disant : ‘Qui nous donnera de la viande à manger ? Nous étions heureux en Égypte !’ Eh bien ! Le Seigneur vous donnera de la viande à manger. Vous n’en mangerez pas un jour seulement, ou deux ou cinq ou dix ou vingt, mais bien tout un mois, jusqu’à ce qu’elle vous sorte par les narines et vous soit en dégoût, puisque vous avez rejeté le Seigneur qui est au milieu de vous et que vous avez pleuré devant lui en disant : Pourquoi donc être sortis d’Égypte ? » (Nb 11, 18-20).

Comme un père n’est pas un copain, Dieu nous fait confiance, nous donne les moyens de le rejoindre, mais il y a des règles à suivre ! Il faut faire à sa manière, pas à la nôtre !

      1. Le don de crainte chez saint Thomas d’Aquin
  1. L’homme craint de déplaire à son Père

La crainte est liée à la vertu d’espérance. Les deux ont un double objet (II-II, 19, 1). D’abord l’aspect objectif ou matériel qui est le bien futur attendu par l’espérance ou le mal qu’on fuit par la crainte. Sous cet angle, Dieu, bonté même, n’est pas objet de crainte. Ensuite sous l’aspect personnel du médiateur, la personne nous procurant ce bien nous faisant du mal. Sous cet aspect, Dieu doit être craint, car il peut nous menacer de quelque mal. Certes pas le mal de faute qui ne peut venir que de nous si nous nous séparons de lui par le péché mais le mal de peine qui sert par exemple de punition pour notre amendement (II-II, 19, 1, ad 3). Le même Dieu est donc à la fois objet d’espérance par sa miséricorde qui délivre et de crainte par sa justice qui châtie les pécheurs (II-II, 19, 1, ad 2) : « Craignez celui qui peut envoyer l’âme et le corps dans la géhenne » (Mt 10, 28).

La crainte peut nous détourner de Dieu lorsqu’on craint le mal que le monde peut nous infliger de ne pas être comme lui : respect humain, crainte mondaine qui fit renier saint Pierre (II-II, 19, 2-3). Mais elle peut au contraire nous tourner vers Dieu parce qu’on craint le mal de peine d’un père fouettard. C’est un degré inférieur appelé par la crainte servile. Le mauvais serviteur de la parabole des talents craint de se faire battre (II-II, 19, 6). On se rapproche de Dieu pour l’amadouer car on a peur de l’Enfer. Dans la confession, cette forme inférieure de regret des péchés par attrition est suffisante canoniquement pour la validité. Mais le degré supérieur reste la crainte filiale qui veut éviter de tomber dans le mal de faute. Le fils craint d’offenser son père. On ne veut pas lui déplaire ni être séparé de son amour par notre péché (II-II, 19, 5). La contrition fait regretter les péchés parce que nous n’avons pas été à la hauteur de l’amour que Dieu nous porte comme avec le fils prodigue.

  1. Commencement de la sagesse

« Initium sapitentiæ, timor Domini » (Sir 1, 16 ; Ps. 111, 10). Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu. Si la sagesse est essentiellement contenue dans les articles du Credo, nous parlons ici de l’œuvre du maçon qui commence son ouvrage par les fondations. La sagesse est opératoire au contraire des paroles creuses de sophistes. Si la crainte servile dispose de l’extérieur à la sagesse chrétienne car en craignant la peine, le pécheur s’éloigne du péché, elle le dispose à recevoir l’effet de la sagesse : « la crainte du Seigneur bannit le péché » (Si 1, 17). « La crainte initiale tient le milieu entre la crainte filiale et la crainte servile (…) comme l’être imparfait entre l’être parfait (la crainte filiale) et le non-être (la crainte servile) » (II-II, 19, 7-8). Mais la crainte filiale commence vraiment la sagesse car elle en est le premier effet. Nous réglons notre vie selon les raisons divines. Nous ne craignons pas de manquer ce que nous espérons obtenir grâce au secours divin mais de nous soustraire nous-mêmes à ce secours (II-II, 19, 9, ad 1).

Le don de l’Esprit est uniquement la crainte filiale : « pour qu’un être soit dans un bon état de mobilité par rapport à un moteur, la première condition est qu’il lui soit soumis, et sans résistance, car c’est cette résistance du mobile au moteur qui empêche le mouvement. Cette soumission sans résistance, c’est la crainte filiale (…) qui la produit, en nous faisant révérer Dieu, et en nous faisant redouter de le quitter » (II-II, 19, 9). « Cette crainte [servile] elle-même diminue (…) quand la charité grandit, car on craint d’autant moins la peine qu’on aime Dieu davantage. D’abord parce qu’on prête moins d’attention à son propre bien, que la peine contrarie, ensuite parce que celui qui adhère plus fortement à Dieu espère la récompense avec plus de confiance, et, par suite, redoute moins la peine ». La crainte filiale « implique d’une certaine façon une séparation, en ce que l’homme n’a pas la présomption de s’égaler à Dieu, mais il se soumet à lui. Cette séparation se trouve aussi dans la charité, du fait que l’on aime Dieu plus que soi-même et par-dessus toutes choses. Il faut donc conclure que l’amour de charité, lorsqu’il grandit, ne diminue pas la révérence de la crainte, mais la fortifie » (II-II, 19, 10, ad 3).

Conclusion

La crainte correspond à la béatitude de la pauvreté en esprit. La crainte filiale témoigne de la révérence à Dieu. Étant soumis à Dieu, l’homme cesse de chercher à se grandir en lui-même par l’orgueil comme de se glorifier dans les biens extérieurs, honneurs et richesses. Ces deux dispositions relèvent de la pauvreté d’esprit, anéantissant l’enflure et l’orgueil de l’esprit (S. Augustin), ou méprisant les biens temporels (S. Ambroise et Jérôme) (II-II, 19, 12).

Conclusion générale sur les 7 dons

« Ces dons du Saint-Esprit sont des perfections habituelles des puissances de l’âme, qui rendent celles-ci capables de recevoir la motion de l’Esprit Saint, de même que, par les vertus morales, les puissances de l’âme deviennent capables de bien répondre à la motion de la raison » (II-II, 19, 9.). Ces dons sont donnés à tous les croyants par l’Esprit-Saint et sont nécessaires pour obtenir le salut. Dans toutes les facultés de l’homme qui sont principes d’actes humains (la raison et la volonté), de même qu’il y a des vertus, il y a des dons.

  • La raison est spéculative et pratique. Et d’un côté comme de l’autre,
    • il y a une saisie de la vérité qui est affaire de découverte :
      • la raison spéculative est perfectionnée par le don d’intelligence
      • la raison pratique par celui de conseil.
    • puis de jugement sur cette vérité.
      • la raison spéculative est perfectionnée par la sagesse,
      • la raison pratique par la science.
  • Quant à la puissance appétitive ou volonté,
    • en ce qui regarde autrui elle est perfectionnée par la piété;
    • en ce qui regarde le sujet lui-même elle est perfectionnée
      • par la force contre la terreur des périls,
      • et contre la convoitise désordonnée des choses agréables, par la crainte.

Ces dons s’étendent aux mêmes domaines que ceux des vertus intellectuelles ou morales. Un tableau récapitulatif des sept dons de l’Esprit-Saint montre leurs fruits et les correspondances aux sept vertus et aux huit béatitudes.

7 vertus

7 dons

7 béatitudes

7 fruits

S’oppose à

Foi

Intelligence (saisir et pénétrer la vérité)

Pureté de cœur

Certitude et joie (volonté)

Hébétude

Science (juger sûrement des choses créées)

Larmes

Ignorance

Charité

Sagesse (juger sûrement des choses divines)

Paix

Joie

Sottise

Espérance

Crainte

Pauvreté en esprit

Modestie, continence, pureté

Prudence

Conseil (application aux actions particulières)

Miséricorde

Bonté et bénignité

Précipitation

Justice

Piété

Douceur

Mansuétude

Force

Force

Soif de justice

Patience

Longanimité

Tempérance

encore crainte ?

Date de dernière mise à jour : 30/07/2023