Pentecôte (28/05 - Pers. div. S. Esprit)

Homélie du dimanche de la Pentecôte (27 mai 2023)

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La Personne divine du Saint-Esprit

En cette fête de Pentecôte, évoquons la personne du Saint-Esprit.

  1. Le Saint-Esprit procède du Père suivant la volonté en tant qu’amour
    1. Le terme d’Esprit-Saint

Dieu est pur esprit (CEC 370, cf. Jn 4, 24), ce qui implique l’immatérialité (I, 36, 1, ad 1), donc l’invisibilité. Mais cela est commun au Père et au Fils (au moins avant l’Incarnation), comme la sainteté sainte, possédant chacune purement et simplement la bonté. Ce terme semble peu précis. « L’Esprit-Saint, parce qu’il est commun aux deux premières Personnes, reçoit lui-même pour nom propre une appellation commune aux deux. Le Père en effet est Esprit, le Fils aussi est Esprit ; le Père est saint, le Fils aussi est saint » (S. Augustin, De Trinitate XV, 19). D’autres n’apprécient pas que, contrairement aux deux premiers, ce nom ne soit pas relatif, n’indiquant pas intrinsèquement, une relation puisque la Personne divine est une relation subsistante. Mais esprit (spiritus) s’entend aussi comme ce qui est spiré par un autre (spiratus).

    1. La dynamique de l’Esprit : l’amour nous fait sortir de nous-même

Comme l’esprit « souffle où Il veut » (Jn 3, 8), il indique une dynamique. Il est le lien entre le Père et le Fils puisqu’Il leur est commun. S. Bernard parle d’un baiser éternellement échangé entre le Père et le Fils. Mais il nous relie aussi à Dieu. Il est vinculum caritatis (nexus amoris) ou lien de charité, tant ad intra que ad extra : dans la Sainte-Trinité (« il procède des deux comme un amour unissant deux [personnes] » I, 36, 4, ad 1) et entre Dieu et l’humanité.

L’homme aussi est un esprit, mais incarné : en effet, il a une âme. Parmi les deux facultés supérieures de l’âme, l’intelligence et la volonté, l’Esprit-Saint procède du Père suivant la volonté tandis que le Fils procède suivant l’intelligence (I, 37, 1). Or, la volonté, c’est l’amour. « Je t’aime » en italien, se dit « ti voglio bene » = je te veux du bien. Raison pour laquelle l’Esprit-Saint est appellé ‘amour’ : « il y a une Personne divine qui procède par mode d’amour, de l’amour dont Dieu est l’objet, c’est à bon droit qu’on l’appelle l’Esprit-Saint ». Cette dynamique vient du fait que « le propre de l’amour est de mouvoir et pousser la volonté de l’aimant vers l’aimé » (I, 36, 1). « Si l’on dit du Saint-Esprit qu’il demeure dans le Fils, c’est à la manière où l’amour de celui qui aime se repose en l’aimé » (I, 36, 2, ad 4).

  1. Le Filioque : le Saint-Esprit procède du Père et du Fils
    1. Rappel historique

La querelle avec les orthodoxes pour la procession du Saint-Esprit tourne autour du Filioque : en latin « et du Fils » (« que » est une conjonction de coordination s’agglutinant à la fin du second mot). Le ‘et’ n’apparaît pas dans  le symbole de Nicée-Constantinople (325-381) : « Il procède du Père » contrairement à la version que nous professons chaque dimanche : « Il procède du Père et du Fils ». Les Latins ajoutèrent Filioque dès 589, au 3e concile provincial de Tolède. Charlemagne en étendit l’usage au 3e concile provincial d’Aix-la-Chapelle à toutes les églises latines de son ressort contre l'avis du pape Léon III. Mais ses successeurs s’y rattachèrent et cela fut définitivement adopté en 1014. Il fut l’une des polémiques avec l’orthodoxie qui se sépara au Grand Schisme d’Orient en 1054.

    1. L’Esprit procède du Père et du Fils

S. Thomas considère cette précision indispensable car autrement, on ne pourrait pas distinguer suffisamment l’Esprit-Saint d’avec le Fils. Notre foi en un seul Dieu repose sur l’unicité de l’essence divine. Mais ce qui fait la Trinité, ce sont les relations qui constituent les 3 Personnes en les distinguant, en particulier par le rapport à l’origine : soit le principe (principium) soit ce qui provient de ce principe (a principio). Pour distinguer l’Esprit-Saint du Fils, il faut rappeler qu’Il émane ou procède aussi du Fils comme principe.

D’autre part, rien n’est aimé qui ne soit connu (nihil amatum quod non præcognitum). Il est donc normal que l’Esprit (l’amour) procède aussi du Fils (le Verbe, Logos, ou intelligence, raison). Enfin, tout ce qui est multiple dans l’ordre spirituel découle d’un ordre. Seul le monde matériel reproduit sans ordre comme un artisan produisant des couteaux indifférenciés. Mais Dieu produisant les anges les fait tous distincts à tel point que chaque ange épuise l’espèce et donc que le genre « créature purement spirituelle » contient autant d’espèces angéliques qu’il y a de créatures spirituelles. « Donc, s’il y a deux personnes qui procèdent de l’unique personne du Père : le Fils et le Saint-Esprit, il faut bien qu’il y ait un ordre entre elles. Et l’on ne peut en assigner d’autre qu’un ordre de nature, l’une procédant de l’autre ; à moins de supposer entre elles une distinction matérielle, ce qui est impossible » (I, 36, 2). Théoriquement, aujourd’hui, cette antique querelle théologique est levée.

    1. L’Esprit procède du Père par le Fils

L’Esprit-Saint procède du Père et du Fils mais mieux encore du Père par le Fils. Lorsqu’on agit ‘par’ un autre, la préposition désigne l’intermédiaire entre l’agent et l’effet de l’action. Elle s’entend soit comme :

  • cause de l’action en influant sur sa production par l’agent :
    • cause finale : « l’ouvrier travaille par désir du gain »
    • cause formelle : « il agit par son art »
    • cause motrice : « il agit par l’ordre d’un autre »
  • cause de l’action en lui faisant atteindre l’effet : « l’ouvrier agit par son marteau ». Le marteau ne cause pas l’action de l’ouvrier mais cause son œuvre, la fait procéder de l’ouvrier tout en tenant sa causalité de l’ouvrier. « Puisque le Fils tient du Père que le Saint-Esprit procède de lui, on peut dire que le Père spire le Saint-Esprit ‘par le Fils’ ; ou, ce qui revient au même, que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils » (I, 36, 3).

On parle de procession immédiate (du Père) et médiate (du Fils = par le Fils) (I, 36, 3, ad 1) comme si l’on disait le train entrant en gare de Strasbourg provient de Metz ou bien de Paris avant. Par contre, il n’est pas question d’un ordre chronologique : les 3 Personnes divines sont coéternelles. Il n’y a pas eu de temps durant lequel le Fils aurait d’abord été engendré puis l’Esprit spiré ! (I, 36, 3, ad 3). Père et Fils spirent l’Esprit d’une seule puissance : « le Père et le Fils sont ‘deux spirants’, puisqu’il y a plusieurs suppôts [Personnes] ; mais non pas ‘deux spirateurs’, car il n’y a qu’une seule spiration [una virtute] » (I, 36, 4, ad 7).

  1. L’Esprit-Saint : amour (ad intra) et don (ad extra)
    1. L’Esprit comme amour immanent en Dieu

L’immanence ou mutuelle présence de l’un à l’autre dans la Très Sainte Trinité se comprend si comprend en disant qu’en pensant une idée, une parole (un ‘verbe’, logos), tant qu’elle n’est pas exprimée (I, 37, 1, ad 2), elle demeure en nous, dans notre intelligence. De même, lorsqu’on aime un être, il est présent dans notre volonté (certains diraient à tort ‘cœur’ alors qu’aimer n’est pas fondamentalement un sentiment mais un acte de la volonté) (I, 37, 1).

Nous ne serons pleinement nous-mêmes que si nous nous connaissons et nous aimons. Ainsi, nous atteindrons cette stabilité de l’être qui est la paix intérieure ou repos en-soi qui nous donne l’assise nécessaire pour aimer et qui caractérise Dieu. A contrario, un amour de l’autre pourrait être pure fuite de soi-même qu’on détesterait ! Ne sachant pas se retrouver en paix avec soi-même, on s’agite dans l’humanitaire ! Cet amour de l’autre n’est pas véritable car pas volonté ajustée à la poursuite du vrai bien présenté par l’intelligence droite puisqu’il ne respecte pas l’ordo caritatis : Dieu, soi-même, l’autre, son propre corps.

    1. L’Esprit comme don d’amour fait par Dieu aux créatures

L’Esprit-Saint est aussi appelé ‘don’ (I, 38, 2) car il se rapporte tant à celui qui donne (le donateur) qu’à celui qui reçoit (le bénéficiaire) et unit ainsi les deux. « D’une Personne divine aussi, on dit qu’elle est ‘d’un autre’, soit en raison de son origine, par exemple : ‘le Fils du Père’, soit parce qu’elle est en la possession d’un autre ». En effet, l’Esprit-Saint est donné par Dieu aux seules créatures qui puissent en jouir, les rationnelles (anges et hommes). Les hommes peuvent ainsi ‘posséder’ une Personne divine, non par leurs propres forces, mais parce qu’ils la reçoivent d’en-haut (I, 38, 1). Le Fils permet de connaître Dieu réellement, l’Esprit de L’aimer. L’Un comme l’Autre sont donnés par Dieu aux hommes pour qu’ils accèdent à la divinité. Aujourd’hui même, jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint nous est donné pour que nous adorions, finalement aimions le Père « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).

Conclusion :

L’Esprit-Saint nous est donné pour nous diviniser, nous rendant ‘christiformes’. Laissons notre humanité être pétrie par l’Esprit-Saint. Quel autre lieu plus adapté que le sein de la Très Sainte Vierge Marie, image de notre Sainte Mère l’Église ? Dans le sein virginal, l’humanité assumée par le Fils de Dieu a été pétrie par l’Esprit-Saint (comme déjà la Vierge l’avait été dans le sein de S. Anne). Dans le sein de Marie, laissons-nous diviniser.