5e Pentecôte (13/07 - lect. thom. év.)

Homélie du 5e dimanche après la Pentecôte (13 juillet 2025)

Lecture thomiste de l’évangile (Mt 5, 20-24)

  1. Une loi exigeante mais praticable par l’Esprit-Saint
    1. Intériorisation contre extériorisation

La loi des Juifs est si pointilleuse qu’elle est de facto impraticable. Son but n’était pas là, mais de dénoncer le péché des hommes : « pourquoi la Loi ? Elle a été ajoutée, pour que les transgressions soient rendues manifestes (…) ? S’il nous avait été donné une loi capable de nous faire vivre, alors vraiment la Loi rendrait juste. Mais l’Écriture a tout enfermé sous la domination du péché, afin que ce soit par la foi en Jésus Christ que la promesse s’accomplisse pour les croyants » (Ga 3, 19.21-22). La loi évangélique, plus exigeante, est praticable car l’Esprit Saint l’intériorise en nous et sa grâce nous la fait vivre joyeusement.

Dieu ne commande pas l’infaisable car c’est lui qui agit avec nous ! Autrement, il se serait condamné avec les pharisiens : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23, 4). La vertu rend heureux car elle est un art du bien vivre, un mode d’emploi de la vie droite. La vraie justice permet les vertus. Jésus ne reproche pas aux scribes et pharisiens l’iniquité, puisqu’il confirme la vérité de l’Ancien Testament en le comparant avec le Nouveau. Les deux alliances diffèrent par degré mais sont du même genre. La différence réside dans l’esprit avec laquelle on la vit : de l’extérieur ou de l’intérieur (la peur du gendarme ou l’amour de Dieu).

    1. Nécessité d’une cohérence

Les commandements de Jésus-Christ accomplissent parfaitement les commandements de Moïse qui délivraient de la peine portée contre les transgresseurs mais n’introduisaient pas dans le royaume des cieux. Violer ces moindres commandements ou ne pas les observer revient presque au même. Si le premier sera appelé dernier dans le royaume de Dieu, celui qui ne les garde pas n’entrera pas dans le royaume des cieux. On peut appartenir au peuple chrétien, être de son royaume ici-bas, sans régner avec le Christ ni partager sa gloire céleste dans l’au-delà.

La cohérence est essentielle. Notre justice doit dépasser celle des scribes et des pharisiens qui n’observent pas ce qu’ils enseignent : « Ils disent et ne font pas » (Mt 23, 3). Ne pas violer les commandements est une chose, mais mettre en pratique son enseignement en est une autre. Le royaume de Dieu dont parle beaucoup le Seigneur est une révélation propre au Nouveau Testament. Cette fin à laquelle se rapportent les commandements demeurait voilée sous l’ancienne loi, bien que les saints la prophétisaient et en faisaient leur règle de vie.

Après avoir cité la loi ancienne, le Christ ajoute « mais moi, je vous dis ». Il se pose en législateur divin pour cette loi de grâce. L’histoire sainte se divise en quatre stades : sub natura de la Création à Moïse où la loi était naturelle, sub lege quand la loi naturelle fut formalisée par le Décalogue, sub gratia à partir du Christ car l’Esprit-Saint permet de bien la vivre, sub gloria pour le Ciel où on n’est plus soumis au combat spirituel mais totalement purifié et récompensé.

    1. Anthropologie et distinctions importantes

Jésus va jusqu’à la racine du mal. L’homicide s’enracine dans la haine cherchant à nuire à son frère. Les préceptes moraux sur l’homme (les 7 derniers constituant la seconde table) sont négatifs : ‘tu ne tueras pas, tu ne mentiras pas, tu ne commettras pas l’adultère’. Mais le Christ fait entrer dans le précepte positif de l’amour. « Il a été dit aux anciens », montre la patience et la pédagogie de Dieu. L’humanité devait passer à un autre stade et obéir à des règles plus parfaites commandées par Dieu lui-même.

Mais ‘distinguendum est’ : il convient de distinguer car le diable se cache dans les détails. « Vous ne tuerez pas » exclut les animaux sans raison car le Créateur a soumis leur vie et leur mort à nos besoins. De même, ne pèchent pas les soldats d’une guerre juste ou menée par ordre divin ni les pouvoirs publics par une sentence de mort (juges ou bourreau).

Si l’anthropologie stoïcienne, trop irréaliste, rejetait toutes les passions de l’âme comme la colère, l’école aristotélicienne admet qu’un sage puisse les éprouver, mais modérées et soumises à la raison, par ex. en tempérant le sentiment de compassion pour sauvegarder la justice. La doctrine chrétienne quant à elle cherche surtout l’origine de l’affect.

  1. Le cas de l’homicide et de la colère
    1. La colère

Si un colérique sans raison est coupable, la colère légitime peut être utile car elle permet à la doctrine de progresser, à la justice de s’imposer en réprimant les crimes. Ne pas se mettre en colère lorsqu’il le faut est même peccamineux car une patience déraisonnable engendrerait tous les vices, la négligence et porterait au mal les mauvais et même les bons. Malgré « la colère de l’homme ne réalise pas ce qui est juste selon Dieu » (Jc 1, 20), si le juge ne cède pas à la colère mais, à froid, condamne à mort le coupable de crimes graves, cela est juste, comme de ne pas tolérer une injustice de son frère pour le ramener au bien. Produits par l’amour de la vertu et la sainte charité, conformes à la droite raison, ces mouvements ne sont pas vicieux. Certes, plutôt que s’emporter contre son frère, mieux vaudrait lutter contre le péché dont il s’est rendu coupable, donc rester dans l’objectivité et ne pas réduire l’homme à son mal. Mais la bonne morale enseigne que par l’action, on devient progressivement ce que l’on fait. Saint Thomas voit dans la colère une source d’énergie à canaliser dans la vertu de force.

    1. Ses degrés

La colère explose en paroles. ‘Raca’ en syriaque est ‘toi !’dans ‘Tais-toi, toi !’ ou en hébreu sans ‘sans valeur, esprit vide’ soit vaurien (vaut rien), bête. Mais ramener autrui au rang des animaux le prive de sa dignité humaine en niant sa différence spécifique d’intelligence nous distinguant des brutes. A fortiori l’âme du chrétien est le temple de l’Esprit saint (1 Co 3, 16) qui lui permet de connaître Jésus-Christ. Les Juifs l’employaient non sous la colère ou haine, mais par présomption, ce qui favorisait la dispute plutôt que l’édification : « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent » (Éph 4, 29).

Saint Augustin distingue divers degrés de colère. D’abord on se met en colère tout en la confinant dans son cœur ; puis l’agitation intérieure se trahit par un grommellement ne signifiant rien ; enfin on s’emporte à des injures outrageantes rendent encore plus coupable. Y correspondent trois degrés de culpabilité crescendo rendant passibles du jugement, conseil, ou feu de l’enfer. Dans le jugement, on peut se défendre encore. Le conseil prononce une sentence définitive, après que les juges ont délibéré sur le châtiment à infliger. Dans la géhenne du feu, la condamnation est certaine. Ou les deux premiers sont des peines ici-bas et l’enfer, le châtiment de la vie future. Cette vallée de l’Hinnom (Gé (ben) Hinnom) est un lieu de réprobation où des enfants avaient été sacrifiés par le feu à Moloch puis qui servit de dépôt de cadavres et enfin fut livré par Josias à la profanation (2 R 23, 10). En enfer, il existe divers degrés de punition où l’homicide sera puni plus durement.

    1. La réconciliation

La passion de l’indignation ne doit pas dégénérer en haine. ‘Si vous avez quelque chose contre votre frère’ mais ‘si votre frère a quelque chose contre vous’ montrer la nécessité de la réconciliation quand on a offensé quelqu’un. Si l’on est soi-même l’outragé, il faut pardonner pour que Dieu nous pardonne (cf. Notre Père). Si l’offensé fait malgré tout le premier pas, sa récompense sera double. Dieu n’agrée pas le sacrifice des chrétiens divisés. La discorde entre les hommes conduit Dieu à rejeter le moyen qu’il nous a donné pour effacer nos péchés. Dieu préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont dus. L’union des fidèles lui est plus chère que leurs offrandes.

La réconciliation doit être de même nature que l’offense. S’est-elle bornée à une simple pensée ? Réconciliez-vous intérieurement ! Avez-vous offensé votre frère par des injures ? Faîtes la paix par des paroles charitables ? Avez-vous agi outrageusement, réparez par des actes bons. Allons au-devant de la réconciliation, non par les pas du corps, mais par l’élan du cœur, aussi par le sacrement de pénitence. Alors réconcilié avec le prochain, l’œuvre de paix avec Dieu peut reprendre dans le culte pour que nous nous élevions de l’amour de nos frères jusqu’à l’amour de Dieu : « alors vous viendrez offrir votre don ». La bonne offrande requiert quatre conditions : la bonne humeur, la propriété sur l’objet offert, un lieu convenable et l’amour du prochain : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien » (1 Co 13, 3).

Date de dernière mise à jour : 20/07/2025