6e Pentecôte (20/7 - lect. thom. év.)

Homélie du 6e dimanche après la Pentecôte (20 juillet 2025)

Lecture thomiste de l’évangile (Mc 8, 1-9)

  1. Une seconde multiplication pour évangéliser tous les peuples

Pour la seconde fois dans l’évangile de Marc (cf. Mc 6, 34-44), apparaît une multiplication des pains. « J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger ». Jésus, contrairement à la manne qui ne manquait jamais, ne voulait pas toujours faire des miracles avec la nourriture, afin qu’on ne le suivît pas pour la nourriture elle-même comme l’aurait fait l’annone à Rome. Peut-être le Sauveur craignait-il que comme les animaux, cela ne fût leur unique préoccupation (panem et circenses). Mais il vit alors un danger menaçant ces foules : « Si je les renvoie à jeun chez eux, ils vont défaillir en route ». Pourquoi étaient-ils restés si longtemps auprès de lui ? Le parallèle indique : « il monta sur la montagne et il s’y assit, et des foules nombreuses vinrent à lui, avec de nombreux malades : ils les conduisirent à ses pieds et il les guérit » (Mt15, 29-30). Miracles, il y eut donc bien, et beaucoup, mais physiques, médicaux même, et non alimentaires. Les disciples ne comprenaient pas et, malgré tous ces miracles, ne croyaient pas encore à sa puissance, lui demandant : « Où trouver de quoi les rassasier de pains, ici, dans le désert? ». Le Seigneur en ne les reprenant pas, montre que nous ne devons pas nous emporter durement contre les ignorants ou les lents à croire mais les prendre en pitié.

Les trois jours pourraient évoquer la triple immersion du baptême à laquelle sont tous appelés. La première multiplication (Mc 6,35-44) des pains se situait sur la rive occidentale du lac, chez les Juifs, avec 5 pains pour 5000 hommes laissant 12 corbeilles, tous chiffres symboliques d’Israël pour la Torah ou les cinq livres du Pentateuque, les douze représentant les tribus d’Israël. Jésus y enseigna la vraie loi au peuple comme un nouveau Moïse. Mais la seconde multiplication des pains eut lieu sur la rive orientale du lac, chez les païens. 7 pains pour 4000 hommes laissant sept corbeilles symbolisent les nations car 70 est le chiffre des nations auxquels sont destinés les quatre évangiles. À ce peuple sans Loi c’est la Grâce et la Vérité de l’évangile que Jésus apporte : « Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1, 17).

Recueillir les restes par les apôtres tandis que les foules étaient éconduites pourrait signifier aussi l’intimité particulière requise des élus du Seigneur, allant au-delà, exigeant un plus grand abandon et de suivre une loi surnaturelle de célibat ou pureté. Les 4.000 pourraient signifier ceux qui vivent parfaits dans les quatre vertus cardinales et à cause de cela, sont d’autant plus vigoureux qu’ils mangent plus de nourriture et qu’ils en laissent moins que les 12 corbeille du premier miracle car les 5.000 Juifs étaient encore asservis aux cinq sens et ne purent manger mais ils furent rassasiés avec peu de nourriture. C’est pourquoi il restait en surabondance beaucoup de morceaux de pain pour atteindre le nombre des élus parmi les nations.

  1. La dimension sacerdotale du miracle en lui-même

Il s’assirent cette fois-ci par terre, alors qu’à la première, c’était sur l’herbe verte (Mc 6, 39), comme le Bon Pasteur qui mène ses brebis « sur des prés d’herbe fraîche » (Ps 23, 2). Symboliquement ces deux assises montrent que, si la Loi commandait de réprimer les désirs de la chair, l’Évangile prescrit d’abandonner aussi la terre elle-même et les richesses temporelles. Le Christ annonçait naturellement l’institution de la messe, nourriture spirituelle et prit les sept pains, rendit grâces et les rompit. Le Seigneur ne donna pas directement les pains ou les poissons à la foule mais aux disciples afin qu’ils les distribuassent à la foule. Cette médiation humaine rappelle le rôle sacerdotal. Par ailleurs, si Jésus dispense ses biens à tous, si quelqu’un ne tend pas les mains pour recevoir la nourriture dont il a besoin, il défaillira en route et ne pourra rejeter la faute sur celui qui a pitié de lui mais ne s’en prendre qu’à lui-même.

L’hérésie d’Eutychès, moins très influent à Constantinople vers 440, prétendait qu’il n’y aurait eu qu’une seule opération dans le Christ. Elle est ici réfutée. La pitié du Seigneur envers la foule relève d’un sentiment propre à l’humanité fragile tandis que rassasier quatre milliers d’hommes avec sept pains et quelques petits poissons, est l’œuvre de sa nature divine. Cette hérésie errait en croyant que la divinité du Verbe Incarné aurait en quelque sorte absorbé son humanité, le Christ ne possédant véritablement que la seule nature divine. Le monophysisme (littéralement une seule nature) qui estompait voire niait la réalité de la nature humaine du Christ fut réfuté au concile de Chalcédoine (451) affirmant que Jésus Christ est « vraiment Dieu et vraiment homme sans séparation et sans confusion ».

Ils mangèrent et furent rassasiés et on ramassa sept corbeilles de restes ! S’il s’était agi uniquement de nourriture terrestre et pas du pain des anges, à savoir la sainte réserve, on aurait pas compris pourquoi ils n’auraient pas pu emporter le surcroît pour les prochains jours ! Certes, comme la manne pourrissait (Ex 16, 20) si quelqu’un en avait trop pris, plus que le nécessaire d’une journée, nous devons nous en remettre à la divine Providence, en renouvelant quotidiennement notre acte de foi et d’abandon dans l’esprit du pain quotidien du Pater Noster. Ceux qui sont renvoyés (missionnaires, apôtres) sont tous alimentés par sa grâce. Ceux qui venaient de loin désignent soit les juifs particulièrement dépravés, soit des païens convertis à la foi, tandis que les Juifs étaient venus de plus près, ayant reçu une instruction complète par la Loi et les Prophètes qui émanaient de lui. « Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ (…) Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père » (Ép 2, 13. 17-18).

Les sept pains évoquent aussi les dons de l’Esprit Saint qui parachève tout. Le Seigneur, en nous envoyant sur notre chemin de croix terrestre de viatores, nous donne sa grâce aussi par le septénaire des sacrements. Les petits poissons évoquent la foi en la résurrection du Christ, notre espérance de le suivre pour vaincre la mort éternelle car il réclama du poisson grillé à ses disciples pour leur prouver, en mangeant, qu’il était bien ressuscité dans son corps (Lc 24, 42). Ce sont aussi les saints dont le Nouveau Testament contient la foi, la vie et les souffrances, et qui, retirés des flots tumultueux de notre époque ont rassasié notre for intérieur par leur exemple.

Date de dernière mise à jour : 20/07/2025