2e Pâques (4 mai - conclave)

Homélie du 2e dimanche de Pâques (4 mai 2025)

Le conclave

Le rôle du conclave qui se réunira mercredi 7 mai 2025 est d’élire le 267e pape de la Chrétienté, successeur de saint Pierre.

  1. Les cardinaux enfermés en conclave

Le Nouveau Testament n’indique en rien comment doit être élu le successeur de Pierre, prince des apôtres, même si l’élection au tirage au sort (cléromancie) de saint Matthias aurait pu servir de modèle : après la mort de Judas, il fallut trouver un premier successeur des apôtres parmi les témoins de la Résurrection (Ac 1, 21-26). Les papes décidèrent donc que cela relevait du droit humain et non divin, soit modifiable.

Le principal problème au cours de l’histoire fut d’éviter l’immixtion de pouvoirs temporels dans les affaires ecclésiastiques, pour assurer la pleine liberté de l’Église et donc la plenitudo potestatis du pape, ce qui est propre aux catholiques, par rapport aux autres confessions chrétiennes. Depuis Constantin le Grand qui convoqua et présida le concile de Nicée en 325, les orthodoxes ont conservé cette sujétion, voire asservissement au pouvoir politique (Pierre le Grand supprima le patriarcat de Moscou en 1721 et établit le Saint-Synode, le concile le rétablit vit siéger Kerensky, président du gouvernement provisoire. Nikhon fut choisi juste après la révolution d’octobre, on aurait préféré de plus beaux auspices que ceux de Lénine !). Bien sûr, les catholiques n’en furent pas indemnes non plus mais cherchèrent mieux à s’en libérer, surtout après la querelle des Investitures (1075-1122) et la lutte du sacerdoce et de l’Empire (1152-1250).

En 1059, Nicolas II (décret In Nomine Domini repris dans le Décret de Gratien) réserva l’élection du souverain pontife aux seuls cardinaux de la Sainte Église Romaine, ce qui fut confirmé sous Alexandre III au concile de Latran III (constitution Licet de evitanda, 1179). Ce collège était stable, vivant à Rome, il permettait d’être réuni rapidement, sans que les cardinaux ne puissent s’agréger de nouveaux membres durant la vacance du siège apostolique (Sede vacante). Il doit représenter une large majorité, fixée dès lors aux 2/3 des présents, pour éviter les schismes (mais elle incitait les cardinaux à étendre leurs pouvoirs au détriment du pape puisque la vacance du siège leur était la plus propice).

La mésentente des cardinaux rallongea souvent les durées de vacance si bien que dès 1216, les Pérugins (habitants de Pérouse) enfermèrent les cardinaux pour accélérer leur choix, comme en 1241 es Romains qui voulaient limiter l’influence de l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique. En 1268, la vacance dura près de trois ans et n’aboutit qu’en 1271. Les Viterbois enfermèrent après plusieurs mois d’attente vaine, les électeurs dans le palais épiscopal, puis en firent murer les accès et réduisirent les cardinaux au pain sec et à l’eau. Le mot conclave signifie être enfermé à clef (cum clave). Grégoire X issu de cette attente record, fit donc approuver ces mesures très sévères au concile de Lyon II (constitution Ubi majus periculum, 1274) qui disposait qu’après avoir attendu dix jours leurs collègues (origine des novemdiales, prières pour le repos de l’âme du défunt ?), les cardinaux s’enfermeraient dans le palais apostolique (la Sixtine depuis 1492), ne percevraient plus aucun revenu (contre la simonie), gardant le plus grand secret et ne s’occuperaient que de l’élection (à moins d’un danger imminent sur les États de l’Église). Le pouvoir civil devait veiller à son bon déroulement et en rendait le régime toujours plus austère s’il se prolongeait (en 1585, ce pouvoir laïc fut transféré au maréchal de l’Église romaine : les princes Savelli puis Chigi).

Ce programme n’empêcha pas l’immixtion des puissants (Charles d’Anjou, roi de Naples ou le roi de France Philippe IV le Bel pour Clément V et Philippe V pour Jean XXII). La période avignonnaise de la papauté (1309-1378) fut l’apogée du pouvoir des cardinaux au point que les conclavistes voulurent imposer au pape, avant son élection, des capitulations (1352 pour Innocent VI qui la cassa aussitôt). Le grand schisme d’Occident qui vit deux puis trois papes s’affronter en marqua le glas car il fut imputé aux cardinaux. Le concile de Constance Il résolut le problème en brisant pour la seule fois leur privilège exclusif pour élire Martin V en 1417. Aux 23 cardinaux des trois obédiences furent adjoints 30 délégués des 5 ‘nations’ représentées. Puis la simonie entacha nombre d’élections de l’époque moderne, comme celle d’Alexandre VI Borgia (1492) si bien que Jules II en 1506 déclara nulle ce genre de tractations financières (1506, bulle Cum tam divino).

Après le concile de Trente (1548-1563), les conclaves du XVIIe s. virent s’opposer trois clans : celui des cardinaux sous la coupe d’un souverain, celui des partisans d’un précédent pape et celui des plus jeunes cardinaux, entourage du cardinal-neveu, créés par le défunt. Innocent XII prit des mesures drastiques pour éradiquer le népotisme (bulle Romanum decet Pontificem, 1692), tandis que Clément XII voulut limiter les ‘intercessions’ (sic) des puissances catholiques qui pouvaient, par le biais de leur cardinal-protecteur représentant leur nation, poser un droit de veto contre un seul cardinal. François-Joseph usa pour la dernière fois de cette ‘exclusive’ au conclave de 1903, convaincu par le cardinal-évêque de Cracovie, Puzyna, contre Rampolla, soutenu par la France, flirtant avec la Russie, qui soutenait l’opposition austro-hongroise et aurait été franc-maçon. Cette intervention providentielle nous valut le pape saint Pie X qui s’empressa de suspendre l’exclusive (constitution Commissum nobis, dès 1904) pour ne pas avoir à prendre en considération les affaires profanes. Même la république française maçonnique prétendit en faire usage, tout comme les monarchies catholiques d’Espagne et du Portugal. En 1878, le cardinal-archevêque de Rouen, Mgr de Bonnechose, déclara que son gouvernement s’opposait à l’élection du cardinal conservateur Bilio qui, en tant que consulteur à la sacrée congrégation de l’Inquisition romaine universelle, avait contribué au Syllabus de Pie IX contre les erreurs modernistes. Sans ce veto, Léon XIII nous aurait été épargné, lui qui se souvint du service rendu en incitant les Français à se rallier à la république en 1892 !

En 1922 (motu proprio Cum proxime), Pie XI allongea le délai de 10 à 15 jours, voire avec la possibilité d’y rajouter 2 à 3 jours. En effet, les cardinaux américains n’étaient arrivés que le jour de son couronnement et avaient donc manqué le conclave à cause des longs délais des paquebots. Aujourd’hui, cela ne saurait se justifier (malgré tout, ce sera le cas pour le mercredi 7 mai, 17 jours après le 21 avril).

Le nombre des cardinaux connut une véritable inflation de 20/24 au Moyen Âge, on passa à 70/75 à l’époque moderne (1586-1587, constitution Postquam verus et bulle Religiosa sanctorum de Sixte Quint), qui se répartissaient comme suit : six (puis sept) cardinaux-évêques sont titulaires des diocèses suburbicaires de Rome (Ostie, Albano, Frascati, Palestrina, Porto-Santa-Rufina, Sabina-Poggio Mirteto, Velletri-Segni séparé d’Ostie depuis 1914), et composent la métropole de l’église-mère ; 50 cardinaux-prêtres et 14 cardinaux-diacres. Paul VI imposa le nombre de 120 électeurs maximum (constitution Romani Pontifici eligendo, 1975), sachant qu’un cardinal perd sa voie active à 80 ans (motu proprio Ingravescentem Ætatem, 1970). Pourtant, là encore, l’Église s’assoit sur son propre droit canonique puisqu’il existe 135 (mais 2 ne se déplaceront pas, 4 sont encore attendus sur 133) sur un total exorbitant de 252 cardinaux ! Un cardinal supposé coupable de détournements, Becciù a renoncé à participer.

  1. Les rites

À la mort du pape, le cardinal camerlingue (Kevin Farell) constata le décès et fit briser l’anneau du pêcheur du pape, qui servait autrefois de sceau. Les pièces du pape défunt sont placées sous scellé.

L’aspect si ancien voire archaïque suscite l’intérêt du public, si bien que de nombreux usages sont connus comme l’« extra omnes ! » (tout le monde dehors) avant la fermeture et le scellement des portes (depuis Jean-Paul II, les cardinaux logent toutefois à la résidence Sainte-Marthe et ne dorment à la Sixtine comme jusqu’aux deux conclaves de 1978). Des brouilleurs téléphoniques et électroniques sont mis en place pour éviter toute interférence du monde extérieur. Les cardinaux jurent au premier jour, devant le doyen des cardinaux-évêques de respecter les normes, le secret absolu, sous peine d’excommunication (constitution apostolique Universi Dominici Gregis de Jean-Paul II, 1996), qu’ils s’empressent pourtant de bafouer sans aucune sentence à la clé ! Rare au Moyen Âge, les informations filtrèrent de plus en plus nombreuses dès la Renaissance, dans les rapports des ambassadeurs.

Le premier jour, on procède à un premier vote, puis à deux votes par demi-journée suivante, lesquels se suivent immédiatement. Chaque cardinal inscrit sur un bulletin le nom du candidat qui lui paraît le plus digne d’assumer la charge pétrinienne, le plie. Lorsqu’il doit le déposer sur la patène puis le faire glisser dans un calice, passant par ordre de préséance (hiérarchie des trois ordres et ancienneté dans chaque ordre) il jure en levant la main droite : « Je prends à témoin le Christ Seigneur, qui me jugera, que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge devoir être élu » (Testor Christum Dominum, qui me iudicaturus est, me eum eligere, quem secundum Deum iudico eligi debere).

Les bulletins sont comptés, lus à voie haute, percés d’une aiguille avec un fil rouge à l’endroit du verbe Eligo in summum Pontificem. On les brûle enfin après. Si la fumée est blanche, un nouveau pape a été élu, si elle est noire (le papier était autrefois mêlé à de la paille mouillée, mais on ajoute aujourd’hui un fumigène), il faut recommencer le scrutin. La cheminée du poêle provisoire est installée dans la Sixtine, seul moyen de communication avec l’extérieur. En raison de doutes possibles quant à la couleur pour Benoît XVI, on fait désormais aussi sonner la cloche de Saint-Pierre si le résultat est positif.

Si les sept premiers scrutins ne donnent aucun résultat, les cardinaux doivent faire un temps de prière, discuter librement puis écouter l’exhortation par le cardinal protodiacre, idem après sept autres avec le cardinal protoprêtre, puis le doyen des évêques. Après 28e scrutins infructueux (soit 2 semaines), les deux cardinaux arrivés en tête du dernier scrutin ne peuvent plus voter (voie passive) mais les autres (voie active) doivent voter uniquement pour l’un d’entre eux. Le cardinal doyen préside (Giovanni Battista Re ayant dépassé les 80 ans participe seulement aux congrégations générales préparatoires comme 180 cardinaux mais le vice-doyen Leonardo Sandri devra laisser la place à l’ancien secrétaire d’État Parolin choisi par François pour assumer cette charge). Une fois l’élection faite, il interrogera le nouvel élu : Acceptes-tu ton élection canonique comme Souverain Pontife ? (Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum Pontificem). Aussitôt après son consentement, il demandera : Comment veux-tu être appelé ? (Quo nomine vis vocari ?). Autrefois, le baldaquin au-dessus de chaque cardinal s’abaissait, sauf sur la tête du nouveau pape.

Ensuite, depuis la loggia des bénédictions sur la façade de la basilique Saint-Pierre du Vatican, le cardinal protodiacre (de nouveau un Français, le Corse Dominique Mamberti) prononcera le fameux texte se référant à la joie de la naissance du Christ par les anges aux bergers : « Annuntio vobis gaudium magnum. Habemus papam, Eminentissimum ac reverendissimum dominum, Dominum X Sanctæ Romanæ Ecclesiæ cardinalem Y, qui sibi nomen imposuit Z » (pour un remix avec images d’époque pour Benoît XVI).

Aujourd’hui, le vote ne peut plus se faire par voix de compromis ou d’inspiration comme dans le passé. Pourtant le cardinal Daneels reconnut que sa « mafia de Saint-Gall » avait manœuvré pour soutenir son poulain argentin, le cardinal Bergoglio. Mais implorons l’Esprit-Saint, le protagoniste trop oublié par les journalistes du conclave pour que les cardinaux soient vraiment dociles à la volonté divine pour tout restaurer en Christ (Instaurare omnia in Christo, (Ép 1, 10), devise de saint Pie X).

Date de dernière mise à jour : 04/05/2025