4e Pentecôte (06/07 - lect. thom. év.)

Homélie du 4e dimanche après la Pentecôte (6 juillet 2025)

Lecture thomiste de l’évangile (Lc 5, 1-11)

  1. Pécheur d’hommes

La foule est avide d’entendre la parole de Dieu qui est alors accompagnée de signes, les miracles de guérison en particulier car le Christ avait l’autorité de ceux qui disent et font contrairement au prêchi-prêcha actuel des nouveaux grands prêtres. Partant, il montrait qu’il était bien Dieu. Le Christ, pressé par la foule, est obligé de s’écarter quelque peu et Simon le pécheur obéit à sa requête. Il crée ainsi la distance symbolique de l’eau les séparant et être mieux entendu et vu, comme le professeur (il est appelé ‘maître’ par saint Pierre) dans un amphithéâtre.

Jésus pêcha à rebours de la manière humaine. L’homme sur la terre au bord du lac jette ses filets pour en sortir des poissons vivants afin d’en manger la chair morte. Le Christ depuis la mer de Galilée pêche sur la terre les auditeurs et les fait sortir de l’eau du déluge de la mort spirituelle du péché. Il les plonge dans l’eau du baptême pour les sauver de la mort spirituelle en leur donnant sa chair crue afin qu’ils vivent pour l’éternité.

Allégoriquement, ces deux barques figurent les Juifs et les Gentils regardés par le Seigneur qui est du côté des premiers, les circoncis (Ga 2, 8). Il connaît dans chaque peuple ceux qui sont à lui, et en les voyant sur le rivage, il les visite dans sa miséricorde et les conduit au port tranquille de la vie éternelle, le véritable havre de Grâce. Les pêcheurs sont les pasteurs qui nous prennent dans les filets de la foi, et nous amènent au rivage de la terre des vivants. Tantôt les pêcheurs jettent ces filets pour pêcher, tantôt ils les plient après les avoir lavés, parce que tous les temps ne sont pas également propres à recevoir la doctrine et le prédicateur doit aussi s’occuper de lui-même, prendre soin de son âme, creuser la capacité réceptive de sa vasque pour ensuite déverser aux fidèles comme un trop-plein ce qu’il a reçu de Dieu (« As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? » 1 Co 4, 7). Toutefois les filets s’entendent non pas comme un piège se refermant sur nous (Ps 65, 11) mais comme chez Osée 11, 4 (In funiculis Adam traham eos, in vinculis caritatis) : « par des cordelettes d’Adam, je les attirais, par des liens de charité ». Non pas à la manière d’une marionnette mais en tissant avec nous des liens d’amour, non pour nous entraver mais pour nous élever, pour n’avoir qu’un seul cœur et une seule âme (cor unum et anima una) entre nous, fils d’un même Père (Ac 4, 32).

Le Christ prêche depuis une chaire de saint Pierre s’éloigner un peu de la terre mais parlant un langage plein de modération et de pédagogie. Il ne faut à la fois pas prêcher une doctrine terrestre (Col 3, 1-2), mais se garder également de trop l’éloigner de la terre pour les profondeurs trop insondables des mystères. Mais cela signifie aussi deux moments de la prédication apostolique : d’abord annoncer l’Évangile aux peuples des pays voisins puis, par le ‘Duc in altum’ : « Avancez en pleine mer », prêcher aux nations plus éloignées.

L’obéissance de Pierre à la parole du Christ est exemplaire. Il pourrait être fatigué d’avoir porté le poids d’un long travail nocturne vain mais fait confiance malgré tout : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets » (v. 5). Il a compris qu’avant, c’était un effort humain, maintenant, c’est l’œuvre divine qui commence : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Et le travail qu’ils accompliront sera de même accompagné de l’action de l’Esprit Saint : « quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants » (2 Th 2, 13).

Cette pêche miraculeuse désigne au-delà du rassasiement de l’appétit humain, la promesse de grandes conversions à l’Évangile. Peut-être que les filets menaçant de rompre (v. 6), au contraire de l’autre scène de pêche miraculeuse (Jn 21, 6), annoncent-ils le risque d’une paix et unité rompues déchirant l’Église en coupant le lien avec Dieu (péché mortel) par les schismes et les hérésies. À moins que ces deux barques ne désignent l’Église des Gentils venue suppléer à l’insuffisance de la synagogue qui n’a pas fourni le nombre des élus et Dieu répandit la grâce de la foi dans le cœur des Gentils.

  1. Que l’Église sépare le pur de l’impur

La devise de la commune parisienne du ‘Fluctuat nec mergitur’ (il est agité par les flots mais ne sombre pas) pourrait très bien s’inspirer de l’image biblique de la barque ou nef de l’Église submergée par les flots prenant l’eau de toutes parts (méditation du chemin de Croix par le cardinal J. Ratzinger et messe d’entrée en conclave du 19 avril 2005).

Pierre, admire étymologiquement en étant mis en contact (ad) d’un miracle (mirum). Comprenant que le Christ était Dieu, il confessa humblement sa nature humaine pécheresse. Il exprime là le don de la crainte, l’un des sept conféré par l’Esprit Saint : « Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : ‘Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur’ » (v. 8).

Il savait en effet que ce qui était souillé devait être séparé de ce qui est saint (Lv 10, 10), l’impur du pur, or le clergé aux mœurs dépravées défaille trop souvent dans cette mission (Ez 22, 26 ; 44, 23). Nous aussi, disons à Jésus : ‘Éloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur’, et Dieu nous répondra : ‘N’ayez pas peur’, confessez vos péchés au Seigneur disposé à vous pardonner. Voyez combien il est bon, lui qui daigne accorder à des hommes le pouvoir de communiquer la vie : « Désormais, vous serez pêcheurs d’hommes ». Allégoriquement, Pierre reconnaissait que les âmes qu’il prendrait dans les filets de son enseignement ne seraient ni sa conquête ni son butin. Il renvoyait à Dieu le bien qui est en lui puisque c’est Dieu qui nous communique ses propres dons : « Non pas à nous Seigneur, mais à votre nom, rendez la gloire » (Ps 113 B, 1). Parfois, ce n’est pas de bouche que les hommes tiennent ce langage aux vertueux ministres de Dieu pour les éloigner d’eux, mais par la voix de leurs mœurs et de leurs actions, qu’ils les pressent de se retirer pour se soustraire à la direction des bons, comme un hommage du vice à la vertu les hommes (La Rochefoucauld sur l’hypocrisie).

Le Seigneur, en ne se rendant pas à leurs désirs, apprend aux hommes vertueux et spirituels à ne pas se laisser aller au désir d’abandonner le ministère ecclésiastique pour mener une vie plus calme et tranquille, parce qu’ils supportent plus les désordres de la foule. Ils ramènent leurs barques à terre et quittent tout pour suivre Jésus. Ils figurent la fin des temps, où ceux qui se seront attachés à Jésus-Christ quitteront pour toujours la mer agitée du monde. Mais déjà ici-bas, cette distance n’est pas sans rappeler le profane et le sacré au sens étymologique de ce qui est placé devant le temple (pro+fanum) et de ce qui est dans le saint des saints devant lequel, pour trouver la véritable paix de l’âme, nous sommes appelés à passer du temps devant le tabernacle.

Date de dernière mise à jour : 06/07/2025