4e Pentecôte (25/06- 7 dons ES: force)

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La force

La force, quatrième don de l’Esprit-Saint, « nous inspire de l’énergie et du courage pour observer fidèlement la sainte loi de Dieu et de l’Église, en surmontant tous les obstacles et toutes les attaques de nos ennemis » (catéchisme de saint Pie X n°952). Dieu nous soutient dans notre faiblesse, nous offrant sa grâce : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4,13). Si le don de conseil nous fait discerner ce qu’il convient de faire, encore faut-il l’accomplir ! Le don perfectionne la vertu cardinale synonyme de force.

      1. La vertu cardinale de force dans la théologie de saint Thomas d’Aquin
  1. La vertu de force modère les craintes et les audaces

La vertu cardinale de force caractérise celui qui agit avec fermeté, ne le laissant pas écarter du bien par aucune crainte d’un mal potentiel. Pour sauvegarder le plus grand bien, la force préfère affronter les périls (II-II, 123, 11), y compris la mort et les souffrances qui l’entourent. Endurer un mal physique (la mort, la misère) vaut mieux qu’accepter de commettre un mal moral (un péché en reniant sa foi, son honneur). Le premier est un mal de peine qu’on subit tandis que le second est un mal de faute qu’on choisit et pour lequel nous serons jugés par Dieu au contraire du premier qui sera compté comme mérite.

L’étalon de la vertu chrétienne de force est le martyre (II-II, 124, 2). « On ne demande pas à l’homme fort d’éprouver de la délectation en ressentant la souffrance, mais il lui suffit de ne pas céder à la tristesse » (II-II, 123, 8) comme Éléazar : « je souffre dans mon corps de cruelles douleurs, mais dans mon âme je les supporte volontiers par crainte de Dieu » (2 M 6, 30). Si la peur nous recroqueville sur nous-mêmes, nous contracte, le fort affonte le danger, sans toutefois le provoquer. Comme toute vertu cardinale, la force ou courage tient le juste milieu (in medio stat virtus, I-II, 64, 1) entre deux excès : la témérité et la lâcheté.

  1. Sustinere et aggredi

La force endure les maux et les affronte courageusement. « Il ne faut pas seulement subir fermement l’assaut de ces difficultés en réprimant la peur, mais aussi s’y attaquer avec modération, quand il faut les exterminer pour assurer sa sécurité future (…) La force concerne la crainte et l’audace, en réprimant la crainte et en modérant l’audace » (II-II, 123, 3).

Mais des deux, l’acte principal du courage est de supporter en réprimant les craintes. C’est plus difficile et donc plus vertueux car c’est généralement du côté du faible. Lorsqu’on attaque, on est en position de force. De plus, supporter un péril se vit au présent tandis que se mettre en marche (ad-gredere, cf. aggression) pour attaquer reporte à un avenir proche. Enfin, la durée est généralement plus longue d’où l’endurance, alors que l’attaque est brève. « Certains volent au-devant des dangers, mais s’enfuient quand ils les rencontrent ; les hommes forts font le contraire » (Aristote in II-II, 123, 6, ad 1). Dans certains cas, souffrir et endurer sont la seule résistance (Josef Pieper). Cette passivité reste vertueuse car l’âme endurant la souffrance agit en tenant fermement au bien (II-II, 123, 6, ad 2).

  1. Les parties qui composent cette vertu

La force est liée à d’autres vertus comme la confiance (Cicéron) ou magnanimité (saint Thomas). Elle « englobe une grandeur dans l’espoir humain, un esprit d’entreprise qui ne craint pas d’innover ni de risquer, une réalisation par l’homme des énergies qu’il sent en lui » (Y. Congar). La magnificence, ou constance dans l’exécution empêche de lâcher prise malgré l’ampleur de la tâche (II-II, 128).

La patience « supporte volontairement et longtemps des épreuves ardues et difficiles, par un motif de service ou d’honnêteté ». Elle empêche la tristesse de nous détourner du bien par abattement ou découragement et « nous fait supporter nos maux d’une âme égale » (saint Augustin, II-II, 136, 1), d’où équanimité (æqua anima). Si le fort refuse de fuir par peur de périls futurs et domine ses craintes, le patient domine la tristesse des souffrances présentes (II-II, 136, 4, ad 2). En effet, le risque est de s’arrêter en chemin, de ne pas aller jusqu’au bout de notre vocation à la sainteté par la pratique des vertus, que ce soit par distraction ou par découragement et fatigue : « Suivez jusqu’au bout la route que je vous prescris et vous serez heureux » (Jer. 7, 23).

Aller jusqu’au bout, ne pas renoncer en perdant cœur (He 12,3), suppose la persévérance qui nous fait « demeurer de façon stable et perpétuelle dans un parti adopté avec délibération » (cf. Col 1, 11). La persévérance implique une durée prolongée (II-II, 137, 1) comme la maladie, la disette ou la pauvreté tandis qu’un danger de mort violente est beaucoup plus rare et ponctuel. Ajoutons toutefois le combat pour la sainteté. Nombreuses sont les épreuves de l’adversité et du démon qui induisent la fatigue. Or, celle-ci peut nous faire préférer des plaisir sensibles qu’un combat métaphysique (II-II, 128 et 137, 1). Elle s’oppose à la mollesse, quand « on renonce facilement au bien à cause des difficultés qu’on ne peut soutenir (…), cédant facilement à la pression (…). Aussi Aristote définit exactement l’homme mou : celui qui s’éloigne du bien à cause des tristesses causées par l’absence de voluptés, parce qu’il cède à une très faible impulsion » (II-II, 138, 1). Le fort renonce à certains plaisirs, ayant hiérarchisé ses valeurs.

      1. Le don de force
  1. L’aspect surnaturel de la patience et de la persévérance

Parachever une entreprise commencée dépasse parfois les facultés humaines, en particulier quand on recherche la vie éternelle. Ce but est inatteignable sans l’Esprit-Saint qui infuse à l’âme « une certaine confiance, excluant la crainte opposée » (II-II, 137, 1). Patience et persévérance surnaturelles perfectionnent une disposition naturelle de l’homme.

Il faut beaucoup aimer le bon Dieu pour accepter d’endurer des souffrances plutôt que de s’arrêter de cheminer vers la sainteté : « l’âme a en horreur la tristesse et la douleur, si bien qu’on ne choisirait jamais de les souffrir pour elles-mêmes, mais seulement en vue d’une fin. Il faut donc que ce bien pour lequel on veuille souffrir des maux soit voulu et aimé davantage que ce bien dont la privation nous inflige la douleur que nous supportons patiemment. Or, préférer le bien de la grâce à tous les biens naturels dont la perte nous fait souffrir, cela appartient à la charité qui aime Dieu par-dessus tout. Aussi est-il évident que la patience, en tant qu’elle est une vertu, a pour cause la charité, selon saint Paul : ‘La charité est patiente’ (1Co 13,4) ». Cette charité est corollée au don de force (II-II, 136, 3).

De même, il faut une grande charité pour son prochain quand on endure patiemment les maux qu’il nous inflige : « La longanimité paraît différer de la patience, parce que ceux qui pèchent par faiblesse plutôt que par mauvaise volonté, c’est par longanimité qu’on les supporte ; mais pour ceux qui, avec obstination, se complaisent dans leurs voluptés, il faut dire qu’on les supporte avec patience » (II-II, 136, 5, SC). La longanimité supporte l’incontinence de ses frères mais la patience leur intempérance.

  1. Pouvoir atteindre la vie éternelle en endurant le combat spirituel

Le niveau naturel et surnaturel de la force se distinguent en trois points. Premièrement, le bien surnaturel, Dieu, n’est compris et aimé que par les vertus théologales de foi, espérance, charité qui viennent de Dieu. Deuxièmement choisir Dieu peut impliquer de renoncer même au bien supérieur naturel pour lequel se sacrifie le fort simple vertueux, ce qui est paraît une imprudence ou folie. Le martyr n’est pas un brave soldat mort au champ d’honneur en défendant sa patrie car la réalité supérieure est au-delà du monde. Troisièmement tenir à ce bien suprême transcendant, hors de portée humaine, est plus difficile car les raisons d’agir ainsi ne sont pas à vue humaine.

Le degré inférieur est la force politique du quotidien, dans une vie sociale normale où s’applique tout le niveau naturel. Au second degré de purification, l’homme entend réaliser plus éminemment l’image divine et, passant le seuil de la vie mystique, déploie plus parfaitement l’amour surnaturel de Dieu et les dons de l’Esprit-Saint. Le troisième degré de l’esprit purifié transformé n’est atteint qu’aux niveaux les plus élevés de la sainteté, dont le martyre (Pieper). Saint Paul dut affronter de terribles épreuves (2 Cor 11, 30). Humainement parlant, qui aurait pu tenir ? « Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Cor 12, 10) est illustré par la « petite » Thérèse : « Ah, si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance ».

Conclusion

Saint Augustin attribue la quatrième béatitude « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » au don de force, en raison d’une certaine convergence car il est très ardu d’accomplir non seulement les œuvres de justice, mais encore de les faire avec un désir insatiable. Jésus à Gethsémani a éprouvé dans son humanité l’angoisse de tout être humain devant la mort et la souffrance. « Le don de force est comme cet ‘ange’, il est cet élan intérieur qui nous donne d’affronter la réalité des événements sans cesser de rester uni au Père. Il nous aide à faire face aux difficultés et aux contrariétés avec cette patience silencieuse qui sauvegarde la paix intérieure ». Le don de force procure au baptisé les moyens d’accomplir jusqu’au bout ce qui est nécessaire au salut et nous aide à faire face aux épreuves et contrariétés. Il perfectionne la vertu cardinale de force. Il nous fait « dire non à la facilité, aux conformismes, aux compromis avec le mensonge, à toute forme d’injustice » (P. Ludovic Lécuru).