Pentecôte (8 juin - la paix)

Homélie de Pentecôte (8 juin 2025)

Lecture thomiste de la fin de l’évangile (Jn 14, 27-31)

  1. Le don de la paix
    1. La triple tranquillité de l’ordre

La paix est donnée par le Seigneur Jésus lui-même. Le Fils étant le Verbe, les dons de sagesse et de connaissance lui appartiennent en propre mais celui de la paix est plutôt approprié à l’Esprit-Saint. Cependant, l’Esprit-Saint étant aussi celui du Fils, le Christ s’attribue à lui-même la paix, en disant  : « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ».

Pour Saint Augustin, la paix est la tranquillité de l’ordre. Or la sagesse ordonne comme dans l’examen de conscience humain suivant un ordre triple : le rapport à soi, à Dieu, au prochain, d’où une triple paix. L’homme est pacifié en lui-même quand il est sans trouble de ses puissances, donc que les passions sont sous un contrôle vertueux et débonnaire (Ps 118, 165). Il doit obéir à Dieu et à son ordre (Rm 5, 1 ; Jb 22, 21), pour « surmonter » le foyer de péché, punition du péché originel, en se réconciliant en Jésus-Christ, notre paix (Ep 2, 14). Cela rejaillit sur le prochain, vérification de l’accès à Dieu : « recherchez activement la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle personne ne verra le Seigneur » (He 12, 14).

Nous devons mettre de l’ordre dans nos facultés d’intelligence, volonté et appétit sensible. La volonté doit suivre la raison et l’appétit sensible, l’intelligence et la volonté. Selon saint Augustin, chez les saints : « la paix est la sérénité de l’esprit, la tranquillité de l’âme, la simplicité du cœur, le lien de l’amour, la communion de la charité ». La sérénité de l’esprit se rapporte à la raison qui doit être libre, ni liée ni absorbée par une affection désordonnée ; la tranquillité de l’âme se rapporte à la sensibilité se reposant du tracas des passions ; la simplicité du cœur se rapporte à la volonté totalement portée vers Dieu, son objet ; le lien de l’amour se rapporte au prochain et la communion de la charité à Dieu.

    1. Deux échéances

Cette paix n’est atteinte ici-bas par les saints en chacun des trois niveaux qu’imparfaitement car il est impossible d’éviter toute perturbation en ce bas-monde. Au Ciel, elle sera parfaite car nous régnerons sans ennemi et il n’y aura plus aucun désaccord. Le Seigneur nous promet l’une et l’autre forme de paix. La première par « je vous laisse la paix », en ce siècle, afin que nous vainquions l’ennemi, et nous aimions les uns les autres. Le Christ établit son testament pour que nous le gardions. « II a fait avec lui une alliance de paix, et il l’a fait prince » (Si 45, 30, Vulg.). Qui n’observera pas son testament, n’héritera pas avec le Seigneur. En disant « je vous laisse ma paix », Jésus nous promet la seconde : « Voici que je dirige vers [la Jérusalem céleste] la paix comme un fleuve » (Is 66, 12). La paix présente provient du Christ comme son auteur, tandis que la paix future est de lui aussi en tant qu’il l’a toujours possédée, il en jouit parfaitement car sans la moindre contradiction.

La paix des saints se distingue de la paix du monde en trois choses. Premièrement l’intention car la paix du monde est ordonnée à la jouissance calme et paisible de choses qui ne durent qu’un temps, se mêlant parfois avec le péché : « alors que leur vie est pleine de conflits dus à l’ignorance, ils donnent le nom de ‘paix’ à ces fléaux si grands » (Sg 14, 22). Tandis que la paix des saints est ordonnée aux biens éternels. En second lieu l’apparence et la vérité, parce que la paix du monde est fausse : « ils parlent de paix quand le mal est dans leur cœur » (Ps 27, 3), mais la paix du Christ est vraie. En troisième lieu la perfection car la paix du monde est imparfaite, seulement un repos de l’homme extérieur mais celle du Christ est aussi intérieure : « Pas de paix pour les méchants, – dit mon Dieu » (Is 57, 21).

  1. Le réconfort quant à son départ

Auparavant, le Seigneur avait consolé ses disciples par des raisons les concernant, en recevant le Paraclet pour consoler et seconder, maintenant il donne des raisons de son côté.

    1. Consoler par l’utilité du fruit qui suivrait son départ

Jésus exclut de leur cœur tout trouble (tristesse du mal présent) ou frayeur (peur du mal à venir) que le loup n’attaquât le troupeau en l’absence du pasteur : « Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées » (Mt 26, 31 citant Za 13, 7). Mais en mourant de son propre pouvoir, Jésus s’en était déjà allé et était revenu en ressuscitant, ce départ pour un temps prolongé par l’Ascension, n’empêche pas qu’il reviendra juger au dernier jour : « alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire » (Lc 21, 27).

L’exaltation du Christ soulageait les disciples car s’ils étaient triste de perdre l’ami, leur cœur était moins lourd de le savoir non seulement heureux dans une réalité meilleure mais encore glorifié par le Père « plus grand que [lui] ». Cette expression provoqua de nombreux malentendus hérétiques comme l’arianisme. Le Fils ne va pas vers le Père en tant qu’il est le Verbe, toujours auprès du Père et coéternel : « au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). Il est monté auprès du Père selon sa nature humaine qui l’abaisse même au-dessous des anges : « mais Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort » (He 2, 9) et il fut même méprisé comme le dernier des hommes (Is 53, 3). Sa soumission à ses parents (Lc 2, 51) se comprend aussi sous cet aspect. Moindre que le Père selon son humanité, il lui est égal selon sa divinité : « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » (Ph 2, 6).

Pour saint Hilaire de Poitiers, selon sa divinité le Père est plus grand que le Fils non pas par la puissance, l’éternité et la grandeur, mais par l’autorité de celui qui donne ou qui est principe. Car le Père ne reçoit rien d’un autre, mais le Fils reçoit sa nature du Père par la génération éternelle. Donc le Père est plus grand, parce qu’il donne ; mais le Fils n’est pas moindre, mais égal, parce que tout ce que le Père a, il le reçoit. En effet, il n’est désormais pas moindre que celui qui donne, avec lequel il n’est qu’un.

Jésus devança une question tacite des apôtres sur le pourquoi de ces paroles. La foi portant sur des choses invisibles (He 11, 1), l’homme ne doit-il pas croire avant qu’elles se soient réalisées ? Les apôtres voyaient une chose (une nature humaine qui meurt) mais en croyaient une autre (le Fils de Dieu qui ressuscite). C’est pourquoi, ceci accompli, ils ne crurent pas d’une foi nouvelle, mais augmentée.

    1. Consoler par la vraie cause de sa mort

La mort redouble la douleur si quelqu’un est tué pour une faute mais est plus supportable si quelqu’un meurt pour un bien : « Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là » (1 P 4, 15-16). Le Christ était sans péché ni selon son âme (1 P 2, 22), ni selon sa chair conçu par l’Esprit-Saint de la Vierge sans être infecté du péché originel (Lc 1, 35) mais il portait ceux des autres : « celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché » (2 Co 5, 21). La cause de la mort du Christ ne fut pas la faute mais la miséricorde, prenant sur lui notre peine. Ne donnant aucune prise au démon, il tua la mort en la piégeant par sa divinité cachée sous une nature humaine (saint Éphrem).

Le diable est prince de ce monde non selon la création, ni en vertu du pouvoir naturel des manichéens, mais selon la faute, gouvernant ceux qui aiment le monde et le péché : « nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes » (Ep 6, 12). Il n’est pas le prince des créatures, mais seulement des pécheurs et des ténèbres : « C’est lui qui est le roi de tous les fils de l’orgueil » (Jb 41, 25), « qui commet le péché est esclave du péché » (Jn 8, 34).

La vraie cause de sa mort est donc l’amour (amor) de Dieu et l’amour (dilectio) du prochain. La marque concrète de l’amour qu’on lui porte est de mener une vie moralement droite : « si vous m’aimez, vous garderez mes commandements » (Jn 14, 15). Le Père l’invite à subir la mort, par l’obéissance causée par l’amour. Ce commandement du Père n’est pas donné au Fils de Dieu mais au Fils de l’homme. Il inspira à son âme la nécessité, pour le salut des hommes, que le Christ mourût dans sa nature humaine par charité et obéissance.

Date de dernière mise à jour : 08/06/2025