Homélie du 4e dimanche après Pâques (3 mai 2020)
Lecture thomiste de Jn 16, 16-22
« Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus »
Le temps pascal se divise en deux comme l’Avent. Après la joie de revoir le Ressuscité (gavisi sunt discipuli), l’Église nous prépare à son nouveau départ de l’Ascension, retournant auprès du Père (redditus) d’où il était sorti (exitus). Jésus discouru avant sa mort mais nous l’écoutons à mi-chemin vers l’Ascension car il y a deux séparations d’avec ceux qui l’aiment.
- La promesse de le voir de nouveau
- Peu de temps
« Pour un peu de temps » est répété sept fois (modicum, mikron ou μικρὸν). Jn concentre la moitié des 22 occurrences dans 4 autres passages indiquant la même chose : « Jésus déclara : ‘Pour un peu de temps encore, je suis avec vous ; puis je m’en vais auprès de Celui qui m’a envoyé’ » (Jn 7, 33) ; « Jésus leur déclara : ‘Pour peu de temps encore, la lumière est parmi vous ; marchez, tant que vous avez la lumière, afin que les ténèbres ne vous arrêtent pas’ » (Jn 12, 35) et « Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : ‘Là où je vais, vous ne pouvez pas aller’, je vous le dis maintenant à vous aussi » (Jn 13, 33).
Jésus nous encourage à la patience dans les épreuves. Cette vertu liée à la force nous fait participer à la Passion en petit, au quotidien, mais pour plus longtemps ! « Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves » (1 P 1, 6 mais ici : « ὀλίγον ἄρτι »)) comme les martyrs réclamant vengeance, étymologiquement que leur soit rendu justice : « Et il fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de patienter encore quelque temps, jusqu’à ce que soient au complet leurs compagnons de service, leurs frères, qui allaient être tués comme eux » (Ap 6, 11).
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- Deux absences : la mort et l’Ascension
« Un peu de temps » à la sainte Cène renvoyait à Jésus livré quelques heures après à Gethsémani et au temps bref avant que le Christ mort ne leur apparût ressuscité. La première absence de la mort, fut très courte. Les trois jours du Credo sont plutôt 33 heures du vendredi 15h à minuit la nuit du samedi au dimanche. Il fallait prévenir les disciples pour qu’ils ne fussent pas submergés par le désespoir et ne perdissent confiance en Dieu devant l’échec apparent de la croix. « Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur » (Jn 20, 20) à Pâques.
Puis le temps le même terme s’allonge pour les 40 jours (Ac 1, 3) que le Christ ressuscité passa sur terre avant de monter à la droite de Dieu le Père. L’absence passe plus lentement que la présence. L’Ascension dont ils furent témoins (Ac 1, 9) les choisis d’avance (Ac 10, 40-41) ne doit pas les laisser une seconde fois orphelins. Cette brièveté dit la fugacité du temps humain, comparée à l’éternité de Dieu (« pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » 2 P 1, 8, cf. Ps 89, 4). À notre mort, nous le verrons glorifié auprès du Père si nous sommes admis au Paradis.
- Le doute des disciples
- Le vrai disciple se laisse enseigner
Les disciples ne comprenaient-ils pas les paroles du Christ, à cause de leur tristesse ou de l'obscurité de ses paroles (cf. « Êtes-vous encore sans intelligence, vous aussi ? », Mt 15, 16). Ils comprenaient qu’il allait mourir mais pas qu’il ressusciterait car cela était trop difficile à croire : « Qui donc peut vivre et ne pas voir la mort ? Qui s'arracherait à l'emprise des enfers ? » (Ps 88, 49) et « on n’a jamais vu personne revenir du séjour des morts » (Sg 2, 1). Paul échoua à l’Aréopage devant les philosophes grecs pour cette raison : « Quand ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquaient, et les autres déclarèrent : ‘Là-dessus nous t’écouterons une autre fois’ » (Ac 17, 32) tellement cette idée choque. Sans se taire, ses disciples restent humbles : « je suis ton serviteur, le fils de ta servante, un homme frêle et qui dure peu, trop faible pour comprendre les préceptes et les lois » (Sg 9, 5).
En vertu de sa divinité, Jésus lisait le doute dans leur cœur et qu’ils voulaient l’interroger : « lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 25). À l’onction du roi David, Dieu montra à Samuel qu’il se distinguait des hommes car « les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1 S 16, 7). Dieu seul peut lire dans l’intellect et la volonté de ses créatures, sondant leurs reins et leurs cœurs. Jésus prédit donc gémissement de douleur et larmes (cf. Lm 1, 2 et 2 Jr 31, 16). Leur tristesse contrastera avec la joie des scribes et pharisiens : « voilà bien le jour que nous espérions : nous y arrivons, nous le voyons ! » (Lm 2, 16) comme les incroyants se réjouissent de la persécution des saints (Ap 11, 10). Plus largement, tous les hédonistes sont visés, avec leur devise « mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! » (Is 22, 13). Les disciples du Christ étaient tristes comme à Emmaüs à cause de sa mort (Lc 24, 17), des persécutions (Jn 20, 19) et du péché des hommes : « car une tristesse vécue selon Dieu produit un repentir qui mène au salut, sans causer de regrets, tandis que la tristesse selon le monde produit la mort » (2 Co 7, 10). Cette tristesse n’est que passagère tandis que la joie de revoir le Ressuscité sera si durable qu’ils pourront affronter les tourments de leur martyre. Et au Ciel, la joie sera éternelle : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5, 5), récompense du dur labeur apostolique évoqué à la prière en revêtant le manipule : « il s'en va, il s'en va en pleurant, il jette la semence ; il s'en vient, il s'en vient dans la joie, il rapporte les gerbes » (Ps 125, 6).
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- La femme en couches et la vie éternelle de gloire
La douleur de la Passion subie par Jésus fut la plus grande jamais supportée par un homme : « Ô vous tous qui passez sur le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur que j’endure » (Lm 1, 12). L’ami « souffre avec » l’être aimé par sympathie (grec) ou compassion (latin). Jean était au pied de la croix avec les saintes femmes. Les saints sont les amis de Dieu. Beaucoup voulurent porter leur part du poids de la croix et partagèrent les souffrances du Christ, certains par les stigmates reçus, mais tous par les persécutions subies ou les pénitences qu’ils s’imposèrent : « Nous étions devant toi, Seigneur, comme la femme enceinte sur le point d’enfanter, qui se tord et crie dans les douleurs » (Is 26, 17, cf. Ps 47, 7). La femme fait face à la douleur de l’accouchement depuis la peine du péché originel d’Ève (Gn 3, 16). Son heure est venue.
Mais la souffrance, même volontairement partagée, n’est qu’un moyen, pas une fin. Transitoire, elle ne dure qu’un temps. « Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire. J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous » (Rm 8, 17-18). « Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous » (2 Co 4, 17).
La joie de la délivrance est double. La femme est libérée de la douleur mais plus encore se réjouit d’avoir mis au monde cet enfant qu’elle peut enfin voir alors qu’il était caché neuf mois en son sein. « Avant d’être en travail, Sion a enfanté ; avant que lui viennent les douleurs, elle a accouché d’un garçon » (Is 66, 7) renvoie à la naissance miraculeuse de Jésus qui ne brisa pas l’hymen de Marie. La très sainte Vierge le resta durant l’accouchement (virgo in partu). Mais suivant la prophétie de Siméon, sa souffrance fut reportée au pied de la croix. Exemptée d’effusion de sang sa naissance n’enlevait pas une mort sanglante faisant naître à la vie éternelle, cause de notre joie. Sarah exulta à la naissance d’Isaac (Yitsh'aq dérive du verbe tsahaq) : « Sara dit : ‘Dieu m’a donné l’occasion de rire : quiconque l’apprendra rira à mon sujet’» (Gn 21, 6) comme Anne, mère de Samuel (1 S 2, 1), modèle du magnificat de Marie (Lc 1, 46-56), se réjouissant avec Élisabeth, toutes deux enceintes.
La Résurrection est une nouvelle naissance à la vie surnaturelle anticipée par le baptême qui fait « renaître d’en-haut » (Jn 3, 3). L’enfant autrefois immergé sort de l’eau comme d’un tombeau. La vie éternelle n’est mêlée d’aucune douleur, d’aucun traumatisme car l’âme est comblée de la joie parfaite par la vision face à face de Dieu, à l’initiative du Christ juge : non pas « vous me verrez » mais « je vous verrai ». S’il se montra dans son humanité glorifiée après sa Résurrection, au Ciel, il se laissera voir dans l’essence trinitaire : « Tes yeux verront le roi dans sa beauté » (Is 33, 17). « Voici le jour que fit le Seigneur, qu'il soit pour nous jour de fête et de joie ! » (Ps 117, 24) et « devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délices ! » (Ps 115, 11). Voyant enfin l’être tant aimé, nous mesurerons « quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur » de l’amour du Christ pour nous (Ep 3, 18). Cette éternelle joie ne pourra nous être enlevée.
Aussi réjouissons-nous parce que, si la tête de notre corps mystique est déjà passée au Ciel en triomphant définitivement de la mort : « ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6, 9), la suite de son corps dont nous sommes le membres le suivra : « Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie » (Is 51, 11).