Fête-Dieu (11/06 - 7 dons ES: intellig.)

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Les sept dons de l’Esprit-Saint : l’intelligence

L’intelligence est le second don de l’Esprit-Saint « par lequel nous est facilitée, autant que c’est possible pour un homme mortel, l’intelligence de la foi et des divins mystères que nous ne pouvons connaître par les lumières naturelles de notre esprit » (catéchisme de saint Pie X, n°950). Ce don ne dépend pas des dispositions naturelles, du quotient intellectuel. « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Mt 11, 25-26). Appliquant cette phrase, sainte Thérèse de Lisieux expérimenta la petite voie de l’enfance. Le Seigneur et sa Mère privilégient comme voyants d’apparitions les pauvres, voire les rejetés car ils ne font pas obstacle à l’œuvre de Dieu : « Mais ce trésor, nous le portons en des vases d’argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous » (2 Cor 4, 7). En 1858 sainte Bernadette ne savait encore lire ni écrire correctement quand elle transmit ce nom incompréhensible de la Vierge : « Je suis l’Immaculée Conception ».

      1. L’intelligence dans la théologie de saint Thomas d’Aquin
  1. Un don qui pénètre à l’intime des choses de la foi

« Nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Car c’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit » (1 Co 2, 9-10). Sur la route d’Emmaüs (Lc 24,13-27), les disciples s’en retournaient chez eux, tristes et ne comprenant pas. Le Christ les rejoignit incognito. Il éclaira leur cœur avec ce don d’intelligence pour qu’ils comprissent les desseins de Dieu dans l’Écriture sainte. Alors seulement, ils purent le reconnaître.

Intelligence signifie étymologiquement ‘lire de dedans’ (‘intus’ + ‘ legere’), voire relier (‘ligare’) des choses en les mettant en rapport de l’intérieur. Bref, une certaine connaissance intime, telle que Dieu les comprend. Mais normalement la connaissance, chez l’homme, commence toujours par l’extérieur, par l’expérience des sens avant de remonter à l’essence de la chose. D’après l’empirisme d’Aristote, saint Thomas tira le principe : « il n’est rien dans l’intellect qui ne fût d’abord dans le sens » (nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu). Plus la lumière de l’intelligence est forte, plus elle pénètre à l’intime des choses. Cependant, il ne s’agit là que de connaissance humaine. Or, le don d’intelligence revêt une dimension surnaturelle, comme une intuition divine. Certaines choses sont inacessibles autrement. Des réalités, qui nous dépassent car de l’ordre de la foi, sont saisies directement de l’intérieur, par cette lumière surnaturelle donnée à l’homme (II-II, 8, 1).

Du côté de la foi, distinguons deux choses. Les vérités qui dépassent la raison naturelle (Dieu un et trine, l’Incarnation) ne peuvent être comprises par l’intelligence parfaitement ici-bas. Seule la béatitude au Ciel perçoit l’essence de la réalité divine, en voyant Dieu face à face, tel qu’il est. Les autres vérités qui lui sont ordonnées de quelque manière, toutes celles contenues dans la sainte Écriture, peuvent être parfaitement comprises ici-bas. Le don d’intelligence s’y applique et s’étend aussi aux bonnes actions, à la morale, à l’agir droit.

  1. Intelligence et grâce sanctifiante

Tout chrétien en état de grâce sanctifiante est doté de ce don. La grâce, don de charité donné par l’Esprit Saint, ordonne correctement la volonté au bien surnaturel. Mais pour vouloir le vrai bien qu’est Dieu, il faut d’abord le connaître, ce qui relève du don d’intelligence. « le bien ne peut être aimé s’il n’est [d’abord] connu » (nihil amatum quod non præcognitum, I-II, 27, 2). Même si les croyants n’ont pas tous la pleine intelligence des choses à croire, tous saisissent que c’est à croire et qu’on ne doit s’en écarter pour rien au monde (II-II, 8, 4).

Si grande que soit la connaissance de certaines vérités, ce n’est qu’un préambule, même pour un prophète, si l’homme n’obtient pas le don d’intelligence. Cette juste appréciation de la finalité de notre vie va de pair avec les vertus (II-II, 8, 5). Bien vivre, droitement, permet de recevoir avec la grâce ce don d’intelligence. D’où la distinction entre l’intelligence naturelle et surnaturelle. Einstein eut des intuitions intellectuelles naturelles pour élaborer ses formules révolutionnaires en physique, mais ne possédait pas le don d’intelligence car il ne croyait pas et vivait en état de péché mortel[1].

      1. Don d’intelligence et vie spirituelle
  1. Connexion avec les autres dons de l’Esprit Saint

Le don d’intelligence se distingue des autres dons parce que l’intellect relève de la raison, faculté de connaître, tandis que piété, force et crainte relèvent de la volonté, puissance appétitive ou faculté de désirer. Toutefois les trois autres dons de sagesse, science et conseil résident aussi dans la raison. Tous les quatre sont ordonnés à la connaissance surnaturelle fondée sur la foi qui « vient de ce qu’on entend » (Rm 10,17), soit un enseignement. Or la foi s’attache principalement à la vérité première qu’est Dieu, puis à certaines considérations sur les créatures, enfin à diriger les actions comme « une foi agissant par la charité » (Ga 5, 6).

Une double exigence s’impose face aux propositions de foi que nous devons croire : d’abord les pénétrer, les saisir intellectuellement, par le don d’intelligence. Puis avoir à leur sujet un jugement droit pour s’y attacher et s’éloigner de leur contraire. Ce jugement-là, quant aux réalités divines, relève du don de sagesse ; quant aux réalités créées, du don de science ; quant à l’application aux actions, du don de conseil.

Saint Grégoire oppose à ces quatre dons des vices. L’hébétude ou l’esprit émoussé reste superficiel et s’oppose à l’acuité de l’intelligence pénétrant à l’intime de la chose. La sottise juge mal de la cause et fin générales de la vie. L’ignorance s’oppose à la science Cette insuffisance de l’esprit, même sur les créatures, empêche un jugement droit même sur les causes particulières. La précipitation s’oppose au conseil, agissant avant que la raison n’ait délibéré (II-II, 8, 6).

  1. La sixième béatitude « Heureux les cœurs purs parce qu’ils verront Dieu »

« On appelle fruits de l’Esprit certaines activités ultimes et délectables qui proviennent en nous de la vertu de l’Esprit saint (…). Au don d’intelligence correspond, comme fruit propre, (…) la certitude de foi ; mais, comme fruit ultime (…) la joie, qui se rattache à la volonté » (II-II, 8, 8). Le fruit d’une connaissance pratique n’est pas en elle-même : on ne sait pas pour savoir, mais pour autre chose. Au contraire, la connaissance spéculative a son fruit en elle-même : la certitude de la foi.

La sixième béatitude se décompose en mérite : « Heureux les cœurs purs » et en récompense : « parce qu’ils verront Dieu ». Les deux appartiennent au don d’intelligence. Il y a en effet une double pureté.

    • L’une dispose à la vision de Dieu en purifiant des affections désordonnées par les vertus et les dons qui perfectionnent le désir (puissance appétitive).
    • L’autre est plus achevée, spirituelle. Par le don d’intelligence, notre âme est purifiée des fausses idées ou erreurs. Ce qui est dit de Dieu n’est plus reçu suivant des images corporelles, ni selon des déformations hérétiques.
  • Semblablement, il y a une double vision de Dieu.
    • La parfaite permet de voir l’essence de Dieu au Paradis.
    • L’imparfaite si elle ne permet pas de voir Dieu tel qu’il est, nous fait du moins voir ce qu’il n’est pas. Ici-bas, notre connaissance de Dieu se perfectionne si notre intelligence saisit qu’il dépasse tout ce que nous pouvons comprendre (Deus semper maior). Ce don d’intelligence est commencé dans notre état de pèlerins sur Terre mais sera consommé dans la Patrie céleste (II-II, 8, 7).

Conclusion

Notre conception de Dieu doit être purifiée (image d’un Dieu père fouettard ou sentimentaliste à l’eau de rose, ou doloriste, ou gnostique) : « car mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies, oracle du Seigneur. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Is 55, 8). Pour voir Dieu, on doit mourir à ses propres idoles, même de perfection spirituelle ! « Nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33, 20) ne s’applique pas qu’à la mort physique. Pour y parvenir, recourons à l’oraison et à l’adoration eucharistique : « tout ce que nous pouvons connaître de Dieu au plan intelligible ne suffit plus devant le Saint-Sacrement » (P. Jean-Miguel Guarrigues, op).

Ce don d’intelligence est lié à la purification dans la vie spirituelle. Bien reçu et appliqué, il nous permet de traverser l’épreuve de ‘la nuit mystique’ théorisée par saint Jean de la Croix (nuit des sens, nuit des puissances de l’âme, nuit de l’esprit), lorsque les limites de nos facultés de comprendre (raison) et d’aimer (volonté) sont atteintes. Il convient alors d’abdiquer notre propre effort pour accepter de se laisser saisir par Dieu.

 

[1] Highfield, Roger et Carter, Paul, The Private Lives of Albert Einstein : « son goût pour les femmes se combinait avec un mépris pour leur intellect et leur personnalité proche de la misogynie ».