Pentecôte (19/05 - lect. thom. év.)

Homélie de la Pentecôte (dimanche 19 mai 2024)

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Lecture thomiste (Jn 14, 23-27)

Méditons le début de l’évangile de la Pentecôte car il est très riche.

  1. Le Christ se manifestera aux disciples
    1. Capacité des disciples à recevoir cette manifestation

Trois conditions sont requises pour voir Dieu, que la charité permet de remplir. Il faut d’abord s’approcher de lui : « Ceux qui s’approchent de leurs pieds recevront de sa doctrine » (Dt 33, 3 Vulg.). La charité unit l’âme de l’homme à Dieu : « qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 16). Ensuite, il faut élever les yeux pour le voir : « Levez les yeux et regardez : qui a créé tout cela ? » (Is 40, 26) et on regardera Dieu si on le chérit : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6, 21). Enfin, pour voir les réalités spirituelles, il faut se vider de celles de la terre donc vaquer : « Arrêtez et voyez que je suis Dieu » (Ps 45, 11 Vulg). Si l’âme acceptait « de se bien purifier et évacuer de toutes les formes et images appréhensibles, (...) l’âme, désormais simple et pure, se transformerait en la simple et pure Sagesse, qui est le Fils de Dieu ». « C’est ce que Notre-Seigneur nous demande par David, disant : ‘Apprenez à vous évacuer de toutes choses (à savoir intérieurement) et vous verrez que je suis Dieu !’ » S. Jean de la Croix (La Montée du Carmel, II, ch. 15 et 32, in Œuvres complètes, DDB 1967, p. 174 et 328). Autrement, « si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui » (1 Jn 2, 15).

De cette charité découle l’obéissance : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole » (v. 21). L’amour de Dieu est actif, il réalise une œuvre. La charité réside dans la volonté qui meut toutes les puissances vers leurs actes pour atteindre notre fin propre qui est Dieu. L’homme mû par la charité entreprend donc tout ce qui conduit vers lui, dont garder les commandements « La charité du Christ nous presse » (2 Co 5, 14, Vulg) et l’obéissance au commandement nous ouvre l’intelligence qui permet au Ciel de voir Dieu (cf. Ps 118, 104).

    1. Déroulement de cette manifestation

L’amour divin du Père est le premier aspect. Il est au futur (« mon Père l’aimera ») car, éternel dans la volonté divine, l’amour est temporel quand il se manifeste dans une œuvre. « Et nous viendrons à lui » signifie la visitation divine. Puisque Dieu est immobile, c’est nous qui serons mus/attirés par lui par la grâce qui nous fait accéder à Dieu de trois manières. Dieu nous remplit de ses effets que nous recevons : « Venez à moi, vous qui me désirez, rassasiez-vous de mes fruits » (Si 24, 19 = 26 Vulg) ; Dieu nous illumine et nous le considérons : « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés » (Ps 33, 6 Vulg) ; Dieu nous aide et nous lui obéissons.

L’Esprit-Saint mentionné plus haut (v. 16) étant le lien d’amour entre le Père et le Fils, opère cette inhabitation pour longtemps qu’implique ‘demeurer’. Il faut adhérer fermement à Dieu et pas par la foi d’un instant : « ils croient pour un moment et, au moment de l’épreuve, ils abandonnent » (Lc 8, 13). D’autres regrettent leur péché, ce qui attire Dieu vers eux mais il n’y demeure pas car ils retournent à leurs péchés « comme le chien retourne à son vomi » (Pr 26, 11). Dieu demeure pour toujours chez les prédestinés (Mt 28, 20) qui sont ses vrais amis par une familiarité du Christ : « trouvant mes délices avec les fils des hommes » (Pr 8, 30-31).

  1. Le Christ ne se manifestera pas au monde
    1. La séparation d’avec le monde

En expliquant pourquoi le Seigneur ne se manifestera pas au monde, l’exact contraire de ce que Jésus vient d’établir est présenté symétriquement. En effet, ceux du monde sont privés des raisons pour lesquelles Jésus se manifeste à ses fidèles : ils ne l’aiment pas ni ne lui obéissent, sauf pour un dessein particulier de sa Providence comme avec la conversion de S. Paul. De fait, l’amour sépare les saints d’avec le monde. Une mise à part prise à rebrousse-poil par l’Église moderne.

Celui qui n’écoute pas sa parole, rejette non seulement Jésus mais aussi le Père qui l’avait envoyé. Celui qui l’aime, aime le Père et mérite une manifestation des deux. La parole proférée par Jésus aux disciples est à la fois sienne et d’un autre : « mon enseignement n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé » (Jn7, 16) et « les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même » (Jn 14, 10). Le Seigneur emploie ainsi le pluriel quand il parle de ses paroles, mais le singulier pour la parole du Père. Il a voulu être compris comme Verbe du Père unique. Toutes les paroles qui sont dans nos cœurs proviennent de l’unique Verbe du Père.

    1. La promesse de ses dons par l’Esprit-Saint

Après avoir promis l’Esprit-Saint, Jésus leur montre les dons qui en proviennent. L’un d’eux est de rappeler aux disciples les enseignements du Christ et de leur donner l’intelligence de toutes ses paroles. Jésus a enseigné par son humanité, par une présence corporelle. Avec l’Incarnation, c’en était fini des intermédiaires entre Dieu et les hommes (patriarches ou prophètes). Dieu lui-même se révéla pour dire sans ambages qui il est : « à bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils » (He 1, 1-2).

Jésus présente l’Esprit-Saint de trois façons : Paraclet, Esprit et Saint. Paraclet ou littéralement ‘appelé à nos côtés’ (para-klétos en grec donne ad-vocatus en latin d’où avocat). Il nous console de toutes nos tristesses. Ceux qui pleurent leurs péchés passés suivant la seconde béatitude reçoivent ainsi l’espérance du pardon : « recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis » (Jn 20, 23) comme David l’avait chanté dans le Miserere : « Rends-moi la joie d'être sauvé ; que l'esprit généreux me soutienne » (Ps 50, 14). Il console en tant qu’amour face aux tristesses du présent : « dans toutes nos détresses, il nous réconforte » (2 Co 1, 4) et « au-dehors, des conflits, et au-dedans, des craintes » (2 Co 7, 5). Il nous fait aimer Dieu et reconnaître sa grandeur pour pouvoir souffrir les outrages avec la joie des saints comme les apôtres qui « repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus » (Ac 5,41), suivant la huitième béatitude (Mt 5, 12). En effet, qui souffre de l’absence de la réalité aimée, est consolé en recevant une autre réalité davantage aimée. À la place des réalités temporelles, les hommes reçoivent des réalités spirituelles et éternelles : l’Esprit-Saint. Enfin, quant à la tristesse de ne pas encore voir Dieu dans la patrie céleste, il nous apporte l’espérance par la vie éternelle : « je change leur deuil en joie, les réjouis, les console après la peine » (Jr 31, 13 ; cf. Is 66, 13).

La troisième personne de la Trinité est Esprit parce qu’il nous meut à obéir filialement à Dieu de l’intérieur de nos cœurs (2 Co 3, 3) et non pas comme une loi extérieure gravées sur la pierre (Ez 36, 26 et He 8, 10) comme l’ancienne Alliance, irréalisable : « tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu » (Rm 8, 14). Il est Saint parce qu’il nous consacre à Dieu nous mettant à part du profane : « votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint (…) vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes » (1 Co 6, 19).

L’Esprit-Saint est envoyé par le Père et le Fils (mission au sens étymologique comme les mots ‘messe’ ou ‘apôtres’ qui en sont dérivés en latin ou grec). Mais d’une manière nouvelle : « envoie ton Esprit et ils seront créés » (Ps 103, 30 Vulg) dans un exister (esse) spiritue1. Nous sommes en état de grâce et adoptés comme fils : « vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ‘Abba !’, Père ! » (Rm 8, 15, cf. Ga 4, 6).

L’effet de la mission de l’Esprit-Saint est de conduire les croyants au Fils comme l’effet de la mission du Fils fut de conduire au Père. Or le Fils étant la Sagesse engendrée, la Vérité elle-même (Jn 14, 6), l’effet de sa mission rend les hommes participants de la sagesse divine en leur faisant connaître la vérité. Si le Fils transmet cet enseignement, l’Esprit-Saint nous rend capables de le recevoir, il en donne de l’intérieur l’intelligence : « l’homme, par ses seules capacités (le charnel : animalis), n’accueille pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu » (1 Co 2, 14). Même le Fils, parlant par son humanité, ne pourrait rien s’il n’était mû de l’intérieur par l’Esprit-Saint. Comme qui a le goût infecté ne reconnaît pas les saveurs, l’homme infecté par l’amour du monde ne peut goûter les réalités divines.

L’Esprit-Saint ne rappelle pas les choses comme une secrétaire le ferait à son employeur car il ne met pas en nous radicalement la science. Mais dans le secret, il procure des forces pour connaître existentiellement en nous faisant participer à la sagesse du Fils. Il nous donne la force motrice de l’amour et nous remémore au moment opportun ce que nous savions par ailleurs. Jean, quarante ans après, se souvint de toutes les paroles du Christ écrites dans son Évangile car l’Esprit-Saint les lui avait rappelées.

Date de dernière mise à jour : 19/05/2024