Homélie du 4e dimanche après la Pentecôte (16 juin 2024)
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Lecture thomiste de l’épître (Rm 8, 18-23)
Saint Paul explique pourquoi l’héritage de la vie immortelle n’est pas donné immédiatement aux enfants de Dieu. Il nous faut souffrir avec Jésus-Christ pour être associés à sa gloire. Comme un tel héritage est onéreux, nous faisant passer par des épreuves, il importe donc de voir l’excellence de la gloire future comparativement aux souffrances présentes.
- L’excellence de la gloire à venir
Il nous faut souffrir pour être glorifiés et nous ne devons pas reculer devant les épreuves pour obtenir la gloire. Saint Paul parle d’expérience car il est passé lui-même par ce chemin à la suite de Jésus, n’étant pas plus grand que le maître. Passé par plus de nombreuses épreuves que bien d’autres apôtres car il devait expier son lourd passé de persécuteur : « dans les fatigues, bien plus ; dans les prisons, bien plus ; sous les coups, largement plus ; en danger de mort, très souvent » (2 Co 11, 23), l’apôtre des gentils a aussi déjà pu entrapercevoir la gloire future : « emporté au paradis et il a entendu des paroles ineffables » (2 Co 12, 4).
L’apôtre montre d’abord l’excellence de cette gloire par son éternité, donc après la vie présente. En raison de sa durée, elle surpasse les épreuves circonscrites dans ce temps : « car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous » (2 Co 4, 17). Puis nous serons revêtu de la dignité divine soit sanctifiés : « que les fidèles exultent, glorieux, criant leur joie à l'heure du triomphe » (Ps 149, 5). Et si les saints ne se rendent pas compte ici-bas qu’ils possèdent déjà la gloire, cachée à leurs yeux : « ce qui fait notre fierté, c’est le témoignage de notre conscience » (2 Co 1, 12), ils connaîtront leur état qui sera manifesté publiquement, en présence de tous, bons et méchants : « à sa vue, ils seront pris d’une peur épouvantable, sidérés de le voir sauvé contre toute attente » (Sg 5, 2). Enfin alors que la gloire des hommes est toute fausse, à la surface des choses comme « ceux qui s'appuient sur leur fortune et se vantent de leurs grandes richesses » (Ps 48, 6), cette gloire se manifestera en pleine vérité qui est toute intérieure : « en effet, le règne de Dieu est au dedans de vous » (Lc 17, 21, Vulg.).
S’il se soumet volontairement à ces épreuves pour Dieu, par l’amour que l’Esprit Saint produit en nous, l’homme peut mériter la vie éternelle (cf. Jn 4, 14) d’un mérite de condignité car Dieu s’est fait notre débiteur par sa promesse et entend la tenir en toute justice (alors que par le mérite de congruité ou convenance, on compte sur sa bonté miséricordieuse pour son don purement gratuit). Toutes les créatures attendent la manifestation des enfants de Dieu : « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 2). La dignité de la filiation divine est cachée dans les saints par les épreuves extérieures mais dans la suite sera révélée quand les justes recevront la vie immortelle et glorieuse qui sera même reconnue par les réprouvés qui comprendront que ce sont eux qui se sont fourvoyés : « Pourquoi est-il compté parmi les fils de Dieu ? Pourquoi partage-t-il le sort des saints ? » (Sg 5, 5).
- L’attente des créatures…
- Polysémie de ‘créature’
‘Créature’ a plusieurs sens et recouvre soit les hommes justes, créatures de Dieu, qui persévérant dans le bien dans lequel ils ont été créés, excellent par rapport aux autres « comme les prémices de toutes ses créatures » (Jc 1, 18), « attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ » (Tt 2, 13). Ou ‘créature’ désigne la nature humaine elle-même, pas encore justifiée mais informe chez les pécheurs, et chez les justifiés en partie restaurée par la grâce mais encore imparfaite ici-bas, comme la matière attend la forme ou la couleur la figure pour se compléter « durant tous ces jours de combat actuel, j’attends que mon changement vienne » (Jb 14, 14, Vulg.). Enfin, plus largement, la créature peut englober tout être sensible « car à travers la grandeur et la beauté des créatures, on peut contempler, par analogie, leur auteur » (Sg 13, 5). L’attente est alors la fin naturelle à laquelle elle tend au travers de sa forme et vertu naturelles assignées par Dieu tel l’arbre ‘attendant’ sa fructification. Mais une autre fin, surnaturelle et glorieuse, lui est aussi promise, à l’exemple du corps humain, car toute créature sensible recevra comme une gloire nouvelle : « un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus » (Ap 21, 1).
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- Soumise à la vanité
La vanité à laquelle la créature est assujettie vient de son imperfection car celui à qui rien ne manque n’attend rien. Même s’il sait que dans la vie présente « vanité des vanités, et tout est vanité » (Sir 1, 2), l’homme juste se trouve malgré tout forcé de s’occuper de ces choses corporelles sujettes aux changements et périssables. Il s’y adonne sans le vouloir parce qu’il n’aime pas ces choses temporelles, à la différence des autres qui s’en repaissent. Il est donc dans l’attente/espérance (cf. le verbe espagnol esperar) d’en être un jour délivré. « À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel » (Mt 22, 30) car on est alors totalement absorbé par l’unique nécessaire, Dieu. Enfin, la vanité s’entend encore de la passibilité, de la fragilité de l’existence humaine, « vois le peu de jours que tu m'accordes : ma durée n'est rien devant toi. L'homme ici-bas n'est qu'un souffle » (Ps 38, 6, Vulg.) exprime le vide, la vanité infligée comme un châtiment à la nature humaine. Toute peine (maladie, vieillesse et mort) est contre la volonté puisque la faute qu’elle compense était faite par la volonté. Toutefois notre nature humaine soumise à ces agitations par l’arrêt de Dieu, espère y échapper un jour : « Celui qui triture le blé n’écrasera pas toujours » (Is 28, 28). Toute nature sensible voudrait ne pas mourir mais se perpétuer dans l’être, l’instinct de conservation.
Cette espérance n’est pas vaine, puisque la créature elle-même sera affranchie de l’asservissement à la corruption pour entrer dans la liberté et gloire des enfants de Dieu. Le juste ne peinera plus pour se procurer les nécessités de la vie corporelle (se nourrir, vêtir, reproduire). Bien qu’ils aient dès maintenant la liberté de la justice, qui affranchit de la servitude du péché, ils n’ont pas encore la liberté de la gloire, qui affranchit de la servitude des misères. La nature humaine elle-même souhaite être libérée et de la coulpe/faute et encore de la mort : « quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : ‘la mort a été engloutie dans la victoire’ » (1 Co 15, 54). La mutabilité, l’instabilité seront dépassées dans l’éternel présent de Dieu qui a préparé pour nous cette recréation/récréation en lui : « je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit » (Is 65, 17).
- … dans les gémissements
- Un long enfantement
Nous gémissons de subir des choses qui répugnent à notre volonté. L’enfantement évoque aussi l’attente douloureuse. Le mouvement, comme s’il fatiguait même les astres, cessera : « ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera » (Ap 22, 5). Tous entreront dans ce repos de Dieu (Gn 2, 2) qu’est la cessation de tout travail. Mais que ces biens espérés soient différés nous fait gémir (Lm 1, 22) : « attente prolongée : cœur dolent » (Pr 13, 12). Dans notre impatience, nous aimerions atteindre déjà le but sans avoir à passer par la croix qui en est le pont : « La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde » (Jn 16, 21).
« Jusqu’à cette heure » montre que l’affliction ne cesse pas avec notre justification mais demeure jusqu’à la mort. Si quelques-uns déjà délivrés (morts) sont dans la gloire, nous nous restons et souffrons : « Où en est la promesse de son avènement ? En effet, depuis que les pères se sont endormis dans la mort, tout reste pareil depuis le début de la création » (2 P 3, 4).
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- L’attente apostolique
Cette attente de la créature est partagée par les apôtres. Ceux-ci ont une dignité particulière. Comme parmi les fruits de la terre, le premier parvenu à la maturité est le meilleur et le plus recherché, les apôtres sont les prémices car ils ont obtenu les premiers chronologiquement l’Esprit Saint et aussi quantitativement plus que les autres : « Israël fut le saint du Seigneur, les prémices de ses fruits » (Jr 2, 3). À ce titre ils sont « l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux » (He 12, 23). De tous les saints, de quelque prérogative qu’ils brillent : virginité, doctrine, science ou martyre, toujours les apôtres sont les premiers, parce qu’ils ont reçu avec plus d’abondance l’Esprit Saint. La grandeur du mérite se mesure principalement à la charité car la récompense essentielle consiste dans la joie que l’élu ressent de la possession de Dieu. Ceux qui l’aiment davantage se réjouiront davantage de Dieu : « celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn 14, 21). Or, dans l’homme, la charité ne vient pas de lui, mais de la grâce de Dieu : « à chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ » (Ép 4, 7). Or Dieu accorde à chaque homme une mesure de grâce proportionnée à la fin pour laquelle il est choisi. Ainsi une grâce très excellente fut-elle donnée à l’Homme-Dieu, parce que sa nature humaine devait être élevée à l’unité de la personne divine. Après lui, la bienheureuse Marie a obtenu une grande plénitude de grâces car choisie pour être la mère de Jésus-Christ. Mais parmi les autres saints, les apôtres furent choisis pour recevoir immédiatement de Jésus-Christ et transmettre aux autres la doctrine du salut et qu’ils sont les fondements de l’Église : « la muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau » (Ap 21, 14). « Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres » (1 Co 12, 28).
Saint Paul exprime la même ardeur de l’attente que le psalmiste « je m'épuise à force de gémir » (Ps 6, 7). Mais ce gémissement est plus intérieur (‘au-dedans de nous’) qu’extérieur, procédant de l’intimité du cœur et ayant pour objet les biens intérieurs de l’âme. Il attend l’effet complet de cette adoption, commencée par l’Esprit Saint qui justifie l’âme mais qui sera consommée quand le corps lui-même sera glorifié à la fin des temps, lorsque le Christ reviendra, d’où la ‘rédemption de nos corps’ (cf. Os 13, 14) : « lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir » (Ph 3, 21). Par l’Ascension la tête de notre corps mystique est déjà passé au Ciel et le reste aspire à l’y rejoindre, comme un accouchement céleste.