Fête-Dieu (02/06 - lect. thom. ép.)

Homélie de la Fête-Dieu (dimanche 2 juin 2024)

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Lecture thomiste du début de l’épître (1 Co 11, 23-24)

Saint Paul traite de la dignité du sacrement de l’Eucharistie. L’autorité de la doctrine est montrée par son auteur, Jésus-Christ qui l’a révélée à l’apôtre. Cela n’est donc pas invention humaine, même si cela passe ensuite par l’autorité du ministre : « Paul, apôtre, (c’est-à-dire) envoyé non par des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus Christ » (Ga 1, 1). Il s’inscrit dans la longue lignée de la tradition ou transmission par une chaîne ininterrompue de missionnaires choisis et envoyés par Dieu, depuis les apôtres élus par Jésus jusqu’à nous. « Ce que j’ai entendu de la part du Seigneur de l’univers, Dieu d’Israël, je vous l’annonce » (Is 21, 10). « Ce que j’ai appris sans calcul, je le partage sans réserve, je ne veux rien dissimuler de ses richesses » (Sg 7, 13).

  1. Principes généraux sur l’Eucharistie
  1. Signe visible d’une grâce invisible

Le Christ a lui-même institué ce sacrement. Dans les sacrements, le Seigneur Jésus a la puissance suprême, à laquelle appartiennent quatre prérogatives. La puissance et le mérite de Jésus-Christ opèrent dans les sacrements. C’est en son nom que le sacrement devient un rite sacré. Il peut opérer sans le sacrement l’effet même du sacrement. L’institution d’un nouveau sacrement est son ouvrage.

Tous les sacrements sont institués pour les nécessités de la vie spirituelle. Parce que le sacrement est signe visible et efficace d’une grâce invisible, il a quelque ressemblance avec ce qui est nécessaire à la vie corporelle. À la génération correspond le baptême, qui nous régénère pour la vie spirituelle en lavant notre âme du péché originel comme nous nous lavons le corps avec l’eau. À l’accroissement de la vie corporelle pour atteindre sa maturité (sexuelle capable de transmettre la vie) se rapporte la confirmation, où l’Esprit Saint fortifie l’âme pour témoigner de la foi et la transmettre aux autres. Enfin, comme le corps s’alimente pour se soutenir, la vie spirituelle est sustentée par l’Eucharistie : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer » (Ps 22, 1-2).

  1. Convenance de l’institution de l’Eucharistie telle que nous la pratiquons

Si l’engendrement n’implique qu’une puissance, l’aliment s’incorpore à la substance de celui qui le reçoit. Tandis que dans le baptême, Jésus-Christ ne réside pas selon sa substance mais seulement selon sa force, dans l’Eucharistie, Jésus-Christ est présent selon sa substance. Toutefois, il y est contenu sous une autre espèce que sa chair, pour que les fidèles n’éprouvent pas de la répugnance à manger une chair crue et sanguinolente, pour éviter que cela ne devienne un objet de dérision pour les infidèles (comme contre des anthropophages) et pour augmenter le mérite de la foi, qui consiste à croire ce que l’on ne voit pas.

Ce sacrement est donné sous les deux espèces du pain et du vin pour être parfait. Comme la réfection corporelle n’est parfaite qu’autant qu’elle renferme une nourriture et un breuvage, la réfection spirituelle doit recouvrir les deux : « tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle (…) : c’était le Christ » (1 Co 10, 3-4). Sa mort est signifiée par l’exsanguination puisque par la double consécration du pain puis du vin, le sang du calice est sorti de son corps comme l’agneau pascal égorgé. L’effet salutaire est signifié par les deux espèces. Pour le salut du corps, on offre le corps et pour le salut de l’âme, on offre le sang, car symboliquement « l’âme est dans le sang » (cf. « Mais, avec la chair, vous ne mangerez pas le principe de vie, c’est-à-dire le sang » (Gn 9, 4)).

Ce sacrement est spécialement offert sous les espèces du pain et du vin parce que ces deux aliments sont ceux dont les hommes se servent plus communément pour leur nourriture, tout comme l’eau pour se laver ou l’huile pour les onctions. Ensuite le pain donne de la vigueur au coeur de l’homme, et le vin de la joie (Ps 103, 15). Enfin, le pain se confectionnant avec la farine produite de plusieurs grains, et le vin s’extrayant de plusieurs grappes, signifient l’unité de l’Église composée d’un grand nombre de fidèles et l’Eucharistie devrait être spécialement le sacrement de l’unité et de la charité même si elle est pierre d’achoppement contre les hérétiques.

  1. L’institution proprement dite
  1. Temps et mode

Il était particulièrement convenable qu’il instituât lui-même l’Eucharistie puisqu’on y participe à son corps et à son sang : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde » (Jn 6, 52). « La nuit où il était livré » indique le temps de l’institution, à savoir la Sainte Cène du Jeudi Saint (6 avril de l’an 30). L’âme, au milieu de la nuit humaine, en est illuminée : « J’avais dit : ‘Les ténèbres m’écrasent !’ mais la nuit devient lumière autour de moi. Même la ténèbre pour toi n’est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière ! » (Ps 138, 11-12). Il allait tout juste entrer dans sa Passion, cette souffrance qui nous rachète de la mort dont ce sacrement est le mémorial.

Toujours dans la sacramentaire, le geste s’unit à la parole. En prenant le pain, Jésus accepta volontairement sa Passion que ce sacrement rend présente. « Il a été offert parce qu’il l’a voulu » (Is 53, 7, Vulg.). Il reçut de son Père la puissance d’instituer ce sacrement parce que « tout m’a été remis par mon Père » (Mt 11, 27). En rendant grâce, Jésus nous donne l’exemple de remercier (‘grazie’ en italien, ‘gracias’, en espagnol) car « rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus » (1 Th 5, 18). En le rompant, il partage avec l’indigent : « partager ton pain avec celui qui a faim » (Is 58, 7). Certes, l’usage liturgique consacre avant de rompre, donnant l’impression d’inverser l’ordre alors qu’elle ne fait que reprendre le « pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit » (Mt 26, 26) et cette bénédiction n’était rien d’autre que ce que le Seigneur a dit : « Ceci est mon corps ».

Par la parole « prenez », le Seigneur a prescrit l’usage du sacrement. Ce n’est ni par la puissance ni en vertu du mérite de l’homme que ce sacrement vous est accordé, mais par un bienfait insigne de Dieu : « vous avez donné à votre peuple une nourriture d’ange » (Sg 16, 20). C’est bien sûr pour le manger : « Ceux qui logeaient sous ma tente [le tabernacle, signe de la présence du Seigneur] le disaient bien : ‘Qui n’a-t-il pas rassasié de viande ?’ » (Jb 31, 31) afin d’avoir la vie éternelle (Jn 6, 54). Ce qui n’empêche pas d’adorer en d’autres occasions !

  1. Vérité de la présence réelle contre les hérésies

Toutefois, ces paroles ne sont pas essentielles à la forme de la consécration. Si les autres sacrements s’accomplissent non par la consécration de la matière, mais par l’usage de la matière consacrée (l’ablution de l’eau, l’onction des huiles) c’est que pour les autres, dans leur matière, ne réside nulle nature raisonnable susceptible de recevoir la grâce sanctifiante. Raison pour laquelle dans la forme des autres sacrements, on en mentionne l’usage en disant ‘Je te baptise’ ou ‘Je te confirme’. Tandis que l’Eucharistie s’accomplit dans la consécration même de la matière qui contient Jésus-Christ lui-même, fin de toute grâce sanctifiante. Voilà pourquoi les paroles de l’usage du sacrement ne sont pas de la substance de la forme, mais seulement « ceci est mon corps » qui exprime la vérité du sacrement et ce qu’il contient.

Beaucoup d’hérétiques ne peuvent concevoir le réalisme concret et ne voient qu’un signe et figure de son corps. Pourtant le Christ fut clair en disant expressément : « ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 56). Certains protestants reprirent l’erreur que le corps de Jésus-Christ y serait bien mais conjointement avec la substance du pain (consubstantiation). Alors qu’en réalité, il s’agit de la transsubstantiation ou transformation radicale de la substance du pain en corps du Christ et du vin en sang du Christ (sans parler d’anéantissement ni absorption car Dieu n’est pas l’auteur de ce qui tend à n’être pas). Si dans la nature, tout changement naturel est un changement de forme car la matière préexiste, Dieu, auteur de la matière et de la forme, change la matière du pain qui ne subsiste plus en celle de la substance du corps de Jésus-Christ. Il arrive donc ici le contraire de ce qui a lieu dans les changements naturels où le sujet demeure et la transmutation se fait quant aux accidents. Mais dans l’Eucharistie la substance subit la transmutation et les accidents demeurent sans sujet, par un effet de la puissance divine, qui, en tant que cause première, les soutient sans cause matérielle. Seules demeurent d’avant, du pain, les espèces ou apparences (goût, couleur, texture) pour nous préserver de tout dégoût face à la chair crue.

La division de l’hostie consacrée marque son corps brisé par ses blessures : « ils me percent les mains et les pieds » (Ps 21, 17). Mais cela symbolise aussi la distribution des dons variés de la grâce sortant de Jésus comme de leur source ouverte en son Sacré-Cœur transpercé (cf. 1 Co 12, 4) ainsi que les diverses parties de l’Église, militante ici-bas, triomphante au Ciel et souffrante du Purgatoire, d’où une division en trois parties.

Ces paroles « ceci est mon corps » sont à prendre dans leur sens formel et se rapportent à la matière présente. Le prêtre les profère au nom du Christ, de qui elles tiennent leur efficacité. Elles ont encore maintenant la vertu qu’elles avaient alors que Jésus-Christ les a prononcées. La puissance qui leur a été donnée ne s’évanouit ni par la diversité des temps ni par la différence des ministres. Les paroles sont la forme du sacrement qui opère en signifiant. Or, dans toute opération active, il faut reconnaître quelque chose de commun et comme un principe, à savoir les accidents qui subsistaient auparavant et subsistent après. Ceci (le pronom seulement, qui marque la substance indéterminée) à savoir ce qui est contenu sous ces accidents, est mon corps. C’est ce qui s’opère par les paroles de la consécration car, avant la consécration, ce qui était contenu sous les accidents n’était pas le corps de Jésus-Christ, mais il devient le corps de Jésus-Christ par la consécration.

« Qui sera livré pour vous » exprime le mystère de la passion du Fils de Dieu qui livra (Ép 5, 2) pour nous son corps à la mort : « j’ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient » (Is 50, 6). Afin de montrer que l’on doit s’en approcher fréquemment, il faut en faire mémoire, non pas dans le sens d’un monument aux morts d’un événement passé comme les Protestants mais d’un sacrifice rendu présent comme viatique aux pèlerins sur terre que nous sommes : « de ses merveilles il a laissé un mémorial ; le Seigneur est tendresse et pitié. Il a donné des vivres à ses fidèles, gardant toujours mémoire de son alliance » (Ps 110, 4-5).

Date de dernière mise à jour : 04/06/2024