Homélie de la Sainte-Trinité (dimanche 15 juin 2025)
Lecture thomiste de l’évangile (Mt 28, 18-20)
- Jésus annonce son pouvoir
- Différentes puissances
Les disciples étaient divisés : si certains révéraient le Seigneur, d’autres doutaient. Ils avaient donc besoin qu’il se manifestât à eux et les réconfortât. Jésus s’avança vers le peuple qui l’avait crucifié : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9, 1).
La puissance de Dieu n’est autre que sa toute-puissance qui ne fut pas attribuée au Christ car elle ne convenait pas à son humanité. Certaines choses lui conviennent selon qu’il est homme et d’autres selon qu’il est Dieu. Selon qu’il est homme, le Fils a une volonté et une science, tout comme selon qu’il est Dieu. Volonté créée et incréée sont donc doubles dans le Christ, comme il a une double science. Mais pourquoi, alors que toute connaissance lui a été communiquée, la toute-puissance ne le lui a-t-elle pas été ?
La science ou connaissance se réalise quand le connaissant s’assimile la chose à connaître. Les espèces (species) des choses connues entrent en lui soit qu’il les connaisse par leur essence, soit qu’elles soient infuses, soit qu’elles soient reçues des choses. Potentiellement, le connaissant est capable de tout connaître par une réceptivité infinie (comme en métaphysique la matière peut être informée en puissance par toute forme). Mais la puissance active diffère de la connaissance : elle agit dans la mesure où elle est en acte. Seul Dieu possède la toute-puissance active portant sur l’acte de toutes choses.
- Don de la toute-puissance
Le don de puissance s’interprète de deux manières. Quant à la divinité, le Père a de toute éternité communiqué son essence au Fils ; et parce que son essence est sa puissance, il lui a donné sa puissance. Quant à l’humanité du Christ, elle a certes reçu quelque chose de propre à Dieu par l’union hypostatique, mais aussi ce qui découle de l’union comme un effet, telle la plénitude de la grâce (Jn 1, 14). « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (v. 18) n’est pas une double puissance mais celle du Christ uni au Verbe éternel. Cela intervient après la résurrection plutôt qu’avant car l’Écriture dit qu’une chose arrive quand on en prend connaissance la première fois. Avant, il possédait déjà cette toute-puissance mais elle n’était pas aussi manifeste. Mais elle fut manifestée hautement pour convertir le monde entier.
Le Christ qui, depuis l’éternité, exerçait sa royauté sur le monde en tant que Fils de Dieu en a reçu la mise en œuvre suivant son humanité par sa résurrection : ‘Maintenant, je la possède effectivement’ (cf. Dn 7, 26). Par cette présidence effective, le Fils est élevé à l’exercice d’un pouvoir qu’il possédait naturellement : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » (Ap 5, 12).
- Jésus confie une mission
Le Seigneur confie une triple mission.
- Enseigner
‘Tout pouvoir m’a été donné par Dieu, afin que, non seulement les Juifs, mais aussi les Gentils soient convertis à moi. Puisque c’est maintenant le moment, allez donc enseigner à toutes les nations’ et forme une chaîne successive d’envois : le Père envoie le Fils ; le Père et le Fils envoient l’Esprit-Saint ; le Fils et l’Esprit-Saint envoient les apôtres. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21 ; cf. Lc 22, 29). L’enseignement relève de la foi, première chose dont nous devions être instruits : « sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu ; car, pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent » (He 11, 6). L’Église enseigne les catéchumènes. Le monde entier doit venir à la connaissance de la foi, toutes les nations doivent se laisser éclairer par cette lumière : « je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6). Avant de promouvoir à la dignité de fils adoptif de Dieu par le baptême, il faut faire connaître l’éminente dignité du Chrétien afin que le catéchumène respecte Jésus le Christ qu’il revêt qu’il revêt par le baptême (Ga 3, 27).
- Baptiser
Tout sacrement a une matière et une forme. La forme du baptême est « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Jésus est le chemin : « Par lui (…) nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père » (Ep 2, 18). Mais ce chemin n'est pas éloigné du terme au point de lui être joint : « la vérité et la vie ». Il est à la fois le chemin et le terme. Le chemin en tant qu'homme, le terme en tant que Dieu, recherché par le désir humain. Or, l'homme désire principalement deux choses : la connaissance de la vérité, différence spécifique qui le distingue des autres animaux en tant qu’animal rationnel ; ensuite la continuation de son existence, commune aux animaux et plantes. Le Christ est le chemin pour parvenir à la connaissance de la vérité, qu'il est lui-même : « Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité » (Ps 85, 11). Et le Christ est le chemin vers la vie, qu'il est lui-même la vie : « Tu m'apprends le chemin de la vie » (Ps 15, 11). Si tu cherches par où passer, prends le Christ : « Voici le chemin, prends-le ! » (Is 30, 21). « Marche en suivant l'homme et tu parviendras à Dieu » (saint Augustin). Il vaut mieux boiter sur le chemin que marcher à grands pas hors du chemin. Car celui qui boite sur le chemin, même s'il n'avance guère, se rapproche du terme tandis que celui qui marche hors du chemin, plus il court vaillamment, plus il s'éloigne du terme.
Jésus ne veut pas que nous nous arrêtions en route, à son humanité, mais entend que nous poursuivions jusqu’à la divinité’. Par le baptême, l’humanité mortelle était signifiée : « par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui » (Rm 6, 4). Et la forme des paroles se réfère à la divinité qui sanctifie : « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Le baptême régénère pour Dieu le Père : « il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom » (Jn 1, 12), par le Fils : « Dieu a envoyé son Fils (…) pour que nous soyons adoptés comme fils » (Ga 4, 4-5) car l’adoption nous faits fils à l’image du Fils par nature, avec le don de l’Esprit Saint : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ‘Abba !’ (= Papa) » (Rm 8, 15). Les trois étaient présents au baptême de Jésus : le Fils était celui par qui, le Père celui de qui, et le Saint-Esprit était [représenté] par la colombe.
« Au nom » se réfère à l’invocation du nom et sa puissance du nom (« Toi, Seigneur, tu es au milieu de nous, ton nom est invoqué sur nous ; ne nous délaisse pas ! », Jr 14, 9). Le singulier du nom réfute l’arianisme réduisant le Christ à un humain divinisé par adoption. Saint Paul se spécialisa dans la première annonce, l’enseignement de la foi et sous-traita le sacrement de baptême et la formation des néophytes revenant à d’autres : « Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile » (1 Co 1, 17), comme le Christ ne baptisait pas lui-même, mais par ses disciples.
- Former les mœurs
« Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé ». Il ne suffit de croire et d’être baptisé pour être sauvé ! Il faut former les mœurs. Un catéchisme traditionnel décline après le Credo les dix commandements. « Toi, tu promulgues des préceptes à observer entièrement » (Ps 118, 4) valant pour tous, contrairement aux conseils évangéliques (chasteté, pauvreté et obéissance) émis par les seuls moines et religieux. Si on peut être sauvé sans les professer, la vie droite suivant la loi naturelle est nécessaire au salut et vaut pour tous : « ce que je vous dis là, je le dis à tous » (Mc 13, 37).
Conclusion : Jésus promet son aide
Par « et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », Jésus promet son aide, désarmant ceux qui arguerait de notre insuffisance face à cette tâche surhumaine ou plutôt surnaturelle, car divine, d’évangéliser le monde. Cette promesse d’aide ne s’adresse pas qu’aux apôtres mais à tous : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » (Jn 17, 20). Son aide s’étend à tous les temps. À la consommation, sera complété le nombre des élus (remplaçant les anges déchus ou démons) car l’Église des fidèles sera achevée. La génération des fidèles est plus forte que le monde car le nom de Jésus est Emmanuel (Is 7, 14), « Dieu parmi nous ».