Homélie du 7e dimanche après la Pentecôte (7 juillet 2024)
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Lecture thomiste de l’épître (Rm 6, 19-23)
- La faiblesse de la condition humaine
Quelquefois, le mot ‘homme’, ‘humain’ (v. 19) exprime dans l’Écriture la faiblesse humaine : « je suis (…) un homme frêle et qui dure peu, trop faible pour comprendre les préceptes et les lois » (Sg 9, 5). Si l’apôtre Paul enseigne aux parfaits les préceptes plus élevés : « nous prêchons la sagesse aux parfaits » (1 Co 2, 6, Vulg.), « aux adultes [dans la foi], la nourriture solide » (He 5, 14), il donne, en bonne pédagogie, aux infirmes que nous sommes des préceptes plus faciles : « je n’ai pas pu vous parler comme à des spirituels, mais comme à des êtres seulement charnels, comme à des petits enfants dans le Christ. C’est du lait que je vous ai donné, et non de la nourriture solide ; vous n’auriez pas pu en manger, et encore maintenant vous ne le pouvez pas » (1 Co 3, 1-2). La confirmation devrait nous faire passer ce stade, encore que le réalisme nous oblige à admettre que nous n’avons pas encore progressé suffisamment. Or cette infirmité vient non de l’esprit, mais de la chair « car un corps périssable appesantit notre âme » (Sg 9, 15) comme avait prévenu le Seigneur Jésus : « l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mt 26, 41).
La nature humaine a besoin de s’attacher à quelque chose car elle ne sert que ce qui lui plaît : soit nous servons la justice, soit le péché. Or, il ne faudrait aimer que ce qui est élevé au-dessus de nous, les réalités spirituelles, à commencer par Dieu et ses saints anges (par un mouvement extatique de la volonté ou centrifuge qui nous fait rejoindre l’être aimé au-dehors de nous-mêmes), et non pas ce qui est en-dessous de nous, les réalités matérielles qu’il faudrait juste connaître pour moins nous y attacher (les faisant entrer dans notre intellect, par un mouvement centripète). Saint Paul évoque à la fois les péchés de chair : « la débauche, l’impureté sous toutes ses formes et la soif de posséder sont des choses qu’on ne doit même plus évoquer chez vous » (Ép 5, 3) mais aussi par l’iniquité (cf. Ps 35, 5, Vulg.) les péchés spirituels, surtout ceux blessant le prochain. Une fois conçus dans le cœur, ces péchés sont produits par les membres corporels agissant mal. Au contraire, on devrait maintenant mettre notre capacité d’action au service des bonnes œuvres. Par la grâce de Dieu, cela nous justifiera, nous pourrons expier (satisfaire) et ainsi acquérir et augmenter notre sainteté (cf. Ap 22, 11). Nous devrions mettre plus d’ardeur à faire le bien que par le passé, avant notre rachat, quand nous errions : « une fois convertis, mettez dix fois plus d’ardeur à le chercher » (Ba 4, 28).
- Prééminence de l’état de grâce sur l’état du péché.
Si, en effet, il nous vient plus de biens de la justice que du péché, nous devrions nous appliquer à servir la justice plus que nous ne l’aurions fait pour le péché. L’homme jouit naturellement de son libre arbitre, parce que la raison et la volonté ne peuvent jamais être forcées. Toutefois elles peuvent être inclinées par quelques causes. Ainsi, l’homme demeure-t-il libre de coaction mais pas libre d’inclination. Si le libre arbitre est incliné au bien par l’habitude de la grâce ou de la justice, il sert la justice et s’affranchit du péché. Mais s’il est incliné au mal par l’habitude du péché, il est entraîné à y consentir contre le jugement de la raison car il en devenu l’esclave (Jn 8, 34). Celui qui est asservi au péché n’a plus le frein de la justice pour le retenir et ainsi s’y précipite toujours plus, avec le risque que cela devienne, en plus du vice, une raison de vivre par une seconde nature pervertie, une autojustification comme dans l’intempérance, bien pire que la simple incontinence par faiblesse ou passion. Le v. 20 évoque ce péché de propos délibéré de l’intempérant : « depuis longtemps tu as brisé ton joug, rompu tes liens. Tu as dit : ‘Je ne servirai pas !’ [non serviam du démon] (…). Tu te couches, prostituée ! » (Jr 2, 20).
Malgré cette prétendue liberté d’indifférence dont se rengorgent les existentialistes, l’homme ne vivant pas suivant la raison, c’est-à-dire suivant la nature voulue par Dieu, est véritablement esclave et s’assimile aux animaux dénués de raison et ainsi déchoit de sa propre dignité. N’est véritablement libre que celui qui ne s’abandonne pas au gré et à la violence de ses convoitises. Les œuvres du péché sont infructueuses (v. 21) parce qu’elles empêchent l’homme d’atteindre au but assigné par Dieu de partager son éternité, donc d’entrer dans la béatitude : « Leurs œuvres sont stériles » (Is 59, 6, Vulg.) ; « Malheur à ceux qui préparent leur mauvais coup et, du fond de leur lit, élaborent le mal ! » (Mi 2, 1). Au contraire, ceux qui se sont laissés toucher par la grâce ont pris conscience des péchés de leur jeunesse, ce qui les remplit de confusion : « Oui, je me repens après être revenu ; après avoir reconnu qui je suis, je me frappe la poitrine. Je rougis et je suis confus, car je porte la honte de ma jeunesse » (Jr 31, 19 ; cf. Ps 24, 7 : ‘ne memineris iniquitatum iuventutis meæ’).
- Conséquences dans l’au-delà
Autrement, le « salaire du péché, c’est la mort » éternelle de l’enfer (v. 23). Bien qu’elle ne soit pas la fin que se propose le pécheur, s’anesthésiant la conscience, tel est bien pourtant l’issue. De sa nature même, le péché amène la mort déjà temporelle. En effet, lorsque l’âme se sépare de Dieu, il est juste que le corps se sépare d’elle. Les péchés donnent aussi la mort éternelle, car il est juste que celui qui veut être séparé de Dieu pour un temps afin de satisfaire la convoitise, en soit séparé pour l’éternité : « ils savent bien que, d’après le juste décret de Dieu, ceux qui font de telles choses méritent la mort » (Rm 1, 32). « Il fera pleuvoir ses fléaux sur les méchants, feu et soufre et vent de tempête ; c'est la coupe qu'ils auront en partage » (Ps 10, 6) pour décrire l’enfer.
Au contraire, les justes qui ont affermi leur volonté suivant la raison dans le bien, vivent vertueusement, par la grâce de Dieu. La justice est une des quatre vertus cardinales. « Le Fils vous rend libres, réellement vous serez libres » (Jn 8, 36). Dans l’état de justice on sert Dieu en lui obéissant volontairement : « servez le Seigneur dans l'allégresse » (Ps 99, 2). Ils sont ‘serviteurs de Dieu’, comme les candidats aux honneurs des autels, pour une béatification. Ce sont aussi les fidèles que le pape, ‘serviteur des serviteurs de Dieu’, devrait conduire vers les pâturages éternels. L’homme est alors incliné à ce qui convient à sa nature rationnelle et maîtrise les effets de la concupiscence à laquelle est adonné l’homme charnel. Le fruit est la sanctification ou acquisition de la sainteté par les bonnes œuvres. Cela réjouit spirituellement : « mes fleurs sont des fruits de grâce et d’abondance » (Sir 24, 23, Vulg.) pour l’éternité au Ciel, apportant la paix ou tranquillité de l’ordre (s. Augustin) car toute chose est alors à sa place, en nous et au-dehors de nous. Les bonnes œuvres dans un esprit d’obéissance à Dieu qu’on imite font chercher d’abord son royaume et la justice (Mt 6, 33) et méritent (de congruo) la vie éternelle promise aux brebis qui suivent sa voix (Jn 10, 28). Is verront Dieu face à face, dans sa gloire, par la grâce de l’Esprit Saint qui nous désaltèrera réellement : « mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4, 14). Tout cela passe par le Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ en tant que nous sommes en lui par la foi et par la charité : « telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 40).